Cette phrase extraite du déjà célèbre Philosophie de la corrida orne l'annonce du millésime 2007 du palmarès de l'ANDA. L'auteur de ce magnifique ouvrage, Francis Wolff, occupe donc une place à part au sein des primés, une place tout à fait justifiée compte tenu du contexte actuel et de la rareté d'oeuvres aussi profondes consacrées à la tauromachie espagnole.
Car depuis José Bergamin (que le philosophe-universitaire a manifestement fort bien digéré, comme en témoignent un certain nombre de sujets dont il semble s'être inspiré, nous les restituant non seulement de façon très personnelle et pertinente, mais surtout avec une clarté aveuglante difficile à atteindre lorsqu'il s'agit d'aborder certains thèmes chers à l'auteur "birlibirloquèsque"), nul ne s'était aventuré sur ce terrain ardu avec autant de talent et, c'est suffisamment rare pour être noté s'agissant d'une oeuvre philosophique de façon générale, en suscitant autant l'intérêt des profanes.
Toutefois, quand on considère que la publication de Philosophie de la corrida est une bonne chose au moment où nous subissons des attaques incessantes et des accusations scandaleuses, ne nous y trompons pas. En effet, et ce n'est pas le moindre de ses mérites, le livre n'est en aucun cas un plaidoyer en faveur des courses de taureaux, pas plus qu'un petit guide à l'usage des aficionados désireux de se munir de quelques arguments pré-machés, comme cela existe sur les sites Internet militant pour la suppression des corridas. Son objectif, et son propos, sont tout autres. Ceux qui l'ont lu comprendront ; quant aux autres, qu'ils se précipitent pour combler cette lacune, sans se laisser apeurer par la matière. Ils y trouveront sans doute exprimés de manière limpide bien des sentiments éprouvés sans qu'ils aient jamais atteint le langage. Ils y trouveront encore des pistes de réflexion intéressantes sur l'objet de leur passion : pourquoi le taureau meurt-il ? Quel est le rapport de l'Homme à l'animal ? Etc.
Point n'est besoin d'être diplômé de philosophie pour lire cet ouvrage. Mais il n'est pas non plus nécessaire d’être aficionado. La pédagogie de Francis Wolff permet à tous de trouver profit à la lecture de son livre. Ceux que la tauromachie n'intéresse pas s'enrichiront de développements qui posent la question de l'Homme... au travers de son combat face au taureau et de l'afición a los toros. En effet, le propos de Francis Wolff est universel lorsqu’il soulève des questions relatives aux rapports entre les hommes et la nature, aux sacrifices et à leur ritualisation, à l’éthique de l’être et celle de la liberté et, enfin, à l’esthétique du sublime.
La qualité de ce livre a suffisamment bien été relayée pour qu'il soit besoin d'y insister ici. Il y a cependant un point sur lequel je souhaiterais insister : en plusieurs passages de la lecture du livre, j'ai eu le sentiment très fort, tout en adhérant pleinement aux considérations de l'auteur, que la corrida ne devrait exister, ne doit exister, que telle que nous l'aimons, telle que nous essayons de la défendre sur Campos y Ruedos. Que sans un toro intègre, sans combat authentique, la corrida n'est qu'un spectacle vulgaire et indigne. Comment parler d'éthique de la corrida sans ces ingrédients de base ? Comment parler d'esthétique quand ce à quoi nous assistons consiste en un ballet plus ou moins réussi, à base de passes truquées, données à un animal diminué avant d'entrer dans le ruedo par un homme en habit de lumière et aux petites chaussettes roses ?
J'ignore si l'auteur fut conscient de cet aspect au moment de la rédaction de son livre. Mais celui-ci n'a sans doute pas échappé aux membres de l'ANDA qui depuis des années et des années poursuivent, de plus en plus esseulés, ce combat jugé d'arrière-garde. Et qui doivent trouver un certain réconfort dans une affirmation aussi brillante de leurs certitudes.
Ils en ont bien besoin... Dans le mot du président, daté du 15 novembre 2007, soit quelques jours après la trentième assemblée générale de l'association, qui a semble-t-il bien failli être la dernière, on sent une certaine lassitude. Une lassitude que d'aucuns (et ils sont malheureusement nombreux) verraient d'un bon oeil se transformer en renoncement. Il convient d'ailleurs de noter qu'une semaine après qu'il fusse rendu public, le palmarès ne trouva pas le moindre écho dans les médias taurins spécialisés. Nada de nada.
Mais il n'en est rien. L'ANDA s'accroche au mât et compte sur les jeunes pour assurer l'avenir de la course de taureaux véritable, davantage que sa propre survie qui n'a d'autre raison d'être que la défense de la première. Les jeunes et leur formation d'aficionado. Tel semble être le souci légitime de la trentenaire. C'est vers eux que doivent tendre tous nos regards et tous nos efforts. Pour qu'ils comprennent qu'il y a mieux que ce qu'on leur propose aujourd'hui, et que grâce à eux tout n'est peut-être pas perdu.
En ce qui concerne le palmarès lui-même, je m'associe pleinement aux "Pitos" et aux "Palmas", ainsi qu'à l'attribution de la Plume d'Aigle à Francis Wolff, comme on l'aura compris. Je n'ai (à mon grand regret pour ce qui est des novilladas du Raso de Portillo et Sánchez-Fabrés) assisté à aucune des courses auxquelles il est fait référence et ne peux donc pas porter de jugement sur le bien-fondé des trophées attribués ; je fais toutefois confiance aux amis qui m'ont dit beaucoup de bien des deux novilladas. Le prix attribué à la CTEM montoise (deux piques au minimum et président unique) me paraît particulièrement heureux : c'est aux maestros et à leurs cuadrillas qu'il appartient à présent de transformer l'essai, en rendant aux Landais un tercio de varas digne de ce nom (mises en suerte, positionnement de la pique et, tant que nous en sommes à rêver, retour en grâce des quites). L'absence de publicité donnée à ce palmarès, pourtant ancien, semble corroborer une certaine raréfaction - employons ce terme pour rester pudique - de ceux qui placent le toro, protagoniste de la Fiesta, au-dessus de tout. La lutte face aux "antis" et les guerres intestines n'ont fait que précipiter cette déchéance, et l'affirmation criante de vérité de Francis Wolff, selon laquelle "le toro doit être combattu mais pas abattu", sonne comme une voix solitaire dans le désert de l'afición.
Image 1 Un picador à Mont-de-Marsan, lors de la dernière Féria de la Madeleine © Laurent Larroque
Image 2 L'un des sánchez-fabrés combattus à Saint-Martin-de-Crau, ici au campo © Laurent Larrieu