04 février 2009

Quite a corazón limpio


Cela devait être l'automne 2000, un week-end sans toros, sans ballon, sans se voir (dis, où en étions-nous à l'époque ?), un week-end pour rien quelque part dans le Nord. Avec les "crasseux", l'idée de partir en Belgique nous était venue un peu comme ça. Aller voir des blockhaus et des tranchées du côté d'Ypres, un décor ravagé par les obus, une colline décapitée par les mines entreposées dans les galeries souterraines en-dessous des lignes ennemies. Et puis Ostende. Des barres de béton, une plage et la mer du Nord, un port. Manger des roll-mops à midi sur le quai et ne pas trouver ça bon du tout. Emmitouflés sous le soleil qui nous plissait les yeux, assis sur un genre de bastingage sur le môle, 5 garçons à maudire le vent, je crois malgré tout qu'on se sentait bien. L'illusion de goûter autre chose. Partir dans les rues commerçantes d'Ostende en novembre fut sans nul doute une mauvaise idée, comme celle de marcher au bout de la jetée qui prolonge l'entrée du port. Sur les lattes de bois hoquetaient des landeaux poussés par des couples venus passer le temps, tuer le dimanche après-midi. Soleil déjà si bas et blafard. 16h : fin de journée, fin de week-end, fin de la jetée. Derrière, à main gauche, la bande de plage et la bande de béton dans le cinémascope bleu-gris de la mer et du ciel. Devant, la mer du Nord et l'idée d'y précipiter son landeau et la bourgeoise. Tous ces gens marchent jusqu'au bout de la jetée puis reviennent. Et rentrent. Qu'importe.
Les week-ends ont des frontières mouvantes, le temps étudiant flotte et semble ne pas avancer. Le rythme... Tâche d'en profiter, idiot ! Les filles nous rendent fiévreux, Odéon est vierge de rendez-vous passés, les ponts de la Seine encore froids de souvenirs brûlants.

Autour de Salamanque serpentent des murs de pierres. Pierres sèches et murs fatigués. Le soleil blême nous plisse les yeux, aussi, et les champs brillent d'humidité dans l'atmosphère gazeuse. Le Portugal n'est qu'à une heure. Autour de Cabeza de Diego Gómez paissent les toros de Zaballos, sauvages comme le Mexique de Peckinpah. Devant l'église, autour de nous, les chiens rôdent. Diego doit dormir tranquille, sa tête est bien gardée : les Saltillo sont noirs, cornes bien en équerre. Dimanche est encore matin, l'église n'ouvrira pas je crois. Ici, personne, ou presque.
"Si vous rentrez par Gredos, vous verrez la neige" nous dit Miguel. La campagne défile, au diable le Portugal et la poésie des gens et des bateaux qui partent. Cap sur Cáceres, comme l'Estrémadure déserte doit être jolie pour nous. Une prochaine fois. Lou Reed, Berlin, la route ondule dans la sierra, estomac noué. Berlin ? Dimanche ? Malgré tout, nous sommes déja en train de rentrer, n'est-ce pas, Hélène ? Navire échoué, calfeutré avant la montagne, El Barco de Ávila, ville sans port. Nous passons devant les arènes, sans pouvoir entrer. Les gradins semblent de pierres, anguleuses et sombres. Etrange plaza figée, ignorée. Miguel avait raison, la neige recouvre l'ubac, passent les heures et paissent les mansos, le parador est irréel, inquiétant Overlook dans la sierra. ¿Talavera o Ávila? Vamos pa'izquierda.

Madrid n'est plus une fête, tout juste un sordide lieu de transit, pire : un aéroport et une horloge. Une horloge à rebours. Qu'espérais-tu donc ? Un répit, un avis ? Un appel ! Pas ce soir, pas cette fois.
Tic, tac, tic, tac — te voilà accablé de fatigue, étourdi par ce week-end rempli de visites, de kilomètres et d'émotions. 8 ans après, le temps a pris son rythme et tu l'as découpé consciencieusement. Sur l'intervalle espagnol que tu t'es octroyé, tu vas te cognant aux murs, sur la montagne russe de l'illusion et de la fuite. Face à toi, la tâche noire du lendemain grandit à vue d'oeil, comme l'encre sur le buvard. Pepina, Ugo, Hélène sont là et t'ouvrent doucement l'esprit. "Non, ce dimanche n'a rien d'un tracas, nous sommes là, tu vois." Fotos, ilusión y Calvados. Quite a corazón limpio.

"Me voy ahora... Dame otro abrazo, sabes cuanto lo necesito."