15 juin 2008

La bonne blague


La fleur entre les dents, je surfais (nous sommes tous des surfeurs) sur la Toile et… je n’ai pas vu la vague m’arriver en plein dans la gueule ! C’était vendredi 13… « Beaucaire será la primera localidad francesa en probar un nuevo modelo de puyas similar al que se usa en La Maestranza de Sevilla. El empresario de la plaza, Fernández Meca, espera que estas puyas, de menor tamaño, mejoren el juego de los toros durante el tercio de muleta. "Todos los ganaderos están muy ilusionados con el cambio, especialmente Victorino Martín. Si sale bien, seguramente otras plazas nos copien, pero queremos ser los pioneros". » Une fois n’est pas coutume, source Mundochoto. On se passera de la traduction — pas le temps.

Comme je l’écrivais récemment à un lecteur attentif de ce blog, réduire le fer de la pique est une « sacrée hérésie », une franche mascarade, un mensonge éhonté dans la mesure où la corde continuera toujours de pénétrer… lorsque ce n’est pas la cruceta ! Quand ces coquins de taurinos parlent d’une puya de menor tamaño, de quoi croyez-vous qu’ils causent ? De la pique comme s’il s’agissait de la seule pyramide, censée constituer, faut-il le rappeler, la seule partie pénétrante de la vara ? Oui… et non. Dans le texte, ils font bien évidemment référence à la pyramide, au fer. Mais dans leur esprit tordu, ils pensent de façon totalement aberrante et antiréglementaire au couple inséparable « pyramide + corde » ! Attention, ils vous soutiendront mordicus le contraire ! La corde devrait — c’est pas moi qui le dis, mais le règlement1, et ce depuis quelque temps déjà — jouer le rôle d’ARRÊT, de FREIN, de BUTOIR à l’image du limoncillo d’avant 1917 ou… du renflement blanc de la pique de tienta (semental — 1er plan —, puis macho et hembra, celle-ci d’environ 1,7 cm, à confirmer © José García). Vous vous souvenez de la pique de tienta ? Celle qui fut utilisée sur le La Quinta de Vic lors de la quatrième rencontre (et seulement lors de la quatrième), et qui, comme le fit justement remarquer ce renard de Solysombra, causa tout de même plus de dégâts que le regatón — seul autorisé ce jour-là par le minimaliste règlement de la « concours ».

Réduire — comme peau de chagrin — la pyramide ? Vous l’avez peut-être oublié, mais le nouveau règlement taurin andalou2 l’a déjà fait, et avec quel succès (!) — les mesures des arêtes de la pyramide sont inférieures de 3 mm, soit 26 mm contre 29 hors Andalousie ; celles de la base restant inchangées (19 mm). Réduire la partie en corde (ou en PVC, ou en bois) ? Pareil ! Ces ânes ont trouvé les ressources intellectuelles pour diminuer les dimensions d’un bout de pique qui aurait dû, doit, devrait toujours jouer le rôle de butoir, d’obstacle… De 6 cm de long, ce dernier est passé à 5 cm, mais moins large de grosso modo 5 mm on peut supposer qu’il pénètre plus facilement encore. D’autant plus qu’il possède toujours une forme « cônique »3 — largeur de 25 mm, uniforme sur toute la longueur du « cône » (bizarre, vous avez dit bizarre ?), tandis que l’autre s’élargit, très timidement certes, jusqu’à atteindre 3 cm environ au niveau de la cruceta (voir image ci-dessous).

Et les picadors dans tout ça, vous les avez entendus les picadors ? Et pourquoi voudriez-vous qu’ils soient mécontents les picadors ? Comme vous le voyez, pas de quoi fouetter un chat, c’est le statu quo complet ! Ils continueront d’agir comme ils le font, « en mettant les cordes » — tout concourt à ce qu’il en soit ainsi — en faisant pénétrer la pyramide, la corde (soit entre 7,5 et 8,5 cm) ET, au besoin, la cruceta dans le cuir de l’animal !

Alors, quand on prend connaissance des gesticulations de l’empresa de Beaucaire l’andalouse et de Victorino — dites, il semblerait qu’il ait tiré un trait sur le premier tiers, et vu le prestige qu’est le sien sur la planète taurine, au secours ! —, on ne peut s’empêcher de sourire (jaune), puis de s’interroger sérieusement sur leurs réelles motivations ? Où veulent-ils donc en venir ? Améliorer le « jeu » des toros lors du troisième tiers… après les avoir massacrés à la pique ? Quelle idée ! Justement pas. Puisqu’ils réduisent tout — non, non, rassurez-vous, ils ne vont pas aller jusqu’à réduire la durée de la première rencontre, ou la distance entre la ligne d’insertion des cornes et le point d’impact de la pique —, ils vont redonner sa chance au toro… N’est-ce-pas merveilleux ? À moins qu’ils ne convainquent, n’encouragent un bon paquet d’éleveurs — « muy ilusionados » (sic) — d’élever des bêtes sin casta, poder y trapío allant au cheval sans s’y employer, mais en y recevant tout de même une méchante première pique, puis éventuellement un picotazo supplémentaire — ou deux pour satisfaire les enragés de la pique — et basta ! Pardon, c’est déjà le cas ?… Ah, mais alors pourquoi diable cet activisme ?

Vous donnez votre langue au chat ? Eh bien, puisque le premier tiers va si mal, ils vont agir… en le réformant. Ainsi, le péquin moyen les remerciera de n’être point restés inactifs, car il saura désormais quoi répondre aux grincheux… Et voici le premier volet schizophrénique et INUTILE de la réforme : la pique andalouse. Avant la pique de tienta ? Chut ! Ne leur dites pas qu’avec elle les picadors ne pourront plus charcuter… D’autres explications et/ou suggestions ? Écrivez-nous.

En revanche, les revendications des aficionados se révèlent être beaucoup plus franches et transparentes. Attachés au tiers de piques comme clef de voûte de la lidia, ils pourraient, en résumé, les définir comme suit : un fer — la pyramide4 — plus important encore fixé sur une partie en corde de type limoncillo (ou renflement blanc de la pique de tienta), qui jouerait — enfin ! — le rôle qu’elle aurait toujours dû jouer, à savoir celui de frein ! Quand je dis plus important, il semble en effet souhaitable, voire nécessaire, d’augmenter de manière significative les dimensions de la pyramide (4 cm ?) afin d’éviter un éventuel « effet rebond » du limoncillo sur… le morrillo bien sûr ! Comme il serait souhaitable de voir enfin des piques dosées et brèves, des quites en temps voulu, trois piques minimum…

Enfin, et nous ne cesserons pas de le répéter, précisons que le fond de la problématique (cf. article de Renaud Maillard sur Terre de toros) ne réside pas prioritairement sur l’amputation (ou l’augmentation ?) de deux ou trois mm des dimensions de telle ou telle partie de la pique ! Certes, la saignée et les blessures causées au toro par la portion actuellement pénétrante de la pique ne sont pas anecdotiques, mais placer la pique systématiquement en dehors du morrillo, favoriser (rechercher ?) l’épuisement du toro en le mettant davantage en situation de soulever le groupe équestre que de le pousser (oui, c’est beau un toro qui pousse !), retarder indéfiniment le quite — lors de la première pique notamment, celle-ci, interminable, ne devrait se résumer qu’à une simple mise en bouche ! —, laisser le toro se fracasser, au mieux contre le caparaçon, au pire contre l’étrier, recourir à la carioca, faire tourner la pique dans la blessure, et patati et patata, participent tout autant et conjointement du travail de démolition du toro et du premier tiers en particulier, ainsi que de la Fiesta en général ! Sauf à considérer, comme certains, sans vergogne, mais avec force fumisterie et sous couvert d’arguments spécieux et louches, que la bravoure, cette fugueuse, se serait déplacée… Eh bien, si quelqu’un a des informations sur l’endroit où elle se trouve, qu’il contacte le service des objets perdus. Par avance, merci.

Chers lecteurs, vous l’aurez compris, nous n’avons pas fini de regretter de n’avoir pu découvrir tel ou tel toro absurdement sacrifié sur l’autel de la bêtise et de la cupidité du mundillo !

1 « Las puyas tendrán la forma de pirámide triangular [...] ; estarán provistas en su base de un tope de madera, cubierta de cuerda encolada » Reglamento de espectáculos taurinos (1996). « Las puyas tendrán la forma de pirámide triangular de acero [...] Estarán provistas en su base de un tope de madera o plástico PVC que sujete la pirámide. » Nuevo Reglamento Taurino de Andalucía (2006). Tope signifiant en espagnol : arrêt, frein, butoir.
Nuevo reglamento taurino de Andalucía (2006) : description & dessin de la pique page 16.
3 Le règlement andalou dit : « El referido tope de forma cónica »… Munissez-vous de deux pièces en bois, ou autre, l’une de forme cônique et l’autre de forme cylindrique, par exemple. Prenez une plaque de beurre. Saisissez-vous du cône, sommet dirigé vers la plaque de beurre et enfoncez : facile ! Maintenant, attrapez le cylindre, une des deux bases pointée vers le beurre et essayez d’enfoncer : dur ! Reprenez le cône, nettoyez-le, mais cette fois-ci appuyez avec la base : impossible ! Vous avez un « butoir » entre les mains… Tirez-en les conclusions qui vous plairont.
4 N’ayant rien d’autre à faire, je me suis amusé à construire une pyramide grandeur nature. Amusé n’est pas le bon terme, elle est tellement petite que… Rappel des mesures : arêtes, 29 ou 26 mm ; base, 19 mm. À vos crayons, compas, règles, ciseaux et tubes de colle — n’oubliez pas la languette.


Images Une pique avec la cruceta incluse ? C’est possible de faire pénétrer la cruceta ? Il semblerait que oui… A fortiori si les picadors, réputés pourtant pour leur maladresse, piquent plusieurs fois au même endroit (Vic-Fezensac, 2008). — Campos y Ruedos Ceci n’est pas une pique andalouse (ou beaucairoise) © José García  Une pique de tienta, corrida concours de Vic (11-5-2008). — Campos y Ruedos