14 avril 2009

Miura


La scène se passe un jour de 1914. La scène, c’est le mayoral de l’élevage qui doit raconter au père Miura qu’un type, un torero, s’était permis de toucher, et même de prendre dans sa main la corne d’un de ses toros. Le patriarche en a fait une maladie. Il en a chialé même. L’anecdote est demeurée et se raconte encore, de nos jours. Le torero, bien sûr, c’était Juan Belmonte.
Ce qu’on ne lui avait pas encore raconté au patriarche Miura, c’est qu’un jour, un matador de toros serait capable, face à son bétail, de débuter une faena à genoux, de la débuter aux planches, et d’aller ainsi jusqu’au centre en liant les muletazos, en prenant le toro devant, en le laissant derrière et en gagnant « tranquillement » du terrain, pour enfin se redresser, une fois les medios atteints.
Eh bien cet exploit, face à un Miura je veux dire, Padilla l’a fait, dimanche dernier, en Arles.
Je ne sais pas si l’ancêtre des Miura actuels s’est retourné dix fois dans sa tombe. Il n’est pas interdit de le penser. Les aficionados contemporains se contenteront de se remémorer l’époque où les Miura étaient affrontés par Nimeño II, Victor Mendes, El Fundi et Fernández Meca qui débutaient, et d’autres encore, sans même remonter jusqu’à Francisco Ruiz Miguel. Ça nous fait quoi ça ? Quinze ans, vingt ans... Un truc dans le genre.
A cette époque, pas si lointaine, les Miura étaient mus par une sauvagerie absolument diabolique, une mansedumbre, un sentido et un genio absolument effrayants qui rendaient absolument inenvisageable pareil scénario, sauf à vouloir provoquer une immédiate catastrophe.
Je me souviens d’ailleurs d’un matador sud-américain, El Quitos, nouveau dans cette plaza et débarquant dans notre vieille Europe. Un Quitos sans doute ignorant de ce qui l’attendait et qui osa une puerta gayola face à ces fauves, toujours en Arles. La sanction fut évidemment immédiate.

A l’époque, le Fundi, en fin de faena, s’autorisait des desplantes guerriers, frôlant la pointe des cornes du bout de ses doigts, histoire sans doute d'entretenir un peu la légende. Mais débuter une faena à genoux et lier les passes, ça non. Personne ne l’aurait imaginé ni même suggéré.
Padilla l’a fait. Ce fut certes méritoire, car Padilla, au-delà de son insondable vulgarité, est capable, parfois, de peser sur les toros, lorsqu’il le faut, ou lorsqu’il est en condition, ou préparé ou "mentalisé". Allez savoir. Dimanche en tout cas, il a pesé bien plus que le tirebouchonné et hurleur Ferrera du lendemain.
L’idée n’est donc pas de minimiser le début de faena de Padilla, totalement méritoire, mais bien de confirmer l’évolution et l’affadissement de ces Miura, de moins en moins mansos d’ailleurs et de moins en moins diaboliques. Des Miura qui, en outre, morphologiquement, ressemblent de moins en moins à des Miura. Certains aficionados supputent même un croisement récent. Une supputation que je trouve pour ma part pertinente mais dont nous n’aurons sans doute jamais confirmation. Evidemment, ça ne nous empêchera pas d’en parler, et de supputer, car l'évolution est incontestable.