20 avril 2009

Sévillanes


Les éditions Bernard Pascuito viennent de rééditer le Sévillanes de Jean Cau, et c’est Patrick Aubert qui en a écrit la présentation qu’il nous autorise à reproduire ici. Vous trouverez évidemment ce Sévillanes chez tous les bons libraires ainsi que sur le Net à la boutique des Passionnés.

Arenal de Sevilla
Torre del Oro
Donde las Sevillanas
Juegan al toro (1)
(Saeta)


Quand parut la traduction en castillan de ce livre, un journaliste s’écria : « Enfin un livre écrit par un français qui ne dise pas de bêtises sur l’Espagne ! ». Il faut dire que Jean Cau n’était pas un inconnu outre-Pyrénées depuis Les oreilles et la queue (Gallimard, 1961), récit de la temporada 1960 où l’auteur se fit une place dans la cuadrilla du matador Jaime Ostos, jusque dans sa voiture.

Jean Cau était un passionné de l’Espagne « fière et pouilleuse », passion qu’il proclamait souvent, notamment par cet autoportrait en creux réalisé au travers d’une critique d’Hemingway qu’il présente, dans Croquis de mémoires (Julliard, 1985) , comme une « imposture » ayant une « sensibilité nulle à l’Espagne vraie et profonde », « utilisant des trucs » et des « pittoresques bêtifiants, recettes pour touristes aseptisés ».

« L’afición (NB : a los toros) est la seule clé qui ouvre l’amour profond de l’Espagne » écrit Jean Cau ; c’est la même constatation que faisait Barrès, autre promeneur infatigable de Séville, quelques décennies avant, dans Du sang, de la volupté et de la mort : « Les courses de taureaux [...] c’est le trait significatif de l’Espagne » ; on a rarement souligné combien ces deux personnages hiératiques étaient proches dans leurs goûts et dans leur posture.

La présence de l’Espagne et de la tauromachie dans l’œuvre de Jean Cau est constante, depuis la polémique avec Robert Misrahi dans Les Temps Modernes en mars 1955 où il dénonce l’amalgame, dans le milieu intellectuel de gauche, entre corrida et franquisme, jusqu’à La folie corrida (Gallimard, 1992), en passant par Vie et mort d’un toro brave (Denoël, 1963), Le roman de Carmen (De Fallois, 1990), et ses articles de Paris Match à propos desquels Pierre Bénichou écrivit dans Le Nouvel Observateur : « Je ne sais toujours pas si le journalisme est un art, mais si la réponse est oui, alors il aura été notre Goya. »

Goya ! Toujours l’Espagne !

Et plus précisément l’Andalousie.

Jean Cau s’était naturalisé andalou et gitan.

Lui, le cathare, ensorcelé par Séville ! Son image sévère de loup solitaire est transfigurée sous le ciel andalou, ciel où il voit, « par les nuits claires d’avril », « des fers de ganaderías qui étincellent. Bételgeuse m’est Miura, Andromède Pablo Romero. »

Contradiction apparente qu’il assumait, en souriant, comme un dédoublement de sa personnalité : « mon caractère de parfait est gâté par la possession d’un corps » (L’ivresse des intellectuels, Plon, 1992).

Jean Cau se défiait des aficionados français « cartésiens » et « bûcheurs » à l’afición livresque. Il nous invite ici à une tauromachie intuitive, impressionniste, sensuelle, riche en détails et en ornements, bref, il nous initie au toreo sévillan.

N’est-ce pas lui aussi qui écrivit cette maxime que tout aficionado connaît par cœur : « Aimer les toros, c’est chaque après-midi vers les cinq heures, croire au Père Noël et aller à ses rendez-vous » ?

Mais Sévillanes est d’abord une déclaration d’amour à une ville qui, si elle n’est pas l’Espagne, en est son « sourire » (Zweig).

Oubliez vos guides verts, rouges ou bleus et suivez Jean Cau pendant ces quelques semaines de printemps où rien n’a plus d’importance que la beauté des Vierges et la bravoure des toros ; vous sentirez grâce à lui l’âme de Séville, cette ville hors du monde qui ne pense qu’à elle et que vous aurez l’impression d’avoir toujours connue.

Avec lui, prenez une copita chez « Donald », suivez-le dans les allées de cyprès du cimetière de San Fernando où reposent les grands toreros, dans les venelles de Santa Cruz, sur la chaussée crissante de la cire répandue des milliers de cierges de la Semaine sainte, à la rencontre des limpiabotas et des mendiants, dans les casetas de la Féria où tourbillonnent les « Sévillanes », dans un tablao écouter des gitans, sur les gradins de pierre de la vieille Maestranza.

Osez même une échappée au campo voir les toros et « où le besoin de revoir Séville se fait plus pressant à mesure que l’heure s’approche de la fin d’après-midi ».

« Sevilla enamora al mundo por su manera de ser
Por su calor, por su feria, Sevilla tuvo que ser. »

(Séville courtisée par le monde entier, pour ta manière d’être,
Pour ta chaleur, pour ta féria, Séville, il fallait que ce soit toi.)