Lorsque je contemple les photos des Miura sur le site, je ne peux que me réjouir de la fin des problèmes liés à la langue bleue puisque la course a, selon moi, sauvé la féria d'un ennui général aussi mordant que le froid des deux dernières tardes. En fait, je ne sais même pas si les Miura ont la langue bleue, car malgré quelque faiblesse lancinante, je ne me souviens pas avoir vu l'un des cornus ouvrir le bec hier au soir, mais là n'est pas vraiment le débat.
Quand on a le cran de se coller face à des bichos pareils, de le faire dans le respect des canons et avec une grande dignité, on mérite une considération immense de la part de l'aficionado. Alors si j'ai, moi aussi, trouvé la paire Fundi - Rafaelillo au dessus d'un Sánchez Vara aux faenas un peu manchottes (droite puis gauche aux 3° et 6°), je ne distinguerai pas les uns des autres au niveau du respect global que j'éprouve pour la terna qui a actué hier en la plaza d'Arles.
Cependant, hier, il y a eu un petit débat lors de la tertulia de la société taurine "La Muleta", ce qui tombe plutôt bien puisque c'est précisément le but de ce genre de réunion : El Fundi méritait-il la deuxième oreille du toro de Miura tué en quatrième position ? Pour ma part, si l'on compare aux oreilles coupées depuis le début de la féria, et notamment la veille, j'aurais tendance à dire qu'il pouvait repartir avec le toro entier et ses collègues aussi sans que cela ne me cause un quelconque sentiment d'injustice. Mais les présidences ont - parfois - le sens du sérieux et le souci de la crédibilité du palco vers lequel ils montent, c'est pour cela que les gestes effectués dans le sens de la respectabilité de la plaza me semblent dignes d'être remarqués.
Voici mon souvenir personnel des faits, en bref : après avoir tatonné en début de faena, l'aigle de Fuenlabrada a trouvé le sitio idéal face à ce toro de Miura et profité des atomes de noblesse du bicho pour donner un récital en trois mouvements : une série de naturelles puis deux séries de derechazos templés, toréés, engagés, quelques minutes de torería dans un océan d'ennui ("Rien n'égale en longueur les boiteuses journées, / Quand sous les lourds flocons des neigeuses années / L'ennui, fruit de la morne incuriosité, / Prend les proportions de l'immortalité"). Adieu le froid, la muleta madrilène a réchauffé nos corps plus sûrement qu'un raid de Phaéton. Epée engagée quoique légèrement tombée. Pétition majoritaire, la présidence considère la demande, fait tomber le mouchoir, fin de la pétition (j'en fus même surpris). Le Fundi fait un geste discret au président en accusant réception de l'appendice pour signifier qu'il en méritait un deuxième (je n'en ai rien vu sur le coup), puis entame une vuelta fêtée comme il se doit, un sourire novilleril aux lèvres. J'imagine qu'au poids de l'oreille octroyée, celle-ci devait sembler d'airain à son destinataire, qui ne l'échangea d'ailleurs contre nul chapeau (bonnet ?), sourire ou oeuf de Pâques Kinder.
De ceci, je retiendrai deux choses :
1/ Le Fundi est un grand torero, ce qui implique qu'il est un grand monsieur (relisez Wolff, "l'éthique du torero est une éthique de l'être") qui ne marchande pas les trophées quand vient l'arrastre, mais s'autorise une simple remarque souriante a posteriori ;
2/ Mieux vaut une oreille sérieuse célébrée par le public unanime que deux contestées par une partie de celui-ci (dans un autre cadre, nombreux sont ceux qui considèrent la vuelta de Rafaelillo au 5è Dolores Aguirre en mai dernier à Madrid comme un moment autrement plus important que certaines oreilles coupées dans la même plaza).
Retour à la tertulia : le président de la course, Rémi Varbedian, est présent et explique sa décision de n'octroyer qu'une oreille (pas de pétition de la seconde, épée tombée et souci de ne pas voir le Fundi faire une vuelta entachée de protestations) mais doit aussi se justifier d'une sonnerie tardive d'avis qu'il assume avec le même aplomb. Le tout est argumenté et d'une grande clarté. La question lui fut posée de l'oreille de Sánchez Vara au 6° : la pétition était majoritaire selon lui (ce qui se justifie, les gens préférant vociférer plutôt qu'agiter des mouchoirs...) et l'oreille venait récompenser les toreros venus affronter le lot de Miura (bon, ce ne fut pas l'argument le plus convaincant à mon goût).
(Ma) Moralité de l'histoire :
1/ Le Fundi a (encore) honoré la plaza d'Arles par son pundonor, sa torería et son comportement exemplaire dans la lidia et en dehors ;
2/ Le palco a fait honneur à la plaza d'Arles en ne bradant aucun trophée dans cette corrida sérieuse et en agissant dans l'esprit du règlement - et puis la deuxième oreille est celle du président !
PS A ceux qui pourraient considérer l'octroi de l'oreille du 6° comme une erreur, l'octroi d'un second appendice du 4° n'aurait en aucun cas constitué une réparation préliminaire mais bel et bien une première erreur... (c'est comme en foot : un pénalty injustifié de chaque côté = 2 fautes d'arbitrage).