17 avril 2009

Le Chant des Bêtes


Pierre Peuchmaurd est mort le dimanche 12 avril. Je l’ai appris ce mardi et j’ai soudain compris pourquoi cette fin de semaine avait été si grise ; pourquoi il avait fait si nuit en terre limousine. Pierre Peuchmaurd était poète. Et discret. Né dans le Paris de l’immédiate après-guerre, il avait l’âge de nos pères. Dans les années 70 il s’était installé à Brive où il animait les éditions Toril, Myrddin1... De sa poésie, sa vie, il assurait que le surréalisme en avait forgé son « axe moral ».

Un homme, Laurent Albarracin (Angers 1970)2, chasseur de mots entre Dordogne et Vézère, s’est enfoncé dans le grand bois de Peuchmaurd, a écarté les fougères et entendu la chouette au crépuscule, a écrasé la mousse et craint le loup à l’aube — il a vu dans la clairière le panache de fumée blanche s’échapper de la gueule du gibier. De l’impressionnant bestiaire de Peuchmaurd, Laurent Albarracin a écrit : « Les animaux symbolisent la sauvagerie et le désir, mais également l'enfance et la violence. Ils sont des figures de l'enfance du monde, de cet âge antérieur et intérieur au monde. Les animaux sont les enfants, et donc les pères des hommes. Ils représentent ainsi une bestialité survalorisée comme étant celle d'une origine violente, ou d'une royauté barbare, pour le dire mieux. Ils sont saufs de cette civilisation qui est notre nature émoussée, dévoyée, qui est notre mensonge et notre oubli de l'être. Les animaux sont le monde retourné (retournant) à son tranchant. Ils brillent d'un or poisseux, d'un sang qui est l'éclat des sources déchirées de l'être. »

Après Peuchmaurd, qui pour entonner le Chant des Bêtes ?...


Terre et larmes de bois,
des bêtes léchaient la nuit
se collaient à la mer
On n’avait pas le temps
de compter plumes et fièvres,
de noircir les tableaux
On abattait les jours
un par un, sans un rire

#

Mille bêtes dans la pièce noire
les unes sur le dos les autres à trois pattes
et toutes au fol espoir et à aucun espoir
et si lentes à gravir le mur de leur passion
que le jour s’est levé et qu’on va les tuer

#

Au sortir du feu la bête était rouge
elle entrait dans le temps
elle avait déjà l’éclat de la perte
Ce soir (l’arc et la poudre
et la dague de lumière)
sa fourrure sur les eaux,
sa peau nue sur ta bouche

#

Tromper et se tromper
c’est le même filet gris
dans l’eau qui ne va nulle part
le même geste du miroir
devant l’autre miroir
C’est la même pluie sur tout
et le même bétail mort

#

Tabac gris fleurs de sang
la nuit protège ses porcs
et les abat doucement
dans des coins de soleil
qu’elle a gardés pour ça

#

Un temps de plumes
de neige et de bouchers
une tente de pluie
une chèvre froide —
nous dormons sous des ciels sans frein
des ciels rouges quand ils veulent,
nous dormons des nuits lentes
sous la tente des bouchers


6 poèmes 6 de Pierre Peuchmaurd tirés de Lisière lumineuse des années, L’Air de l’eau, Brive, 1997.

1 Pierre Peuchmaurd participa à diverses aventures éditoriales et fut publié dans de nombreuses revues littéraires. Impossible ici de les mentionner toutes...
2 Laurent Albarracin, Pierre Peuchmaurd, témoin élégant, L’Oie de Cravan, Montréal, 2007.

Image Dans la série « Le Monde Les Bêtes » : Taureau, 1990 / Mine de plomb, 126 x 160 cm © Philippe Ségéral (Brive 1954)