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08 avril 2013

Picasso, artiste torero


Il y a quarante ans mourrait Picasso. Si l’on parle souvent de torero artiste, ne peut-on pas parler, dans son cas, d’artiste torero ?

C’est sans doute ce que pensait un autre Pablo célèbre, Neruda : 

« Mais le taureau se montra depuis les coulisses
au centre du monde, je vis sa voix, il arrivait
foulant les terres de Picasso… »



28 janvier 2013

Estocade grecque


De retour d’un rapide voyage hellène, je vous ai rapporté un souvenir du musée de l’Acropole, authentique merveille datant de juste avant la crise…

Sur la photo jointe, un lécythe du Ve siècle avant J.-C. est illustré par ce dessin d’Héraclès accomplissant l’un de ses travaux. Il semble que le demi-dieu y soit en train de porter une estocade contraire à un toro negro hociblanco, littéralement terrassé par le coup d’épée.

Il ne s’agirait que de l’épisode du taureau blanc de Crète, qu’Héraclès se contenta de capturer et de ramener à la cour d’Eurysthée. Celui-ci le laissa terroriser les populations des alentours de Marathon après qu’Héra eut refusé de se le voir offrir en sacrifice (quelle garce !). Il fallut donc, selon la légende, que Thésée terminât le boulot en tuant le bicho. Le taureau en question n’est autre que le père du Minotaure, autre victime de Thésée.

_____________

Abondance de biens ne nuit pas : pour illustrer pareille pièce, je vous propose un poème de Leconte de Lisle (1818 - 1894) tiré de ses Poèmes antiques (1852).

Hèraklès au Taureau

Le soleil déclinait vers l’écume des flots,
Et les grasses brebis revenaient aux enclos ;
Et les vaches suivaient, semblables aux nuées
Qui roulent sans relâche, à la file entraînées,
Lorsque le vent d’automne, au travers du ciel noir,
Les chasse à grands coups d’aile, et qu’elles vont pleuvoir.
Derrière les brebis, toutes lourdes de laine,
Telles s’amoncelaient les vaches dans la plaine.
La campagne n’était qu’un seul mugissement,
Et les grands chiens d’Élis aboyaient bruyamment.
Puis, succédaient trois cents taureaux aux larges cuisses,
Puis deux cents au poil rouge, inquiets des génisses,
Puis douze, les plus beaux et parfaitement blancs,
Qui de leurs fouets velus rafraîchissaient leurs flancs,
Hauts de taille, vêtus de force et de courage,
Et paissant d’habitude au meilleur pâturage.
Plus noble encor, plus fier, plus brave, plus grand qu’eux,
En avant, isolé comme un chef belliqueux,

Phaétôn les guidait, lui, l’orgueil de l’étable,
Que les anciens bouviers disaient à Zeus semblable,
Quand le Dieu triomphant, ceint d’écume et de fleurs,
Nageait dans la mer glauque avec Europe en pleurs.
Or, dardant ses yeux prompts sur la peau léonine
Dont Hèraklès couvrait son épaule divine,
Irritable, il voulut heurter d’un brusque choc
Contre cet étranger son front dur comme un roc ;
Mais, ferme sur Ses pieds, tel qu’une antique borne,
Le héros d’une main le saisit par la corne,
Et, sans rompre d’un pas, il lui ploya le col,
Meurtrissant ses naseaux furieux dans le sol.
Et les bergers en foule, autour du fils d’Alkmène,
Stupéfaits, admiraient sa vigueur surhumaine,
Tandis que, blancs dompteurs de ce soudain péril,
De grands muscles roidis gonflaient son bras viril.

23 avril 2012

« Ivoire brisé » sur fond orange


L'oubli. Il ne nous en voudra pas le Ciego. Oublier, s'oublier, ça va bien au flamenco, non ? À la poésie aussi, ça fait pas un pli… de page. Nous avions oublié. Pourtant, il trône sur ma bibliothèque au centre, au milieu, orange parmi le blanc, orange sur les tranches de livres. Je le vois tous les jours, je le lis souvent, je m'y oublie facilement.

Il faut ouvrir ce livre parce que « de l'autre côté de la porte / le temps comptait la vie / et la mort dans la vulve de l'horloge Coppel ».

Ludovic Pautier a écrit ces poèmes ; j'aime.


>>>
Ludovic Pautier, Ivoire brisé. Poésie & flamenco, Éditions Atelier Baie, 2012, 10,14 €.

Lien Le blog du Ciego : Los pinchos del Ciego.

28 octobre 2010

Prix Mallarmé 2010


Chaque année depuis un certain nombre, l'Académie Mallarmé décerne à un auteur contemporain d'expression française le prix de poésie du même nom. Après le Prix Nobel de littérature récompensant un Mario Vargas Llosa ami de la Fiesta, les mallarméens ont tout récemment choisi le leur : Robert Marteau (1925) pour son recueil Le temps ordinaire (Champ Vallon, 2009). Remis lors de la prochaine et imminente Foire du livre de Brive — les amoureux des petites fabriques de bouquins passeront leur chemin —, le lecteur ébloui et envoûté de Pentecôte1 (Gallimard, Collection Blanche, 1973) ne ratera pas l'occasion d'aller toucher des yeux le récipiendaire du Prix Mallarmé 2010. Auteur en 2007 de Sur le sable. Toros, toreros, toreo aux éditions Mémoire Vivante2, Robert Marteau y livrait une vision pleine de spiritualité de la tauromachie : « Comme la peinture la tauromachie est maniement d'abord mais où l'âme est hautement impliquée, car il faut la tenir et même la maintenir plus haut que le cœur. À qui lui demandait comment il se décidait à entrer dans le cercle où déjà le fauve avait pénétré, Luis Miguel Dominguin répondait : "Parce que je suis déjà mort." Et cela se lie parfaitement avec ce que dit le chamane : "Va libre celui-là seul qui se guérit de sa mort dès sa jeunesse." Et tel était bien le but de l'initiation du jeune Indien d'Amérique du Nord. »

Enfin, il n'était décemment pas envisageable de clore ce post sans vous livrer un poème — Soupir — de Stéphane Mallarmé (1842 – 1898) :

Mon âme vers ton front où rêve, ô calme sœur,
Un automne jonché de taches de rousseur,
Et vers le ciel errant de ton œil angélique
Monte, comme dans un jardin mélancolique,
Fidèle, un blanc jet d'eau soupire vers l'Azur !
— vers l'Azur attendri d'Octobre pâle et pur
Qui mire aux grands bassins sa langueur infinie
Et laisse, sur l'eau morte où la fauve agonie
Des feuilles erre au vent et creuse un froid sillon,
Se traîner le soleil jaune d'un long rayon.


1 Si certain-e-s parmi vous ont lu et aimé Le rivage des Syrtes de Julien Gracq, La grande peur dans la montagne de Charles-Ferdinand Ramuz ou Le chant du monde de Jean Giono, alors ils savent ce qu'il leur reste à faire...
2 Le 25 septembre dernier a paru le second tome des chroniques taurines de Robert Marteau : Entre sable et ciel. Toros, toreros, toreo, Éditions Mémoire Vivante, 2010.

Image © Mémoire Vivante

08 septembre 2010

Le picador, le président et son délégué aux piques















Par une matinée de ce mois d'août ou de juillet,
un président, son délégué et un "encastoréñé",
vinrent méchamment à tchatcher
de l'objet sur lequel ce dernier besognait.

Eh là, l'ami, comment diable cette lance est montée ?
Ignorez-vous donc qu'en ces lieux la règle se veut respectée ?
Car, vers les cieux, votre lame est foutrement dressée,
et, me semble-t-il, vous n'y êtes pas autorisé !


— Cool, Raoul, répondit le mec, pas impressionné.
Quel mal vous prend de venir me les briser ?
Observez plutôt le geste : ma pique, à 180 degrés, est balancée,
et voyez, au final, comme le tranchant est désarmé.


Plantés cons comme des marcassins fraîchement nés,
d'un : « Ah ouais, dis donc, c'est vrai ! », tous deux acquiesçaient,
car, d'un coup sec de poignet, à l'endroit, en effet, la puya se retrouvait.
Pour l'enfoiré mal intentionné, l'affaire était savamment ficelée.

Ok, mais j'vous ai pas tout raconté, enchérissait le cravaté pas démonté.
Nous souhaitons qu'en deux fois, le fer soit trempé !
L'un pour que le bestiau puisse y goûter,
l'autre pour que sa Bravoure y soit "grave kiffée" ;


De ce tiers ignoré, la foule doit s'enthousiasmer,
que ce business soit rondement mené,
et si cela, au final, se voyait joliment fait,
de trois notes de musique, l'on vous récompenserait.


— Ta mère en short chez JotaC !
ricana le piquero, carrément gonflé.
— De votre zique, je n'ai rien à branler !
Savez-vous où vous pouvez vous la carrer ?


D'un autoradio, ma bagnole est dotée,
et si de "ziquemu" mes oreilles venaient à manquer,
c'est dans ma Benz décapotée,
que j'irais copieusement les soulager !


C'est pas pour l'arpège que j'me déguise en chevalier,
mais plutôt pour remplir mon joufflu porte-monnaie,
ceci dit, votre idée m'a bien fait marrer,
et la prochaine fois, d'un I-pod 3G mon poney j'équiperai.


A ces mots, le président et le délégué,
se voyant dans leurs 22 mètres renvoyés,
admettaient s'être bien fait carotter,
et de cette histoire, tous deux concluaient,

Que malgré l'or qui le recouvrait,
les honneurs qu'on lui devait, et bien que joliment coiffé,
en autre chose qu'une merde avérée,
un étron ne pouvait se dissimuler.

Post-scriptum Toute ressemblance avec des personnes ou des événements serait logique, puisque tout cela est absolument véridique. Alors, faudra pas venir pleurer quand, bientôt, on dira : « FUCK OFF, LA PIQUE ! »

Dessin © Jérôme 'El Batacazo' Pradet

19 octobre 2009

Sonetos de la impostura


Mierda y mierda se escombra y se acumula,
mierda y más mierda emerge y se amontona,
mierda y más mierda expélese y pregona:
razón de Estado mierda disimula.
Por los resquicios del poder ulula
viento de mierda y mierda. Es la hora nona,
es la hora y la mierda se apoltrona
en palacios de mármol. Copula
la mierda con el crimen y la historia,
la mierda con la farsa y con el drama;
luz sin gloria, con cólera y con mierda.
Todo es mierda, detritus, polvo, escoria.
Pan como mierda con proclama.
Manos sucias y mierda y todo mierda.

Javier Villán
Sonetos de la impostura, 1994.


Madrid, Las Ventas

17 avril 2009

Le Chant des Bêtes


Pierre Peuchmaurd est mort le dimanche 12 avril. Je l’ai appris ce mardi et j’ai soudain compris pourquoi cette fin de semaine avait été si grise ; pourquoi il avait fait si nuit en terre limousine. Pierre Peuchmaurd était poète. Et discret. Né dans le Paris de l’immédiate après-guerre, il avait l’âge de nos pères. Dans les années 70 il s’était installé à Brive où il animait les éditions Toril, Myrddin1... De sa poésie, sa vie, il assurait que le surréalisme en avait forgé son « axe moral ».

Un homme, Laurent Albarracin (Angers 1970)2, chasseur de mots entre Dordogne et Vézère, s’est enfoncé dans le grand bois de Peuchmaurd, a écarté les fougères et entendu la chouette au crépuscule, a écrasé la mousse et craint le loup à l’aube — il a vu dans la clairière le panache de fumée blanche s’échapper de la gueule du gibier. De l’impressionnant bestiaire de Peuchmaurd, Laurent Albarracin a écrit : « Les animaux symbolisent la sauvagerie et le désir, mais également l'enfance et la violence. Ils sont des figures de l'enfance du monde, de cet âge antérieur et intérieur au monde. Les animaux sont les enfants, et donc les pères des hommes. Ils représentent ainsi une bestialité survalorisée comme étant celle d'une origine violente, ou d'une royauté barbare, pour le dire mieux. Ils sont saufs de cette civilisation qui est notre nature émoussée, dévoyée, qui est notre mensonge et notre oubli de l'être. Les animaux sont le monde retourné (retournant) à son tranchant. Ils brillent d'un or poisseux, d'un sang qui est l'éclat des sources déchirées de l'être. »

Après Peuchmaurd, qui pour entonner le Chant des Bêtes ?...


Terre et larmes de bois,
des bêtes léchaient la nuit
se collaient à la mer
On n’avait pas le temps
de compter plumes et fièvres,
de noircir les tableaux
On abattait les jours
un par un, sans un rire

#

Mille bêtes dans la pièce noire
les unes sur le dos les autres à trois pattes
et toutes au fol espoir et à aucun espoir
et si lentes à gravir le mur de leur passion
que le jour s’est levé et qu’on va les tuer

#

Au sortir du feu la bête était rouge
elle entrait dans le temps
elle avait déjà l’éclat de la perte
Ce soir (l’arc et la poudre
et la dague de lumière)
sa fourrure sur les eaux,
sa peau nue sur ta bouche

#

Tromper et se tromper
c’est le même filet gris
dans l’eau qui ne va nulle part
le même geste du miroir
devant l’autre miroir
C’est la même pluie sur tout
et le même bétail mort

#

Tabac gris fleurs de sang
la nuit protège ses porcs
et les abat doucement
dans des coins de soleil
qu’elle a gardés pour ça

#

Un temps de plumes
de neige et de bouchers
une tente de pluie
une chèvre froide —
nous dormons sous des ciels sans frein
des ciels rouges quand ils veulent,
nous dormons des nuits lentes
sous la tente des bouchers


6 poèmes 6 de Pierre Peuchmaurd tirés de Lisière lumineuse des années, L’Air de l’eau, Brive, 1997.

1 Pierre Peuchmaurd participa à diverses aventures éditoriales et fut publié dans de nombreuses revues littéraires. Impossible ici de les mentionner toutes...
2 Laurent Albarracin, Pierre Peuchmaurd, témoin élégant, L’Oie de Cravan, Montréal, 2007.

Image Dans la série « Le Monde Les Bêtes » : Taureau, 1990 / Mine de plomb, 126 x 160 cm © Philippe Ségéral (Brive 1954)

11 mars 2009

Mano a mano


ORTHEZ 6 VENDREDI 13 MARS 2009, 20h30
Salle Francis Planté, (création)

Olivier Deck & André Velter

JESUS AURED accordéon
PATRICE CAZALS guitares, textures sonores
AZIZ FAYET oud, percussions

Récital de poésie & musique improvisée

Il y va de la quadrature du souffle
sur un cercle de sable et de lumière.
Des voix comme autant de soleils de sangs rouges ou noirs.
Musique improvisée en terrains découverts,
jazz en partance, jazz torero
avec des galops d’ombre et des charges de feu.
Poésie à risques, sans assurance.
Poésie cavalière qui se veut en cavale.
Poésie d’arène et de roulotte au long cours.
Voyage qui se voue à l’éveil du duende.

09 octobre 2008

Antonio Gamoneda


Dans un récent post annonçant la manifestation littéraire girondine et aquitaine Lettres du monde / Les Espagnoles (du 9 au 23 octobre), Ludo y regrettait « l'absence des poètes (à part Llamazares mais il ne vient pas pour cela) et de leurs traducteurs », notamment celle de feu José Ángel Valente par la voix de son ami Jacques Ancet, lui-même traducteur d’un autre "monstre" — bien vivant — de la poésie espagnole : Antonio Gamoneda (Oviedo 1931), « l'homme dont le métier est la vie » (Yvon Le Men).
Tardivement honoré (entre autres, Premio Cervantes 2006), fêté dans toute la péninsule et même au-delà, Antonio Gamoneda n’a de cesse de répéter, à qui veut l’entendre pour (le) comprendre, que « Mi poesía y mi vida se han formado llevando en sí las marcas del sufrimiento que, en la infancia, recayó sobre mi existencia y sobre la de tantos otros españoles : el sufrimiento derivado de la orfandad, el desgarramiento de la guerra civil y la pobreza. [...] Porque este pequeño ser es en mi poesía el símbolo creciente de ese futuro más bello, quiero terminar mis palabras con una breve expresión poemática que, en su intención, incluye a todos los pequeños seres de España entre los que están, Señora, los que son vuestros descendientes. « Eres como una flor ante el abismo, eres la última flor. » » (extrait du discours lors de la remise du Premio Reina Sofía 2006)
Je n’irai pas jusqu’à relever le défi saugrenu de disserter sur la poésie de Gamoneda (cf. liens ci-dessous). En revanche, donner à en lire quelques lignes, c’est dans mes cordes. Bien entendu, l’écran ne remplacera jamais, ô grand jamais, l’objet que l’on prend pleinement dans ses mains, avec fébrilité. Un jour, vous verrez, vous saisirez un livre de Gamoneda, vous marcherez avec, vous finirez par l’ouvrir et par accrocher des mots à vos lèvres avant de le refermer puis de le reposer — ici ou là qu’importe, vous ne sauriez le perdre, encore moins l’oublier —, comme ça, la paume à plat et les doigts qui caressent en se retirant. Vous ressentirez alors la très nette sensation d’avoir "bien" employé votre journée.

Blues del mostrador et Caigo sobre una silla sont tirés de Blues castellano (écrit entre 1961 et 1966, publié en 1982), traduits par Jacques Ancet (Blues castillan, José Corti, 2004). Extraits de Libro del frío (1992), les deux poèmes suivants ont été traduits par Martine Joulia & Jean-Yves Bériou (Livre du froid, Antoine Soriano, Éditeur, 1996) :

Blues du comptoir

Il est venu le papier dans les mains
il m’a fixé de ses yeux fatigués.
Il est venu avec papier et mains
et j’ai senti son regard dans ma vie.

S’il vient un autre jour avec ses mains
et son papier me fixer en silence,
j’espère savoir pourquoi il me fixe
pourquoi il est vieux, grand et pourquoi pèsent
au fond de mon cœur ces yeux fatigués.

Blues del mostrador /// Llegó con el papel entre las manos / y me miró con sus ojos cansados. / Llegó con el papel y con sus manos / y yo sentí su mirada en mi vida. // Cuando venga otro día con sus manos / y su papel a mirarme en silencio, / espero comprender por qué me mira, / por qué es viejo y es grande y por qué pesan / en mi corazón estos ojos cansados.


Je tombe sur une chaise

Lorsque je tombe sur une chaise
et que ma tête frôle la mort ;
lorsque je prends de mes mains les ténèbres
des casseroles, ou lorsque je contemple
les documents qui font état
de la tristesse, c’est
l’amitié qui me soutient.

Caigo sobre una silla /// Cuando yo caigo sobre una silla / y mi cabeza roza la muerte; / cuando cojo con mis manos la tiniebla / de las cazuelas, o cuando contemplo / los documentos representativos / de la tristeza, es / la amistad quien me sostiene.


Sur des excréments de troupeaux, je monte puis m’étends sous les chênes musicaux.

Volent des colombes entre mon corps et le crépuscule, cesse le vent et les ombres sont humides.

Herbes de solitude, colombes noires : je suis arrivé, enfin ; ici n’est pas mon lieu, mais je suis arrivé.

Sobre excremento de rebaños, subo y me acuesto bajo los robles musicales. // Cruzan palomas entre mi cuerpo y el crepúsculo, cesa el viento y las sombras son húmedas. // Hierba de soledad, palomas negras: he llegado, por fin; éste no es mi lugar, pero he llegado.


Quelqu’un est entré dans la mémoire blanche, dans l’immobilité du cœur.

Je vois une lumière par-dessous la brume et la douceur de l’erreur m’oblige à fermer les yeux.

C’est l’ivresse de la mélancolie ; comme approcher son visage d’une rose malade, indécise entre le parfum et la mort.

Alguien ha entrado en la memoria blanca, en la inmovilidad del corazón. // Veo una luz debajo de la niebla y la dulzura del error me hace cerrar los ojos. // Es la ebriedad de la melancolía; como acercar el rostro a una rosa enferma, indecisa entre el perfume y la muerte.

En plus
— Un Dossier Gamoneda (en castillan), dont une entrevue, par le Círculo de Bellas Artes de Madrid ;
— Un article de Jacques Ancet sur Poezibao où est proposée une bibliographie des traductions françaises ;
— Une critique de Blues castillan et Description du mensonge (José Corti, 2004) par Marc Blanchet pour la revue Le Matricule des Anges ;
— Enfin, sur le blog Faro Gamoneda, un article de Julio Llamazares (en castillan), Descripción de la mentira (El País, 2007).

Images Antonio Gamoneda chez lui à León (été 2007) © Wikipédia Tauromaquia: Mortal 1936, poèmes d’Antonio Gamoneda — sur la matanza en la Plaza de toros de Badajoz durant la Guerre civile — et illustrations cataclysmiques de Juan Barjola (Asamblea de Extremadura, 1994). Couverture piquée dans la revue bilbaína Zurgai, intégralement consacrée à l’écrivain (décembre 2001). Une traduction de Jacques Ancet a paru dans le n° 852 (avril 2000) de la revue Europe.

14 février 2008

Coplas flamencas


Quoi ? Comment ? Vous avez oublié de souhaiter la Saint Valentin à l’élue de votre cœur qui, soit dit en passant, ne s’appelle pas Valentine. Qu’importe, j’ai pour vous, incorrigibles étourdis, quelques mots doux andalous. Des coplas flamencas, des trucs du feu de Dieu que personne n’a jamais entendus, ni lus d’ailleurs. Pour cette séance de rattrapage, va falloir s’entraîner un peu (en français, ne tentez pas le diable), se mettre en condition, prendre son courage à deux mains et, surtout, choisir le bon moment — sans nul doute une des clés de la réussite.
Bon, c’est sûr, l’émotion passée, elle risque fort de vous demander où vous avez pêché ça ! Pas de panique, plusieurs solutions s’offrent à vous. Avant toute chose, gardez votre sang froid, même si ça bout "un peu beaucoup" à l’intérieur. Aussi, dans — presque — tous les cas, ne soyez pas ballots, assurez-vous que votre bien-aimée ne consulte pas régulièrement Campos y Ruedos ! :

1/
« Une feuille, un stylo, du temps, beaucoup de temps... » C’est un poil laborieux, ça manque un chouïa de poésie (bizarre ?), mais vous lui avez consacré du temps, alors...
2/ « L’inspiration, ça ne s’explique pas, tu sais, c’est comme l’amour... » Des qualités théâtrales et littéraires certaines, voire un gros sens de l’humour, ne seront pas de trop ! L’éclat de rire collectif devrait tout balayer... Restez malgré tout sur le qui-vive, on ne sait jamais avec elles... Popopopopop...
3/ « C’est en réécoutant Camarón de la Isla, l’autre jour à la médiathèque*. Je pensais à toi... » Bon, elle n’ira pas vérifier mais, en plus des conditions précédentes, vaut mieux être un très bon hispanisant plutôt qu’un piètre germaniste ; avoir la réputation de traîner souvent à la médiathèque, c’est bien, mais pas nécessaire d'en détenir la carte non plus. Si vous rentrez dans les critères, cette option a son charme.
* Existe aussi la variante du Supplément d'El País que tonton Roger a récupéré... Ça me paraît compliqué et hasardeux, n’est-ce pas ?
4/ « Euuhh... J’t’en pose des questions ? Chuis allé sur Campos y Ruedos au boulot ! » Non, non, non et non malheureux !!! On respire un grand coup, on se reprend et on oublie la 4, OK ? À moins que...

J'arrête là mes vulgaires palabres, place à ces coplas flamencas tan bonitas :

C’est sûr, ton père devait
Être un fameux confiseur
Pour donner à tes lèvres
Ce goût de caramel.
Sin duda tu padre / Fue confitero / Te hizo los labios / De caramelo

Écoute, tu es si belle
Que le croque-mort
En te voyant
Jette sa bêche en sanglotant.

Mira si tú eres bonita / Que hasta el mismo enterrador, / Al mirar aquella cara / Tiró la azada y lloró

Cet amour que nous vivons
Va faire un jour plus de boucan
Qu’un tremblement de terre.
Este queré de nosotros / Ha de meté más ruío / Que un día e terremoto

Coplas tirées de : La poesía flamenca lírica en andaluz, por J. M. Pérez Orozco y J. A. Fernández Bañuls, Ediciones del Ayuntamiento de Sevilla, 1983.
Coplas traduites de l’espagnol par Martine Joulia.

Image Le guitariste 'El Piyayo' 1866-1940 © Je me consume 2, Coplas flamencas, Traduction Martine Joulia, Présentation Jean-Yves Bériou, Collection Antoine Soriano, Paris-Barcelone, 2001.

04 mars 2007

Comme un linceul qui se déploie... Campo Charro (IV)

Sur mon cou sans armure et sans haine, mon cou
Que ma main plus légère et grave qu’une veuve
Effleure sous mon col, sans que ton cœur s’émeuve,
Laisse tes dents poser leur sourire de loup.

Ô viens mon beau soleil, ô viens ma nuit d’Espagne,
Arrive dans mes yeux qui seront morts demain.
Arrive, ouvre ma porte, apporte-moi ta main,
Mène-moi loin d’ici battre notre campagne.


Le ciel peut s’éveiller, les étoiles fleurir,
Ni les fleurs soupirer, et des prés l’herbe noire
Accueillir la rosée où le matin va boire,
Le clocher peut sonner : moi seul je vais mourir.

Le chant du condamné à mort.
Face au linceul qui se déploie, promis, incantatoire, sinistre. Les heures sont comptées, sans cesse, comme le chapelet glisse entre les phalanges usées des vieilles posées à chaque heure du jour sur les bords du monde. On attend Godot dans ces confins des terres charras où l’hallucinée Thérèse se fait caresser l’éternité par le modeste río Tormes. On attend Godot mais viendra-t-il Godot ? Et qui est-il Godot ?
Les toros sont là, eux. Et Juan Mateos Sánchez paraît fier de les montrer, de dire quels sont leurs historiques sobriquets comme ces 'Carafeo'. C’est pas du 0 %-100 % light, on s’en serait douté, c’est bas, dans le style La Corte originel (non Atanasio), armé façon « me cassez pas les c... » mais sans exagération ni outrecuidance. C’est beau à voir, même ceux qui iront gratouiller les culs bénis des chevaux de rejón. La camada est courte, pas plus d’une grosse vingtaine de toros, ça nous fera un lot voire deux si ces "brutos" ne se mettent pas trop les tripes à l’air d’ici le début de la temporada.

Ô viens mon ciel de rose, ô ma corbeille blonde !
Visite dans sa nuit ton condamné à mort.
Arrache-toi la chair, tue, escalade, mords,
Mais viens ! Pose ta joue contre ma tête ronde.

Nous n’avions pas fini de nous parler d’amour.
Nous n’avions pas fini de fumer nos gitanes.
On peut se demander pourquoi les Cours condamnent
Un assassin si beau qu’il fait pâlir le jour.

L’amant verse sa larme. Devant lui, malgré lui, fuient ces heures d’idylle qu’une corde maligne voudrait rendre à l’oubli. Autrefois "mangetripes", l’amant, maintenant Catalan, miroite son diamant , "assassin si beau qu’il fait pâlir" les hommes. Les toros de feu le "cura" sont-ils ces condamnés à la potence que voudraient l’évidence d’un monde taurin acquis tout entier (pas complètement heureusement) à la benoîte messe de troisième tiers ? Ne sont-ils plus aujourd’hui que sursis voire remise de peine ? Tout le monde le dit : "tu verras c’est à l’abandon", "c’est la décadence"... "Valverde, c'est fini !"

Soit, et seuls les Cérétans, savoureux barjots de la cause taurine, alchimistes fadas d’encastes en désuétude, parlent encore à l’amant, le regardent, le veulent. Ils l’auront en juillet !
La maison blanche est petite, comme Juan, et semble être là depuis bien longtemps, comme Juan. Elle a une douceur toute simple, sans ostentation ni prétention, comme Juan. Il parle lentement, comme un papi au petit dernier. Ça doit lui venir du temps où il apprenait à voir les toros avec son abuelo dont il évoque un souvenir omniprésent. Les toros vus, il nous a fait entrer dans la bicoque... On sait où on va, "Valverde" est écrit gros à gauche de la porte.
Derrière elle, une photographie ! La traversée du temps et du siècle dernier...
A droite, au fond, Leopoldo, le frère de Juan, regarde la télévision (une corrida de Mexico et les toros ne sont pas bons !). Il n’est pas comme Juan, plus grand, plus « coquet » semble-t-il, sorte de lord anglais évadé au campo. Face à lui, dos au poste, Sinforosa (oui, oui Sinforosa ! ou est-ce Consolación ?) bloque sur un coin de fenêtre, attendant peut-être elle aussi, dans son immobilisme couvert de noir, que le Tormes vienne border ses nuits. Ils sont là, les deux, face à face, seuls, silencieux, dans une pièce où chaque bibelot respire le vermeil. Il y a des photographies qui restent dans les yeux !
Juan nous a parlé de ses toros, et de ceux des autres, du besoin de rafraîchir le sang, oui mais avec quoi (pur Conde de la Corte) ? Il nous a dit ce qu’il pensait des indultos de la modernité et de ce qu’était un toro brave. Il a ri, il avait l’air bien à parler de toros. Il avait des milliers de mots à nous dire...

Ô traverse les murs ; s’il le faut marche au bord
Des toits, des océans ; couvre-toi de lumière,
Use de la menace, use de la prière,
Mais viens, ô ma frégate, une heure avant ma mort.

Qu’adviendra-t-il de Valverde dans quelques années ? Nous n’avons pas osé poser la question, c’est gênant de parler de la mort quand elle sent à plein nez. Pourtant, Juan avait des lueurs de sursis dans les yeux. Bah ! Le romantisme vit jusqu’au bout, même "une heure avant ma mort".

Dans quelques jours, voire quelques heures, la galerie de la camada 2007 et du lot de Céret 2007 des toros de Valverde sera en ligne sur le site, ainsi que la photographie du toro qui défendra la devise à la corrida concours de Vic 2007.

>>> Vous pouvez d'ores et déjà consulter la fiche de l'élevage Valverde ainsi que l'entretien de Juan Mateos Sánchez sur le site Terre de toros.

Le poème est de Jean Genet (Le condamné à mort, 1942).