Ici les toros ne sont jamais assez gros, jamais assez armés, jamais assez agressifs.
Il y a deux ans de cela, Charlotte Yonnet m’avait demandé de lui faire quelques photos de toros invendus, des toros armés, lourds, impressionnants, et qui commençaient à se faire vieux. Ces photos étaient destinées aux décideurs du Levante avant qu’ils ne viennent juger sur place et finalement les embarquer.
Quelques mois plus tard, lorsque je demandai à Charlotte si ses toros avaient été appréciés, je m’étais entendu répondre que question trapío ça avait été mais que question moral ils les avaient trouvés trop gentils, trop nobles, pas assez agressifs...
Des morts ? Il y en a, quatre ou cinq par an, semble-t-il. Souvent des incultes ou des ignorants de la chose, s’empresse-t-on de me préciser.
Pas forcément. Cinq morts c'est à la fois beaucoup mais pas tant que ça au regard de tout ce qui se passe ici dans la plus totale et la plus joyeuse anarchie.
À se contenter de regarder les chiffres on pourrait penser qu’il est moins dangereux, d’un point de vue purement statistique, de s’adonner au bous al carrer que de prendre l’autoroute un jour de grand départ.
Il ne faut pas se fier aux chiffres et les choses sont évidemment bien plus subtiles. Il suffit d’observer quelques instants le comportement de ceux qui ont suffisamment de testostérone pour rester dans ces rues étroites pour comprendre à quel point ils savent, à quel point ils anticipent le toro et la crainte qu'il leur inspire. Ça ne s’improvise pas. Et il ne faut certainement pas se fier à des apparences très trompeuses, car les choses vont vite, très vite, et le moindre petit grain de sable peut avoir des conséquences immédiatement tragiques.