09 juillet 2010

Dins de poc, Ceret


23 ans de fers
N’attendez de ma part aucune objectivité, pas une once. Ici, c’est chez moi. Pousser la porte d’entrée bleu azur c’est rendre visite aux copains, à la famille. C’est revenir à la maison en s’essuyant les pieds au seuil du paradis. Encore un pas pour changer de monde. Un an est passé... déjà.
Sur le long mur ocre, à gauche, tous les fers sont accrochés, noir sur blanc, 23 ans de bêtes à cornes qui vous tapent dans la cornée. Direct à la face.
Là-bas, au fond, les corrales. Dans l’atmosphère moite, de loin, on hume une présence magnétique. Les entêtantes effluves d’une fragrance musquée pénètrent les narines. En s’avançant à peine, à travers les fenestrons creusés dans le béton, on devine un balancement lourd, le lent déplacement d’une imposante masse.
Ils sont là... Enfin.
Ici, on aime les Toros. On le dit, on l’affirme et on le revendique.
On les aime énormes, grands comme des cathédrales païennes de chair et de sang, aux hautes flèches orgueilleusement dressées défiant le ciel comme un blasphème.
23 ans à débarquer des monuments, classés au patrimoine tauromachique, à la rubrique des raretés, entre le chef-d’œuvre en péril et le cristal de Bohême. 23 ans à déplacer des monstres avec l’infinie précaution des porteurs de reliques, dans la ferveur feutrée de la nuit, entre les ombres diaphanes de la lune et, parfois, la silencieuse solennité des rougeoiements de l’aube.
Ici, les Toros sont sacrés et les messes sont noires.
Ici, on aime les Toros, on les vénère et on ne ménage pas sa peine.
Tout commence à l’automne. Premières réunions, premières ébauches, premières discussions, premiers choix... Toujours le premier choix !
Pendant l’hiver, on continue. Premiers voyages, premières images, premières impressions, premières décisions, premières engueulades...
Au printemps, on affine. Deuxième voyage, nouvelles images, nouvelle affiche, nouvelle présentation... Engueulades nouvelles...
Après dix mois de gestation, l’été venu, on tourbillonne. Les Toros sont là, tranquilles.
Les Toros dans les corrales et les hommes partout. Un essaim qui s'agite et bourdonne. Depuis un mois, ils désherbent, arrachent, déplantent et replantent, et tondent et scient et tapent, clouent, retapent, reclouent et rabotent, raclent sans renâcler, percent, bouchent et débouchent, colmatent, cimentent et rebouchent avant de peindre — Oh, non ! Pas la peinture... Si, si... —, placent, déplacent, remplacent et replacent, déblayent, balayent, ratissent, vissent, martèlent, tapent et retapent avant de badigeonner — Oh, non ! Si, si, si... —, de laver, de récurer, d’essorer, de dégraisser et d’arroser, de décoller, de coller, de recoller, et encore et toujours de peinturlurer, de barbouiller — Non ! Si, si — pour accrocher, décrocher et raccrocher...
Dins de poc, dans peu de temps, tout sera prêt.
Dins de poc, les grands Toros entreront dans la petite arène, ce minuscule écrin aux rêves d’absolu. Dins de tan poc !
Ici, on aime les Toros, à en rêver, à en bouffer... C’est écrit :

NOUS, CATALANS ET TORISTAS,
NOUS BUVONS LE SANG DES TOROS
CAR IL EST LE NOTRE !

NOUS MANGEONS EN SILENCE LEURS COUILLES
CAR ELLES SONT LA FORCE !

Comme dans une toile de Goya, l’ogre dévore ses enfants mais les enfants croient-ils aux ogres ?

Jaume
Jaume était là. Tranquille.
Ici on aime les Toros. On aime aussi les hommes mais on ne le dit pas.
On aime les Toros et ceux qui les affrontent... Ça va de soi.
On l’a écrit, là-bas, sur le socle de la statue — AUX TOREROS DU MONDE.
On l’a pudiquement gravé dans la pierre pour ne plus avoir à le dire.
Jaume était là. Il avait bâti un monde sur un coin de la table. Mille rêves d'enfant, dins de tan poc, un monde de géant !
Il m'a parlé sans se retourner pour éviter de perdre le fil de l'histoire.
— Tu as vu les Toros ?
J’ai fait signe que oui.
Il tenait dans sa main titanesque un cheval en plastique qu'il a déposé, là, minutieusement.
— Ils sont beaux.
Il n’attendait pas de réponse.
Jaume n’a pas peur des ogres. Ici, c’est chez lui.
Dins de tan poc, tous ceux qui aiment les Toros seront ici chez eux.

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>>> Pour plus d'informations : le site de l'ADAC.

Traduction Dins de poc : dans peu, d'ici peu.