04 septembre 2010

Ratero


Ce mot a son succès c’est indéniable.
— Celui-là, c’est un ratero !
On sent qu’il ne porte pas en lui la sympathie ni ne prête à l’amabilité. On le sent. Son sens profond n’est pourtant pas d’approche simple. Car, à la vérité, qu’est-ce qu’un ratero ?
A l’école, dans les cours de récréation où le bordel est dieu et où Dieu est chaussé de crampons et joue au Barça, les gamins s’insultent volontiers de leur voix de crécelle dans un vocabulaire rondelet ail et fines herbes.
— T’es un connard toi !
— Nan, chuis pas un connard moi. C’est celui qui l’a dit qui est !
— Tu sais même pas ce que c’est un connard ! Hein, tu sais pas. Alors c’est quoi un connard, hein, c’est quoi ?
Connard ou pas, les gamins savent d’instinct que le mot est caca dans leur bouche. Leur maman leur a dit que c’était caca de dire ça. De fait, ils en profitent. Ils le balancent avec bonheur à la tronche toute ronde de leur copain de billes. Joue-t-on d’ailleurs encore aux billes dans les cours de récréation ? Et qu’en est-il de la corde à sauter pour les fillettes qui, elles, se traitent du salope sans savoir, comme d’ailleurs les petits gars qui se donnent du connard, que ce mot recouvre peut-être, pour certaines, une part de vérité prémonitoire ? Mais ne nous éloignons pas du sujet, quoiqu’il doit bien exister parmi les morveux chipeurs de billes de remarquables spécimens de futurs rateros. Pour saisir la substantifique moelle du mot ratero, entendu et compris dans une approche tauromachique, paratauromachique et même patatauromachique, il convient de commencer par le commencement. Et au commencement était le dictionnaire même si ceux qui l’élaborent, en France tout le moins, exhalent dans le vibrato de leurs tremblotements la froide et infaillible fragrance du sapin qui s’annonce sous la guirlande chatoyante des feuilles d’oliviers. Le dictionnaire donc, et même celui de la Real Academia !

« ratero, -a (de "rata1")
1 adj. y n. *Ladrón que roba cosas de poca importancia. Buscón, caco, carterista, cortabolsas, descuidero, engatado, faltrero, garduño, gatera, lunfardo, macuteno, manilargo, largo de manos, mechero, randa, raquero, raspa, rata. *Granuja. *Ladrón.
2 adj. *Rastrero.
3 Se aplica al *ave que vuela a ras de tierra. »

¡Joder!
Un ami purement et parfaitement bidingue en conclut, fort justement au demeurant, que le terme de ratero était aussi complexe à définir que celui de trapío. Que n’écrivions-nous pas plus haut ?
Partons des évidences. En matière tauromachique, paratauromachique et même patatauromachique, le ratero a pour biotope la péninsule Ibérique, une partie de l’Amérique latine, et une zone que nous appellerons le sud de la France. Le ratero taurin sévit donc où meurent les taureaux de combat. Pour étayer ce constat, il semble fort complexe de le rencontrer sur les plages de l’île de Mykonos où le raterosexuel ne se sentirait pas forcément très à l’aise au moment de coller à la pelle les virils abrazos qu’il goûte tant sous d’autres latitudes. Le ratero taurin est souvent marié, mais parfois pas. Etrangement, il n’est venu à l’idée de personne de surnommer sa moitié la ratera. Au contraire, et au regard du comportement affligeant de son homme quand surgissent les ors de la torería, la ratera prendra plus facilement l’appellation de ratérée. Car la ratérée a conscience de l’insondable ridicule de son époux et elle sait, elle aussi, que quand les poux sont là, les rats ne sont pas loin.
Le ratero a un lieu de prédilection : le patio de caballos. Là, il déambule, cherche à serrer une ribambelle de mains dans l’espoir que dans la gauche lui tombe le sésame dont il se repaît sans fin, l’entrée gratuite dans le Saint des Saints, son Débir à lui : le callejón (à noter que certains rateros ont facilement accès à ce callejón étant donné qu’ils sont membres de commission taurine et que, pour eux, il s’agit rien moins que l’aboutissement de leurs rêves !). Le ratero sourit à tout le monde, fait mine de les connaître tous. Pourtant, le ratero a ses ennemis et il sait les identifier au premier coup d’œil. Ce sont les autres rateros qui comme lui sont passés maîtres dans l’art de lubrifier l’autosatisfaction de ceux qui décident, de ceux qui organisent, de ceux qui toréent. Tant que la main gauche est pourvue, le ratero dispensera par hectolitres ce gel presque mielleux qui fait son fiel. En soi et tel quel, le ratero pourrait faire sourire... mais jaune. Et bien que le jaune fut considéré couleur non grata dans le monde taurin, le ratero ne s’interdit pas pour autant d’en boire deux ou trois, des jaunes, à la buvette du coin des arènes à condition qu’on les lui paye, vous l’aurez compris. Le ratero fait rire jaune car parfois le ratero se pique de commenter la corrida. Il se commet dans des journaux, anime des sites Internet, d’autres fois des blogs.

Et là, le ratero pourrait parfaitement prendre ses vacances sur l’île de Mykonos. Car le ratero se permet tout. Il reseñe (et détruit) une course sur les seuls dires d’un peón (alors que lui-même était absent), il demande salaire pour participer à une tertulia d’après-course, exige le remboursement de sa chambre d’hôtel, défend l’idée qu’il faut des becerros gigantesques pour donner du métier à des novilleros de moins de 16 ans, vomit sa haine des aficionados qui critiquent ses arènes amies, apostrophe par l’insulte et la menace une présidence coupable d’avoir respecté un règlement, passons et des meilleures.
Le ratero taurin se veut idéologue quand il n’est qu’un sombre couillon à l’ignorance crasse comme les égouts d’où il n’aurait jamais dû sortir. Son trip à lui, c’est l’antitaurin. L’antitaurin, il l’adore. Sans lui, il n’existe plus, il est rateroccis. Alors il en parle tout le temps, il veut se mobiliser, se faire prendre en photo avec tous ceux qu’il pense être ses amis. Il a besoin de l’antitaurin comme le rat a besoin de la peste et le pou de la guerre.
Quand le soir est venu, le ratero rentre chez lui avec la ratérée. A moitié saoul, c’est elle qui conduit. Il lui parle de lui, de ses rencontres, de ce qu’a dit untel ou untel. La ratérée conduit, le regard dans le vague. Elle l’entend mais ne l’écoute pas. Elle repense à ce toro bravo qu’elle a trouvé très bon. Elle se dit, et elle n’a pas tort, que son connard de ratero, son é-poux (c’est le plus dur à dire ça pour elle), n’en parle jamais, lui, de toros.

Photographie 1 Un passe-temps comme un autre dans un callejón © Laurent Larrieu/Camposyruedos.com
Photographie 2 Un vieux produit pas forcément anachronique © François Bruschet/Camposyruedos.com