Sur mon cou sans armure et sans haine, mon cou
Que ma main plus légère et grave qu’une veuve
Effleure sous mon col, sans que ton cœur s’émeuve,
Laisse tes dents poser leur sourire de loup.
Ô viens mon beau soleil, ô viens ma nuit d’Espagne,
Arrive dans mes yeux qui seront morts demain.
Arrive, ouvre ma porte, apporte-moi ta main,
Mène-moi loin d’ici battre notre campagne.
Que ma main plus légère et grave qu’une veuve
Effleure sous mon col, sans que ton cœur s’émeuve,
Laisse tes dents poser leur sourire de loup.
Ô viens mon beau soleil, ô viens ma nuit d’Espagne,
Arrive dans mes yeux qui seront morts demain.
Arrive, ouvre ma porte, apporte-moi ta main,
Mène-moi loin d’ici battre notre campagne.
Le ciel peut s’éveiller, les étoiles fleurir,
Ni les fleurs soupirer, et des prés l’herbe noire
Accueillir la rosée où le matin va boire,
Le clocher peut sonner : moi seul je vais mourir.
Le chant du condamné à mort.
Face au linceul qui se déploie, promis, incantatoire, sinistre. Les heures sont comptées, sans cesse, comme le chapelet glisse entre les phalanges usées des vieilles posées à chaque heure du jour sur les bords du monde. On attend Godot dans ces confins des terres charras où l’hallucinée Thérèse se fait caresser l’éternité par le modeste río Tormes. On attend Godot mais viendra-t-il Godot ? Et qui est-il Godot ?
Les toros sont là, eux. Et Juan Mateos Sánchez paraît fier de les montrer, de dire quels sont leurs historiques sobriquets comme ces 'Carafeo'. C’est pas du 0 %-100 % light, on s’en serait douté, c’est bas, dans le style La Corte originel (non Atanasio), armé façon « me cassez pas les c... » mais sans exagération ni outrecuidance. C’est beau à voir, même ceux qui iront gratouiller les culs bénis des chevaux de rejón. La camada est courte, pas plus d’une grosse vingtaine de toros, ça nous fera un lot voire deux si ces "brutos" ne se mettent pas trop les tripes à l’air d’ici le début de la temporada.
Ô viens mon ciel de rose, ô ma corbeille blonde !
Visite dans sa nuit ton condamné à mort.
Arrache-toi la chair, tue, escalade, mords,
Mais viens ! Pose ta joue contre ma tête ronde.
Nous n’avions pas fini de nous parler d’amour.
Nous n’avions pas fini de fumer nos gitanes.
On peut se demander pourquoi les Cours condamnent
Un assassin si beau qu’il fait pâlir le jour.
L’amant verse sa larme. Devant lui, malgré lui, fuient ces heures d’idylle qu’une corde maligne voudrait rendre à l’oubli. Autrefois "mangetripes", l’amant, maintenant Catalan, miroite son diamant , "assassin si beau qu’il fait pâlir" les hommes. Les toros de feu le "cura" sont-ils ces condamnés à la potence que voudraient l’évidence d’un monde taurin acquis tout entier (pas complètement heureusement) à la benoîte messe de troisième tiers ? Ne sont-ils plus aujourd’hui que sursis voire remise de peine ? Tout le monde le dit : "tu verras c’est à l’abandon", "c’est la décadence"... "Valverde, c'est fini !"
Soit, et seuls les Cérétans, savoureux barjots de la cause taurine, alchimistes fadas d’encastes en désuétude, parlent encore à l’amant, le regardent, le veulent. Ils l’auront en juillet !
La maison blanche est petite, comme Juan, et semble être là depuis bien longtemps, comme Juan. Elle a une douceur toute simple, sans ostentation ni prétention, comme Juan. Il parle lentement, comme un papi au petit dernier. Ça doit lui venir du temps où il apprenait à voir les toros avec son abuelo dont il évoque un souvenir omniprésent. Les toros vus, il nous a fait entrer dans la bicoque... On sait où on va, "Valverde" est écrit gros à gauche de la porte.
Derrière elle, une photographie ! La traversée du temps et du siècle dernier...
A droite, au fond, Leopoldo, le frère de Juan, regarde la télévision (une corrida de Mexico et les toros ne sont pas bons !). Il n’est pas comme Juan, plus grand, plus « coquet » semble-t-il, sorte de lord anglais évadé au campo. Face à lui, dos au poste, Sinforosa (oui, oui Sinforosa ! ou est-ce Consolación ?) bloque sur un coin de fenêtre, attendant peut-être elle aussi, dans son immobilisme couvert de noir, que le Tormes vienne border ses nuits. Ils sont là, les deux, face à face, seuls, silencieux, dans une pièce où chaque bibelot respire le vermeil. Il y a des photographies qui restent dans les yeux !
Juan nous a parlé de ses toros, et de ceux des autres, du besoin de rafraîchir le sang, oui mais avec quoi (pur Conde de la Corte) ? Il nous a dit ce qu’il pensait des indultos de la modernité et de ce qu’était un toro brave. Il a ri, il avait l’air bien à parler de toros. Il avait des milliers de mots à nous dire...
Ô traverse les murs ; s’il le faut marche au bord
Des toits, des océans ; couvre-toi de lumière,
Use de la menace, use de la prière,
Mais viens, ô ma frégate, une heure avant ma mort.
Qu’adviendra-t-il de Valverde dans quelques années ? Nous n’avons pas osé poser la question, c’est gênant de parler de la mort quand elle sent à plein nez. Pourtant, Juan avait des lueurs de sursis dans les yeux. Bah ! Le romantisme vit jusqu’au bout, même "une heure avant ma mort".
Dans quelques jours, voire quelques heures, la galerie de la camada 2007 et du lot de Céret 2007 des toros de Valverde sera en ligne sur le site, ainsi que la photographie du toro qui défendra la devise à la corrida concours de Vic 2007.
>>> Vous pouvez d'ores et déjà consulter la fiche de l'élevage Valverde ainsi que l'entretien de Juan Mateos Sánchez sur le site Terre de toros.
Le poème est de Jean Genet (Le condamné à mort, 1942).