À Christophe
Passent Yolanda y "sus huevos", puis Cara Vinagre et son escorte mythologique de gigantes y cabezudos, tonne la "Jota a San Fermín" dans le silence sonore du 7 au matin, ses gaïtas y tamboriles, claquent enfin les cloches de San Cernin, la grand-messe "rouge et blanc" consiste ensuite à chercher un joli sardo dans le lot de Pamplona, ou au moins un burraco, voire un salpicado, comme un cadeau au peuple de Navarre, une offrande au santo des santos... L'encierro de Don Salvador García Cebada est un feu d'artifice qui pète dans la pénombre de Santo Domingo ou Estafeta, et on ne s'en lassera jamais. Une Ôde aux forces divines de la nature fantaisiste, capable de tant de caprices qu'elle seule sait transformer en joyaux. Le galop piquant et le coup de teston hargneux et véloce, cul bas et coffre épais, la dégaine de Tyson et le sens de la médiation de Bakkies Botha. La gueule en haut et la puissance de feu de la "plus grande armada que l'histoire ait connue" dans le regard.
Pamplona sans ses Cebada, se acaba la historia, Pamplona sans ses "Gago", y al lomo falta el pimiento. Voilà pourquoi, nous, on est gagas des "Gago".
Il y a des années, je me souviens que le vieil homme, un peu allumé, siégeait là, à la porte de la Jarana. Regard vague de celui qui vient de se faire déniaiser, le sombrero de biais, la trogne frippée par 95 années de vent épicé de l'Atlas et de fournaise andalouse, calé au milieu des socios borrachos "bleu et blanc" qui ne prêtaient aucune attention à ce "dinosaure" savourant lentement son 45 ou 46ème txacoli, avec 50 kg de bois et de plomb "made in Euskadi" en guise de trophée, que ladite peña venait de lui coller sous les aisselles pour le remercier de tant de peleas, données le menton haut et l'oeil luisant, par ses rejetons l'année passée, celle d'avant, et celle d'encore avant... Don Salvador appréciait Pamplona, Pamplona aimait Don Salvador, et c'est ainsi que l'histoire de ces deux noms a toujours flirté. Nous, pleins comme les coffres de la daronne Bettencourt, on lui baisait les pieds. Moi, je savourais, et mon ami Christophe pleurait... comme toujours. La fête était belle et on célébrait le soleil de Navarre et les petits toros de Paterna.
Sauf que voilà, les petits toros de Paterna éclatent un peu moins, ces temps-ci... et forcément, San Fermín fait la gueule... Usain Bolt au départ du 100 mètres avec une jambe de bois, t'imagines un peu le malaise ?
8 juillet 2010, 21h... Fin de la journée, reprise des hostilités. Les tendidos Sol baignent enfin paisiblement dans leur jus de merde et se remettent à peine de la torgnole de rouge crado qui vient de les noyer. La "Chica Yéyé" est partie voir ailleurs si on y était. La course est finie : rien d'autre à dire. On se regarde les godasses. Rien d'autre à faire. Nous claque juste au museau le triste souvenir de cette journée sévillane d'avril 2009 qui nous avait mis les amygdales comme des enclumes, et qui annonçait déjà une traversée du désert velue. Bingo ! Les toros de Don Salvador ont toujours la gueule de bois. Oh bien sûr, un "Gago" reste un "Gago", et je constate avec délectation que les minets du toreo fleuri préfèrent encore se cogner le Santa Coloma d'Ana Romero que le Domecq/Núñez de Cebada ! C'est ainsi... Faut dire que les trois clampins du jour ont quand même tous pris leur volée respective, mais non, ce n'était pas bien, et la petite agitation de fond de bide après la peur, l'inquiétude, la tension, ne sont jamais venuse. Pas un "toston", mais pas loin. San Fermín n'aura pas "lazarifié" les "Gago" de la fournée 2010. Alors, on est allé se noyer à Jarauta... deux fois plus.
Au fond, il n'y eut pas cette pétaradante rage qu'on aime voir dans les hachazos "tihuts" des petits toros multicolores de "La Zorrera", ces départs arrêtés de bout de piste pour se déglinguer les naseaux contre un peto récalcitrant, et puis ce pet majuscule qui flambe en piste quand un tío décide de poser son derche dans le fauteuil du boss. Alors y'en a des plus braves, c'est vrai, mais bordel de bordel, combien de "Desgarbado" niaiseux je gracierais pour voir un "Gago" débouler aussi sauvagement que Ribéry sur un plateau-télé pour s'enquiller une muleta aux petits oignons, et réclamer du rabe en cuisine !... Bref, y'avait la guerre dans les veines de ces tíos-là... Et si l'histoire de la grande cité navarraise et des "Gago" ne s'arrêtera probablement jamais (¡¡¡santo bendito!!!), on brûlerait bien quelques tonnes de cierges pour que les petits toros de Don Salvador la déterrent à nouveau cette putain de hache de guerre, afin que les serpents de mauvaise augure restent planqués au chaud sous la rocaille, et qu'ils y crèvent s'ils le veulent... filho da puta !
La roue tourne, Don Salvador, la roue tourne... Ils reviendront un jour, fiers combattants. Ils reviendront un jour, plus tranchants que jamais, comme les terribles panzers de Huelva l'ont fait cet hiver, et défieront de nouveau de leurs regards de boxeurs défoncés au Synthol et de leurs pitones hauts, forts et cons comme des secondes lates sud-af', les tendidos les plus arrogants de la planète Toros. Plaise à Dieu que vous soyez encore là pour les voir revenir, vos petits toros multicolores, Don Salvador.
Et plaise à Dieu, mon Christophe, qu'on pleure encore longtemps comme des drôles devant l'encierro des "Gago", dans la fraîche pénombre matinale d'Estafeta, en écoutant encore une fois le sifflement de la gaïta dans ce chant d'un autre temps à la gloire de la fête sauvage.
Dessin Encierro © Jérôme 'El Batacazo' Pradet