17 juin 2008

José Tomás, 15 juin 2008


- Moi les gars je n’adhère pas à ça... Et toi ? Tu adhères toi ?
- Non, moi non. Je ne viens pas ici pour voir un type se suicider.
A vrai dire, dans mon entourage immédiat je n’ai trouvé personne pour adhérer à ça.
- Il est fou ce type... Il est fou...
- Ce n’est pas possible, il doit prendre de la cocaïne !
- Alors son fournisseur doit lui en filer de la bonne !
C’est assez curieusement le genre de discussions que nous avions, dimanche quinze juin, au pied de la grande porte de Las Ventas, après la seconde prestation madrilène de José Tomás.
A aucun moment nous n’avons évoqué l’aspect technique ou artistique des faenas. Nous n’avons pas plus évoqué l’opportunité de lui faire ainsi couper, ou non, trois oreilles. Ce genre d’analyse ne nous intéressait pas, ne nous concernait pas.
Nous étions très loin de toutes ces considérations bien trop terre à terre en pareilles circonstances.

- Tu penses qu’il est insensible à la douleur ?
- C’est difficile à dire. Mais il semblerait qu’il la recherche même.
Le lendemain, quelques clichés d’une incroyable puissance, judicieusement choisis par la presse quotidienne, et El País en particulier, viendront attester du contraire, et augmenter un peu plus notre trouble tout en confirmant l’aspect surnaturel de tout cela.

Moi non plus, je n’ai pas adhéré.
Curieusement, on reproche généralement aux figuras type Ponce de venir à Madrid avec parcimonie et trop de précautions. Il peut sembler contradictoire maintenant de se plaindre qu’une autre figura vienne s’y jouer la vie. Avec cette nuance que se jouer la vie est une chose, mais que donner le sentiment d’un acte suicidaire en est une autre.
Et c’est un sentiment morbide que beaucoup ont ressenti ce dimanche 15 juin.
Quand j’écris "beaucoup", tout est relatif. Car sur les 24 000 présents combien sommes-nous à avoir perçu les choses ainsi ? Une grosse centaine, peut-être deux ou trois cents ? Une minorité en tout cas.

Lorsque César Rincón s’est joué la vie avec 'Bastonito'...
Avant d’aller plus loin dans la comparaison, il y a lieu de bien mettre en lumière que 'Bastonito' était un toro de caste, un grand toro, et que la comparaison pourrait s’arrêter là. Car en guise de toros, ce dimanche 15 juin, ce furent des mules plus ou moins décastées qui croisèrent la route du phénomène. Des mules qui pouvaient être dangereuses, mais des mules.

Lorsque César Rincón s’est joué la vie avec 'Bastonito' il y avait un but, un combat entre deux immenses adversaires. César s’était joué la vie pour gagner une bataille, dominer un grand toro, et ainsi créer son œuvre, sa faena.
Que par la suite il n’ait pas pu gagner la guerre et que 'Bastonito' soit finalement resté invaincu est un autre aspect de la problématique.

Dimanche 15 juin, José Tomás s’est joué la vie. Mais dans quel but ? Les mules qui lui firent face n’offraient guère de possibilités. Et on avait bien du mal à imaginer qu’elles puissent autoriser la construction et la réalisation d’une faena, que tout cela puisse déboucher sur quelque chose d’abouti. Il y a d’ailleurs eu énormément d’enganchones, et très peu de passes limpias.

Et pourtant, José Tomás leur a offert son corps, sa vie, de la manière la plus dramatique qui soit. En même temps cela semblait «gratuit», sans autre issue possible que la porte de l’infirmerie, ou pire encore.

C’est donc ça au bout du compte qui m’a dérangé. Le fait que cette prise de risque quasi suicidaire semblait être totalement gratuite, ne semblait pouvoir déboucher sur rien, ne servir à rien, sauf peut-être à contribuer un peu plus encore à écrire la propre légende de José Tomás.