En lui collant la bise au bas du tendido 8 (à chaque tour de piste du maestro), la minette blonde enrouleuse de tissu bleu a sans cesse soigneusement évité de le serrer de trop. Non par pudeur ni souci de courtoisie, mais tout simplement pour ne pas peindre de sang noir le haut de sa tenue vert pomme de midinette blonde. C’est ce ventre rouge noir, sali de toros et craint par une blondinette bien mise, qui fait de Manuel Jesús 'El Cid' ce qu’il fut ce samedi 25 août à Vista Alegre... un Maestro. L’affiche de l’ Aste Nagusia 2007 annonçait ; "6toros6 de la ganadería de Victorino Martín Andrés para El Cid, único espada". A 20h30 ou 40, il eut fallu taguer un erratum, en rouge noir comme son ventre peint : "6faenas6 de El Cid". Mais on ne sait jamais à l’avance ces détails essentiels...
Car pour se badigeonner ainsi un ventre sans relief, il faut être boucher et manier la tripaille ou être torero, comme on dit, « de verdad ». Lui est torero et maître en la matière. Unico espada à Bilbao, une solitude d’évidence torera l’habilla de 18 heures à 20h30. El Cid se chargea de tout dans le ruedo : il guida seul les pupilles du paleto vers les chevaux ; les reçut également seul ; les vit mourir seul, une fois encore. Les larmes creusaient encore plus des joues de fatigue, les bras vers la multitude, un chef d’orchestre sans orchestre, seul parmi les notes, le bas du ventre peint de sang noir. Au cœur de la mythique (quoique le mythe s’effrite fortement ces dernières années) et rude Afición bilbaína, il composa six faenas, de la sortie du toril au crochet de l’arrastre. Tout seul, comme un grand. De sobres gestes de la main (le plus souvent la gauche) suffisaient à réduire au silence les conseils discrets du péonage.
Il y eut donc six faenas, six leçons. Parfois, les circonstances de la vie font qu’un ami néophyte vous accompagne à une corrida. Les questions s’enchaînent et les réponses sont parfois difficiles à mettre en mot. « Ça veut dire quoi se croiser ? - Regarde le gars sur le gris, il est en train de t’apprendre, regarde, tu vas comprendre de toi-même ». Et tout le monde, des gosses buveurs de Coca-Cola aux pimpantes mamies de sortie, a compris ce que « se croiser » devant un toro signifiait, en quoi cela pouvait être essentiel pour combattre un taureau de combat. Aucun aficionado ne l’expliqua à son voisin, tous se turent car il fallait se contenter d’observer pour comprendre. Six leçons de lidia ! Point.
Evidemment la main gauche, évidemment et toujours... El Cid était chef d’orchestre, professeur, torero, peón de brega et simple mec ému de faire tout ça dans une bienheureuse solitude.
Face à lui, six Victorino Martín Andrés... Tout le monde le savait, nous venions aussi pour cela, finalement. Ils furent les Victorino que le mundillo espérait, Victorino d’aujourd’hui, sans poder, sans bravoure et incessamment à la limite de la faiblesse avérée. Au troisième tiers, ils furent bien-sûr les collaborateurs attendus avec ce soupçon de piquant qui les rend encore intéressants. Ils ne leur reste quasiment plus que cela pour se démarquer du commun médiocre des taureaux de combat. Un matin, Victorino Martín García, qui semble toujours très satisfait de ses bestiaux, se lèvera avec l’idée foireuse d’assassiner définitivement cette pointe sournoise de piment qui fait encore frissonner les figuras. Ce matin-là, il pourra pleuvoir, faire beau ou neiger à "Las Tiesas de Santa María", l’Afición pourra s’étreindre de noir et penser à l’ancien temps. Les Victorino n’ont peut-être jamais été au cours de leur histoire de grands braves aux piques (c’est la thèse de certains) mais nous sommes cependant contraints de constater à quel point il leur manque un élément fondamental dans la constitution comportementale du taureau de combat : la bravoure ! Ce qu’ils font au cheval (et je prends en compte les mauvaises et laides piques administrées toute l’après-midi = en arrière, cariocas, dans l’épaule...) est proprement insignifiant et relève actuellement de la plus pure statistique d’en-tête de reseña de critiques taurins « autorisés » et « dignes de foi »: « Le lot a reçu 12 piques » et point. Les Victorinos chargent le cheval et poussent sur deux mètres et…s’est terminé. ¡Nada más! Seconde mise en suerte et rebelote, mais cette fois-ci sans pousser pour recevoir un léger picotazo destiné à éviter qu’ils ne s’effondrent au troisième tiers. Ils leur restent donc ce fonds de caste un poil aigrelette qui les empêche encore de se mettre à genoux pour se confondre avec le sable. Mais de nos jours, et même à Bilbao, le public, debout, applaudit deux hommes qui fabriquent ces toros et il y a même une peña taurine landaise, parée de foulards roses, qui rêvait de vuelta au toro... Même les grandes corridas offrent leur lot d’étrangeté.
De cette course qualifiée d’« historique » à 20h40 ( out va trop vite de nos jours), les souvenirs de tous raconteront seulement, dans bien longtemps, qu’un homme seul a fait, du mieux qu’il a pu et du mieux que l’on pouvait l’espérer, son métier de torero, de matador et surtout de lidiador. Les toros seront oubliés malgré les prix et les léchouilles habituelles du mundillo admiratif d’un ganadero en perte de repères.
Main dans la main avec la solitude émue de Manuel Jesús 'El Cid', 20 000 personnes ont pour une fois ovationné celle, solennelle et bougonne, du président Matías à qui l’on doit attribuer le second grand geste taurin de la journée : l’octroi tout-à-fait justifié de la seconde oreille au 5ème toro, et ce, malgré une première entrée a matar conclue d’un pinchazo mais donné avec engagement et dans les canons. Ne boudons pas pourtant notre plaisir, El Cid nous a remis, pour un temps, les yeux vers l'espoir.