La Moral de Castro, Garcirrey, province de Salamanque, dimanche 11 février 2007.
Après quelques heures d’un sommeil lourd et profond, et sans même avoir pris le temps de boire un café, nous arrivons avec quelques minutes d’avance à notre rendez-vous avec don Antonio. Le temps de tenter un bref coup d’œil derrière la barrière qui ressemble au premier cercado de l’élevage et voilà le représentant de ce dernier qui descend de son 4x4 et vient à notre rencontre. Après quelques mots de présentation (le verbe est encore rare à cette heure matinale) et une poignée de mains, nous embarquons dans la voiture et partons à la découverte de cette ganadería presque oubliée de tous.
La devise connut le succès mais aujourd’hui elle est oubliée des organisateurs, malgré sa gloire passée et le prestige de ses origines : au mieux une course complète par saison et une bête isolée de-ci de-là. La dernière fois que les pupilles de don Antonio sont sortis en France, ce fut le 8 avril 2001 dans les arènes de Saint-Martin-de-Crau, aux côtés de toros de El Palmeral.
L’élevage de Clairac est pourtant emblématique, avec ses origines Gamero Cívico, et constitue à lui seul un petit morceau d’histoire du Campo Charro. Jugez-en plutôt :
"Qui dit Lamamié de Clairac évoque l’histoire de la cabaña brava, un nom mythique, des plus illustres associé au prénom Rafael et à l’encaste traditionnel Parladé par son prédécesseur Luis Gamero Cívico. Mais cet encaste introduit dans la vacada en 1924 n’est pas toute l’histoire de la célèbre devise, mais simplement, si on peut dire sa période moderne, certes toute relative. Avant tout, il y eut une première étape, initiée par le père de Rafael, Eloy Lamamié de Clairac. En 1882, l’homme forme sa ganadería avec du bétail de Juan Antonio Mazpule, d’origine « Raso de Portillo », dans sa finca « Muchachos » proche de Salamanque. Ce bétail rustique sera enrichi quelques temps après par des vaches de Vicente Martínez, l’éleveur de Colmenar. Le mélange est antique, et à notre époque, il est très difficile, voire impossible d’imaginer les toros de don Eloy. En guise de témoignage, reste les affiches de la fin du XIXème siècle où trône la dénomination « Lamamié de Clairac ». Rafael hérite de l’élevage en 1913. Attiré par l’élevage de Fernando Parladé, il importe déjà des étalons de ce sang en 1912 : 'Civilillo' et 'Azulejo', qui, dit-on, ont grandement amélioré l’élevage. Les résultats ne semblent pourtant pas lui suffire et il introduit l’année suivante du bétail des Sánchez-Rico d’origine Contreras. Après des années de travail, en 1925, Rafael acquiert un quart du troupeau de Luis Gamero Cívico, héritier de Fernando Parladé. Il supprime la souche ancestrale de Lamamié de Clairac pour débuter la seconde phase de la ganadería. En même temps, Rafael profite de l’acquisition du bétail parladeño pour créer un second fer, au nom de son fils Leopoldo, le C de Clairac avec à l’intérieur quatre traits, héritage du fer de Fernando Parladé. Deux fers pour un même élevage, en tout point identique. Au décès de Rafael, l’élevage est segmenté en cinq lots. Leopoldo poursuit avec son fer sous l’appellation « Lamamié de Clairac » tandis que sa sœur Aurora, récupère le fer historique et nomme son élevage « Valdelama ». Cependant, les deux élevages sont menés conjointement. Depuis 1985, c’est le neveu de Leopoldo, Antonio Peláez Lamamié de Clairac qui, sous le nom de la société Clairac S.A., dirige la ganadería. Des deux fers, ne subsiste que le plus ancien, les droits du fer de celui de Leopoldo ayant été vendus à Domingo Hernández en 1992."*
Aujourd’hui don Antonio lutte seul contre les maladies qui s’acharnent sur son élevage et contre ce fléau, pire que la tuberculose, qui ronge la Fiesta de l’intérieur : la recherche systématique du toro « de garantie » et la chute en désuétude de toute forme d’intérêt pour la lidia d’opposants difficiles. Le jour de notre visite, il régnait sur le campo pourtant magnifique une ambiance de fin de règne, un sentiment diffus mais bien réel de lassitude et de mort. Comme une étrange atmosphère sombre et désespérée. « Atmosphère ? Atmosphère ? Est-ce que j’ai une gueule d’atmosphère ? » semblaient répondre à nos paroles tues les brutes de don Antonio, encore vêtues de leur pelage d’hiver et tout ébouriffées de sommeil. Comme à la fin du chef d’œuvre de Marcel Carné, nous pouvions lire, cependant, un maigre espoir, encore un peu de force et de désir de lutte tout au fond des yeux bleu délavé de don Antonio.
A la vue des quelques exemplaires splendides et uniques qui passèrent sous nos yeux, de quelques vaches au pelage si caractéristique, nous reprîmes un peu de poil de la bête.
- Recevez-vous beaucoup de visiteurs comme nous ?
- Pensez-vous, personne. Tout le monde m’a oublié, et mes toros avec moi.
Voilà qui nous replonge quelques temps dans notre tristesse contemplative... Puis nous songeons que parmi ces toros que nous voyons, certains pourront, grâce à l’anti-conformisme de la nouvelle empresa des arènes d’Istres, être combattus dans le rond. Bernard Carbuccia a en effet décidé de clôturer la sixième édition de la féria istréenne par une corrida de six toros de Clairac, pour laquelle Juan José Padilla, Rafaelillo et Domingo López Chaves ont été retenus.
Après notre visite, nous échangeons encore quelques mots, puis don Antonio nous quitte sur un dernier regard triste, accompagné d’un sourire énigmatique qui semble nous dire : « Tant que je serai là, les toros de Clairac seront là. » Mais après lui ? Après lui, la fin d’un monde.
Les photos de la camada 2007 de Clairac seront bientôt en ligne sur Camposyruedos.
* Source Thomas Thuriès (Terre de toros).
Après quelques heures d’un sommeil lourd et profond, et sans même avoir pris le temps de boire un café, nous arrivons avec quelques minutes d’avance à notre rendez-vous avec don Antonio. Le temps de tenter un bref coup d’œil derrière la barrière qui ressemble au premier cercado de l’élevage et voilà le représentant de ce dernier qui descend de son 4x4 et vient à notre rencontre. Après quelques mots de présentation (le verbe est encore rare à cette heure matinale) et une poignée de mains, nous embarquons dans la voiture et partons à la découverte de cette ganadería presque oubliée de tous.
La devise connut le succès mais aujourd’hui elle est oubliée des organisateurs, malgré sa gloire passée et le prestige de ses origines : au mieux une course complète par saison et une bête isolée de-ci de-là. La dernière fois que les pupilles de don Antonio sont sortis en France, ce fut le 8 avril 2001 dans les arènes de Saint-Martin-de-Crau, aux côtés de toros de El Palmeral.
L’élevage de Clairac est pourtant emblématique, avec ses origines Gamero Cívico, et constitue à lui seul un petit morceau d’histoire du Campo Charro. Jugez-en plutôt :
"Qui dit Lamamié de Clairac évoque l’histoire de la cabaña brava, un nom mythique, des plus illustres associé au prénom Rafael et à l’encaste traditionnel Parladé par son prédécesseur Luis Gamero Cívico. Mais cet encaste introduit dans la vacada en 1924 n’est pas toute l’histoire de la célèbre devise, mais simplement, si on peut dire sa période moderne, certes toute relative. Avant tout, il y eut une première étape, initiée par le père de Rafael, Eloy Lamamié de Clairac. En 1882, l’homme forme sa ganadería avec du bétail de Juan Antonio Mazpule, d’origine « Raso de Portillo », dans sa finca « Muchachos » proche de Salamanque. Ce bétail rustique sera enrichi quelques temps après par des vaches de Vicente Martínez, l’éleveur de Colmenar. Le mélange est antique, et à notre époque, il est très difficile, voire impossible d’imaginer les toros de don Eloy. En guise de témoignage, reste les affiches de la fin du XIXème siècle où trône la dénomination « Lamamié de Clairac ». Rafael hérite de l’élevage en 1913. Attiré par l’élevage de Fernando Parladé, il importe déjà des étalons de ce sang en 1912 : 'Civilillo' et 'Azulejo', qui, dit-on, ont grandement amélioré l’élevage. Les résultats ne semblent pourtant pas lui suffire et il introduit l’année suivante du bétail des Sánchez-Rico d’origine Contreras. Après des années de travail, en 1925, Rafael acquiert un quart du troupeau de Luis Gamero Cívico, héritier de Fernando Parladé. Il supprime la souche ancestrale de Lamamié de Clairac pour débuter la seconde phase de la ganadería. En même temps, Rafael profite de l’acquisition du bétail parladeño pour créer un second fer, au nom de son fils Leopoldo, le C de Clairac avec à l’intérieur quatre traits, héritage du fer de Fernando Parladé. Deux fers pour un même élevage, en tout point identique. Au décès de Rafael, l’élevage est segmenté en cinq lots. Leopoldo poursuit avec son fer sous l’appellation « Lamamié de Clairac » tandis que sa sœur Aurora, récupère le fer historique et nomme son élevage « Valdelama ». Cependant, les deux élevages sont menés conjointement. Depuis 1985, c’est le neveu de Leopoldo, Antonio Peláez Lamamié de Clairac qui, sous le nom de la société Clairac S.A., dirige la ganadería. Des deux fers, ne subsiste que le plus ancien, les droits du fer de celui de Leopoldo ayant été vendus à Domingo Hernández en 1992."*
Aujourd’hui don Antonio lutte seul contre les maladies qui s’acharnent sur son élevage et contre ce fléau, pire que la tuberculose, qui ronge la Fiesta de l’intérieur : la recherche systématique du toro « de garantie » et la chute en désuétude de toute forme d’intérêt pour la lidia d’opposants difficiles. Le jour de notre visite, il régnait sur le campo pourtant magnifique une ambiance de fin de règne, un sentiment diffus mais bien réel de lassitude et de mort. Comme une étrange atmosphère sombre et désespérée. « Atmosphère ? Atmosphère ? Est-ce que j’ai une gueule d’atmosphère ? » semblaient répondre à nos paroles tues les brutes de don Antonio, encore vêtues de leur pelage d’hiver et tout ébouriffées de sommeil. Comme à la fin du chef d’œuvre de Marcel Carné, nous pouvions lire, cependant, un maigre espoir, encore un peu de force et de désir de lutte tout au fond des yeux bleu délavé de don Antonio.
A la vue des quelques exemplaires splendides et uniques qui passèrent sous nos yeux, de quelques vaches au pelage si caractéristique, nous reprîmes un peu de poil de la bête.
- Recevez-vous beaucoup de visiteurs comme nous ?
- Pensez-vous, personne. Tout le monde m’a oublié, et mes toros avec moi.
Voilà qui nous replonge quelques temps dans notre tristesse contemplative... Puis nous songeons que parmi ces toros que nous voyons, certains pourront, grâce à l’anti-conformisme de la nouvelle empresa des arènes d’Istres, être combattus dans le rond. Bernard Carbuccia a en effet décidé de clôturer la sixième édition de la féria istréenne par une corrida de six toros de Clairac, pour laquelle Juan José Padilla, Rafaelillo et Domingo López Chaves ont été retenus.
Après notre visite, nous échangeons encore quelques mots, puis don Antonio nous quitte sur un dernier regard triste, accompagné d’un sourire énigmatique qui semble nous dire : « Tant que je serai là, les toros de Clairac seront là. » Mais après lui ? Après lui, la fin d’un monde.
Les photos de la camada 2007 de Clairac seront bientôt en ligne sur Camposyruedos.
* Source Thomas Thuriès (Terre de toros).