03 juillet 2010

¿Cómo son?


La rue principale qui sort du village n’était pas goudronnée lorsque nous découvrîmes Cenicientos. Au bout de la rue en terre, tout en haut, se dressait l’arène portative adossée à une structure en dur faisant tant bien que mal office de corrals.
Les jours de corrida, vers midi, mais toujours en retard, sur les corrals, les hommes et les enfants du village, et très peu de femmes, s’agglutinaient par grappes au mépris des règles de sécurité les plus élémentaires. Vue de loin, la chose ressemblait à un essaim monstrueux. Le village attendait ainsi l’arrivée du camion qui annonçait l’apparition des toros de l’après-midi.
A l’intérieur, un gamin haut comme trois pommes et plus habile qu’un singe bondissait de cours en couloirs, fermant une porte, ouvrant l’autre, sautant pour débloquer une corde.
Dans un coin, à l’ombre, les deux vétérinaires chargés de reconnaître les toros étaient littéralement harcelés par les deux vieux les plus teigneux du village.
Deux vieux style Muppet Show qui n’en finissaient pas de se répandre et prendre les vétérinaires à témoin. Trop petit, encore trop petit, toujours trop petit, jamais assez gros et jamais assez de cornes, pas assez de cul, trop de ceci, et pas assez de cela, jamais contents.
Pendant ce temps, le gamin haut comme trois pommes n’en finissait pas de sauter, bondir, grimper, ouvrir des portes, en fermer d’autres et attraper des cordes.
C’était Cenicientos, il y a une quinzaine d’années.
En redescendant au village, par la rue en terre, nous saluions des vieilles habillées de noir qui attendaient sur le pas de leur porte.
A notre salut elles répondaient : "¿Cómo son?"
"Comment sont les toros ?" : les vieilles voulaient savoir.
Pour nous, ils étaient souvent terrifiants, pour les deux petits vieux style Muppet Show, jamais assez gros, jamais assez armés.
C’était Cenicientos du temps de sa portative et de sa rue en terre battue.

Aujourd'hui, samedi 3 juillet 2010, une délégation d’aficionados coruchos a débarqué en Camargue chez Hubert Yonnet, pour voir « cómo son » les toros cinqueños qui les attendaient là.
A en croire les conversations et les exclamations, il semble qu’ils soient biens, qu’ils aient assez de cornes et de prestance.
Depuis que je ne suis pas allé à Cenicientos, je soupçonne que les deux petits vieux style Muppet Show ne sont plus de ce monde. Le gamin haut comme trois pommes doit être un homme aujourd’hui.
Mais après l’apartado des Yonnet, il y aura bien quelques vieilles pour demander aux aficionados qui redescendront au village depuis les arènes désormais en dur et la rue maintenant goudronnée : "¿Cómo son?"

NDLR La présence de la corrida d'Hubert Yonnet à Cenicientos est une information confirmée à... disons 98 %...