20 juillet 2010

Antes y después del Juli



Pamplona 2010. Une présidence, peut-être injustement, refuse une oreille à Julián López 'El Juli', qui déclare : "Lo de los presidentes cada vez me afecta menos, porque algunas de estas faenas a las que no han premiado han sido las mejores faenas de mi vida. Muchas veces hacen el ridículo (por los presidentes). Creo que estamos en manos de gente que no tiene respeto y no saben lo que es esta profesión. No me gusta en manos de quien estamos, pero imagino que será una cosa que tengamos que cambiar."

Cela n'a pas toujours existé. Par conséquent, cela n'avait pas l'importance que ça a aujourd'hui.
Une bonne centaine d’années avant le présent siècle, ce qui ne fait pas tellement vieux si on veut bien y réfléchir posément deux minutes, on ne coupait pas d'oreilles. Cela ne se faisait pas. Il faut lire l’incontournable Antes y después del Guerra de Félix Borrell Vidal (F. Bleu) pour constater que cela n’existait pas, ne poluait pas l’atmosphère et que personne ne s’en portait plus mal. Applaudissements, vueltas et pluie de cigares, comme d’étranges oiseaux noirs sans ailes. C’est ainsi que l’on fêtait les vaillants.

"Segundo toro. Diez y nueve pases, dos pinchazos en hueso y una muy buena al volapié. Muchos aplausos y cigarros.
Tercer toro. Cuatro pases de telón y dos muy arriesgados de pecho y una magnifica arrancando. Aplausos, cigarros y gavinas."

Antes y después del Guerra, un demi-siècle de toreo en 450 pages sans jamais évoquer le moindre coupage d’oreille. Pour certains, aujourd’hui, cela doit être de la science-fiction. Et pourtant, non.
Cent quarante et quelques années après Lagartijo et Frascuelo, une oreille, deux oreilles, trois oreilles, quatre oreilles : une idée fixe.
T’es chroniqueur taurin, toi, ou t’es expert-comptable ?
Les oreilles sont aujourd'hui un objectif obsessionnel chez les taurins professionnels et les gogos dans leur sillage.
Sans oreille(s) pas de presse, pas de portada Internet, pas d'Aplausos, pas de 6TOROS6, pas de publicité, pas de retombées et rien à raconter à la voisine pour les gogos.

Tout ceci est d'un vulgaire. La servilité journalistique au niveau du caniveau.

La pétition était-elle majoritaire ? L'oreille était-elle méritée ? Le président a-t-il vraiment compté tous les mouchoirs ?
Et les gens qui crient, on en fait quoi des gens qui crient ?
Et là, on fait quoi ? Fallait-il donner la seconde pour compenser celle qui ne lui a pas été donnée au toro précédent mais-que-quand-même il méritait ?
Et Menguano, qui en a coupé une un peu généreuse au premier, est-il raisonnable et juste de lui en donner deux au second ? Mais si on lui en donne deux maintenant, on fera quoi ensuite selon que Fulano...
Et machin, ça serait bien qu'on lui en donne une à machin, pour lancer sa carrière.
Cela me rappelle un toro d'alternative, ici chez nous, et le président qui refuse l'oreille au toricantano. Ni une ni deux, carrière brisée, fauchée en plein vol. La puissance de ces choses-là tout de même, et la haine dans les yeux des suiveurs. Fallait voir ça. Surréaliste.

Tout ceci est d'un vulgaire. La servilité journalistique au niveau du caniveau, je vous dis. Car, n'en doutez pas, c'est du niveau du caniveau que ces choses-là sont entretenues. Franchement, ça intéresse quel aficionado digne de ce nom les oreilles ?
On nous bassine perpétuellement avec des approximations sur l'art, la grandeur de la Fiesta, la culture taurine, la profondeur de ceci, la vérité de cela. Mais à l'heure de rendre compte, il n'y a plus de place que pour la comptabilité médiocre des oreilles coupées.
On compte les oreilles comme d'autres au football comptent les buts. Tu parles de la grandeur d'un art.
Cela doit en soulager quelques-uns remarquez. Cela leur donne l’opportunité d’insulter le président, se sentir tellement supérieur, et philosopher, oui, philosopher sur le nombre d'oreilles coupées, sur celles qui auraient dû se couper et sur celles qui auraient pu se couper. La nuance est de taille.
Tout ceci est d'un vulgaire. Les oreilles, il faudrait les supprimer, les liquider purement et simplement, qu'on n'en parle plus, qu'on nous en débarrasse le plancher. De l'air ! Hélas, il suffit de lire la presse taurine, imprimée, et surtout celle autorisée du Net, celle entre les mains de qui nous sommes, pour se rendre compte que ce n'est pas pour demain. Il faudrait pourtant supprimer les oreilles. Cela ferait du bien à tout le monde, même au Juli...

>>> F. Bleu, Antes y después del Guerra. Medio siglo de toreo, Espasa-Calpe ed., Selecciones Austral, Madrid, 1983.