Hier soir, j’étais tellement enthousiaste que j’ai absolument voulu poster quelque chose sur Juan del Álamo avant la fin de la journée. Je me rends compte aujourd’hui que j’ai oublié deux choses. De toute façon il est agréable d'y revenir. Le premier oubli, c’est que j'aurais dû vous entretenir de la profondeur de son toreo de cape, de son empaque. Le second c’est que j’aurais dû écrire un mot, qui résume bien l’ensemble de mes sentiments : torería. La torería de Juan del Álamo.
Dans l’euphorie de la délectation du toreo de Juan del Álamo j’ai aussi oublié de vous dire que la novillada de Robert Margé était sortie sérieuse, encastée, variée et avec du piquant. Ce n’était pas une grande novillada, mais suffisamment pour mettre à l’épreuve les novilleros. Evidemment la vuelta ne trouve aucune justification et les deux oreilles se discutent. Mais comme pour Savalli, là n'est pas la question. Bref, un très bon moment, jamais ennuyeux. Et sous le fer, l’ensemble du lot, sans être d’une grande bravoure, aura été bien plus châtié que la corrida du vendredi... No comment... C’est inutile.
Et enfin, le rebondissement blogosphérique de Xavier Klein... que je m’empresse de reproduire ici, même sans son autorisation. Putain Xavier ! Mais qu’est-ce que tu attends pour nous le programmer à Orthez ! Juan del Álamo, torero blogosphérique !
Allez, je vous laisse avec la vision kleinexienne de Juan del Álamo. "Armistice Blues", c’était le titre de l’article écrit à l’occasion d’une novillada sans picadors.
N'ayant ni la mémoire, ni le désir d'une reseña, mieux vaut traduire l'instant, tel que je l'ai ressenti.
Nimbé d'exhalaisons de brumes froides, dans la lumière crue des projecteurs qui corrompaient la nuit tombante, Juan del Álamo affrontait le dernier novillo.
La gravité sempiternelle de son visage livide d'où toute joie semble proscrite, le calme imperturbable dont il ne paraît jamais se départir, l'étrange assurance qui l'habite, comme si rien ne pouvait contrarier son savoir et sa volonté, contrastent avec la juvénilité des traits.
La scène avait des relents de rêve ou de mémoires brusquement avivées. Il y avait là la réminiscence de ces souvenirs qui ne nous appartiennent pas, mais qui nous sont légués par l'anamnèse collective. J'ai revu la désolation lunaire des côtes de Marne éblouie des fusées éclairantes au moment de l'assaut nocturne : c'était Verdun, c'était le Chemin des Dames, c'était la Tranchée des baïonnettes. C'était la commémoration de la jeunesse qui lutte et se bat jusqu'au bout contre l'adversité. C'était l'hommage aux jeunes gars tombés dans la boue et le sang pour des chimères, pour conquérir dix toises de terrain, pour sauver le drapeau, pour rapporter le cadavre meurtri du camarade.
Le novillo coupait les terrains. Avisé ? Malvoyant ? Qu'importe ! Parmi le quatuor, seul Juan pouvait, par sa détermination, sa technique et son sens de la lidia, soumettre et dominer un tel adversaire. Le destin avait, à sa manière, bien disposé du sorteo. Aux autres étaient échus les brouettes, à lui étaient réservés l'outrage, le dépassement et le triomphe sur l'adversité.
Deux fois accroché, il se relevait avec l'esquisse d'une grimace, vite dissimulée sous le masque de l'impavidité, et mobilisant sa science, son jugement et sa résolution, se jouait de l'anicroche pour remonter au front et changer le destin.
Le garçon, bousculé, humilié par la fureur du toro borgne, ne cédait rien et surtout pas l'honneur. La temporada se terminait et il se battait avec la farouche obstination d'un commencement, comme il lutte avec chaque toro. Avec la même application et la même fougue contenue qu'un jour d'alternative.
La ténacité, l'intelligence du combat, l'efficacité pénétrante des passes, venaient graduellement à bout de la violence des assauts, de la sauvagerie des derrotes.
Enfin, ce fut une estocade approximative mais engagée et contraire.
Son visage enfantin de voyou triste, qu'on aurait cru tiré d'un film de Pasolini, conservait la même austère impassibilité, et s'étoilait des poussières du ruedo noyées de sueur.
Dans l'aura de buée, nul sourire, seulement un regard acéré...
Ainsi advient-il parfois dans les crépuscules automnaux de Gascogne des bribes de songes héroïques et vains.
Xavier Klein