Installés dans le véhicule prévu ce jour pour la visite des toros dans leur habitat naturel, le campo, vous n’allez pas tarder à pénétrer dans le territoire des toros de saca. Au loin, vous apercevez indistinctement des taches claires et/ou des taches sombres et même, parfois, des taches claires et sombres. Avec dextérité le ganadero, le mayoral ou le vacher descend ouvrir le portail — ce peut être aussi l’un d’entre vous mais c’est plus long ! Comme par enchantement les taches d’il y a deux minutes portent désormais des pattes et des cornes ; certaines bougent puis s’éloignent fuyant l’intrusion du bruyant véhicule ; d’autres restent imperturbables voire s’approchent — scénario peu fréquent. Que le véhicule soit bruyant importe guère ; les bêtes le connaissent comme personne et d’aucunes se sont déjà chargées de rappeler à leur propriétaire d’en changer — voir les stigmates laissés par elles sur les portières ou sur les ailes. En revanche, il serait souhaitable que ledit véhicule ne fusse ni trop bas (genre 207, brouette...) ni trop haut (style remorque de tracteur, nacelle de montgolfière...) pour espérer pouvoir apprécier à peu près « justement » la stature des toros, entre autres... Et là, il faut bien reconnaître que le 4x4, honni dans nos villes mais chéri dans les champs, constitue un presque parfait compromis quand il n’accuse point trop le poids des ans — le charme désuet d’un vieux Land Rover a quelque chose d’irremplaçable. Si tel est le cas, alors vous vous retrouvez vite confrontés à une série de petits désagréments — vitres latérales généralement fort sales qui ni ne coulissent ni ne se baissent, portes arrières impossibles à bloquer quand vous réussissez enfin à les ouvrir, plafond exagérément bas (ouille ! ma tête), et cetera — avec lesquels vous finissez malgré tout par composer puisque... vous avez quelques instants auparavant refusé poliment le cheval que le mayoral se proposait de vous seller !!!
Bref, trêve de palabres et voici la suite des Notas sobre el tamaño del toro de José María Cruz Ruiz1 (toutes les parenthèses sont miennes & merci à ‘JotaC’ pour son aide) : « Il est très difficile de préparer une course homogène dont les exemplaires se ressemblent, le toro au campo ne pouvant être mesuré mais apprécié selon un certain nombre de critères, points de vue et attitudes.
LE POIL Les toros noirs paraissent plus petits, leur silhouette faisant obstacle à la lumière du soleil. En revanche, ceux aux pelages clairs paraissent plus grands qu’ils ne sont, en raison du fait que leur couleur « épouse » la lumière du soleil.
LA CORPULENCE Les toros corpulents semblent plus grands que les autres car, inconsciemment, les personnes qui les regardent confondent la corpulence avec la taille.
LA TÊTE Ce facteur, le plus trompeur, est celui auquel on prête le plus d’intérêt et celui auquel on attache le plus d’importance. Quand un toro inspire le respect, il donne l’impression d’être plus fait, plus accompli (cuajado dans le texte), d’être plus toro et, en définitive, d’être plus grand. Le respect qu’inspire un toro émane de trois facteurs : la forme de la tête, son expression et l’encornure.
Ceux qui en imposent le plus sont ceux qui ont une tête courte et large, de forme triangulaire et busquée, avec le museau renvoyé vers l’intérieur (toro au profil convexe, bombé), tandis que ceux qui ont une tête longue et étroite inspirent moins le respect. L’expression est rendue par le regard qui peut être agressif, doux, paisible. Quand le regard est sérieux, le toro paraît plus âgé.
L’encornure a une importance exceptionnelle et il n’y a pas meilleure parure pour le toro qu’une bonne tête. Même si le toro est très joli, il suffit que l’encornure soit laide pour abîmer l’ensemble et l’enlaidir complètement. Les toros très ouverts de cornes, ainsi que les gachos (cornes orientées vers le bas) et les bizcos (cornes dissymétriques) en imposent moins. Les cornes ressortent davantage chez les toros fins ou très fins, et plus ils sont fins plus les cornes en imposent. En revanche, l’effet contraire est obtenu chez les toros corpulents comme, bien entendu, chez les cornicortos.
L’ALLURE GÉNÉRALE (las hechuras dans le texte) Elle est rattachée à la corpulence et à la taille, tout autant qu’à la conformation musculaire et à la présence de graisse. On appréciera davantage des toros aleonados, au train avant fortement développé et au tronc incliné du haut (cou) vers le bas (croûpe), bien qu’ils puissent être almendrados ou « culipollos » (en forme d’amande ou de « cul-de-poule »).
LA LONGUEUR DES EXTRÉMITÉS C’est une caractéristique très intéressante pour définir la taille d’un toro. En effet, il convient de bien observer ce dernier afin de déterminer s’il est petit parce qu’il l’est effectivement ou parce qu’il semble être plus petit au garrot. Voyez les murubes2 et les santacolomas dont le type et la finesse correspondent à ceux des toros de taille moyenne tirant vers le petit (terciados dans le texte) ou qui sont franchement petits ; ce qui en soi n’a rien d’étonnant puisque c’est le signe d’une épuration3 de l’espèce.
LE TEMPÉRAMENT Il peut aussi influer — généralement en confondant — dans l’appréciation de la taille. Différent est le toro qui s’excite, s’étire, lève la tête ou se cache de celui qui reste tranquille, va lentement, est impassible voire timide ; le premier paraîtra toujours plus toro que le second.
Tout ce qui vient d’être énoncé se réfère au toro au campo et il faut préciser que l’éleveur a aussi ses trucs afin que ses toros paraissent plus volumineux, comme celui de les placer à un endroit en hauteur, dégagé, sans herbes hautes, sans aucun objet qui puisse servir de point de référence. Les éleveurs préfèrent également, entre autres choses, montrer les toros quand il viennent de manger, de boire ou quand le soleil les illumine en plein. »
José María Cruz Ruiz est vétérinaire, socio de La Cabaña Brava et membre fondateur de l’ANVET (Asociación Nacional de Veterinarios de Espectáculos Taurinos).
1 José María Cruz Ruiz, « Notas sobre el tamaño del toro », El Aficionado n° 26, La Cabaña Brava, Octobre 2007, pp. 13-14. Retrouvez Dans les corrals des extraits de la 1ère partie de son texte. Si j’ai, il est vrai, légèrement égratigné La Cabaña Brava dans un de mes posts précédents, c’est peu dire que j’apprécie son travail effectué via ses site & fanzine.
2 Citer Murube en exemple à ce moment précis de l'exposé a de quoi surprendre...
3 « Action de dépurer, rendre plus pur. » Le Petit Robert. Précision fort bien venue lorsque l’on constate, in situ, la relative « petitesse » des sementales. À moins que, l’âge aidant, ils aient tendance à se tasser !...
Images Automne 2008, un Pérez Escudero dans son campo près de Ciudad Rodrigo © Camposyruedos ● Au campo, 6 patas blancas de Barcial immortalisés pour l’éternité par Pedro Luis Martín © 6 TOROS 6. Un régal pour les yeux, un plaisir intellectuel rare, l’argument définitif pour dire sa passion, une sorte de Graal pour aficionado, quoi. Un lot quasi « mythique » sorti à Céret en 2000 (Fernández Meca, Porras & Gómez Escorial).