En ce deux février de cet an deux mil neuf naissant, j’ai pensé qu’elle ne pouvait rester cachée plus longtemps ; parce que vous la méritez bien cette photo, vous qui nous lisez fidèlement depuis plus de trente ans !
Un beau jour de 1976, tandis que nous étions déjà sur la brèche et que feue l’ANDA n’avait pas encore tout à fait vu le jour, nous autres reçûmes une lettre. Une lettre dans laquelle une poignée d’aficionados du nord de l’Angleterre écrivait vouloir nous remettre leur « plume d’aigle » à eux : une terrorifique tête de Miura... que Laurent garde jalousement. Une poignée d’aficionados un peu allumés, donc, prêts à traverser la Manche en ferry (point de tunnel à cette époque) et la France en Rover P6 pour aller voir les tulios et les pablorromeros de Bilbao, ou le jeune Frascuelo s’y faire étripailler par des villagodios. Originaires d’Halifax, ville ouvrière à la dérive entre Leeds et Manchester, ils vénéraient la capitale de la Biscaye — son crachin, ses hauts fourneaux et leurs fumées, ses docks, ses bars populaires et sa ferveur pour l’Athletic — et Vista Alegre — sa brique rouge, son sable charbonneux et son décor de banlieue, ses toros con toda la barba —, adoraient la bière et abhorraient Thatcher, mais ceci est une autre histoire. Au nord de l’Espagne, sur ces rives du Nervión au fort accent british, les gars du West Yorkshire étaient chez eux — assouvir leur afición en poussant jusqu’à la douce Séville relevait de l’extravagance pure et simple.
Nous réussîmes à rejoindre Halifax en récoltant des fonds issus d’une souscription qui disait finement : « Un franc par lecteur et la perfide Albion est à nous ! ». Autant jouer franc jeu, on dut mettre tous nos bas de laine la tête à l’envers pour rallier l’Angleterre... et en revenir. Vous compter par le menu notre périple de l’hiver 1977 serait d’autant plus hasardeux que la mémoire, plus souvent qu’à son tour, m’en joue désormais de mauvais. Cela étant, des bribes de souvenirs me reviennent à l’esprit...
Soucieux de soigner notre présentation, nous avions choisi de laisser au vestiaire non seulement les us et coutumes de nos belles régions, mais également certains attributs vestimentaires comme le béret ou les lunettes de soleil (sur le crâne). C’était sans compter sur cet original de Solysombra qui remisa ses lunettes, certes, mais préféra la veste au manteau, et eut l’idée saugrenue de conserver dans sa poche une bouteille de rouge durant tout le séjour... qui fut heureusement assez court. Les chefs, ça se permet tout ; c’est d’ailleurs à ça qu’on les reconnaît ! Hum... Et puis, je me souviens de l’après-midi de notre arrivée. Après avoir éclusé dans un pub enfumé une demi-douzaine de bières chacun, et alors que nous nous ennuyions comme des rats morts, nous emboîtâmes le pas d’un groupe de joyeux supporters en route pour le vieillot Shay Stadium que se partageaient, et se partagent encore, le FC Halifax Town (foot) et le Halifax Rugby League FC (XIII). Au grand dam du Batacazo ce sont les « manchots » qui ce jour-là occupaient les lieux ; aussi fit-il tout, mais absolument tout son possible pour nous entraîner ailleurs dans ce fief treiziste où toute rencontre est un derby. En vain. Pour l’anecdote, le FC Halifax Town prit une bonne dérouillée par je ne sais plus qui et, malgré quelques velléités vite avortées, nous eûmes la délicatesse de n’y point faire allusion lors de la soirée (très encastée la soirée) de remise de notre encombrant trophée (très armé le trophée)... Vous dire comment nous avons retrouvé notre hôtel — à peu près aussi minable que nous —, alors là, mystère !
Bref, tout avait pourtant bien commencé — but de la tête du défenseur central local —, jusqu’à ce que JotaC se crût obligé de rappeler « en pleine paix » à Tendido69 que son OL chéri avait perdu la Coupe de France 76 contre les Marseillais et, surtout, surtout, que l’honnie AS Saint-Étienne avait, cette même année, raflé le titre de champion. C’en fut trop pour notre pacifique « bouchon lyonnais » qui sentit le gaz lui monter le long de la colonne et s’en alla bouder à l’abri des planches le restant de la partie — et ce malgré l’intervention subtile de Yannick censée ramener à la raison nos deux querelleurs en herbe. Une partie qui se termina dans un calme fort relatif, vu que Thomas ne put s’empêcher de faire remarquer au Rhôdanien qu’il avait, dans cette affaire, eu un comportement de manso ! Punaise ! il aurait mieux valu écouter le Batacazo et partir chez la voisine Bradford se farcir les treizistes... dont pratiquement tout le monde se fichait.
Cette année-là Serge Gainsbourg chantait son bijou L’Homme à tête de chou* et, quelque part au milieu de la Manche, une singulière équipée jouait à L’Homme à tête de Miura sur le pont d’un ferry anglais à destination de Calais.
* Je suis l'homme à tête de chou / Moitié légume et moitié mec / Pour les beaux yeux de Marilou / Je suis allé porter au clou / Ma Remington et puis mon break... Album enregistré à Londres en 1976. La sculpture de la pochette « habite » la cour de l’hôtel particulier de Gainsbourg, rue de Verneuil à Paris.
L’exposition Gainsbourg 2008 est visible jusqu’au 15 mars 2009 à la Cité de la Musique (Paris).
Image Et Martin Parr traînait par là... On reconnaît aisément Solysombra et Tendido69... Quant aux autres, le compte y est... /// Halifax Town football ground, Yorkshire, 1977 / Phaidon Press Limited, 2003 © Martin Parr (Agence Magnum)