Quelques-uns à peine et derrière nous le grand vide d’une afición en vadrouille entre Navarre (final des Sanfermines) et Catalogne (Céret de Toros).
La novillada d’Antonio Palla (origine Jandilla) est sortie mignonne à Lachepaillet. Des novillos bien faits, armés correctement et qui ont tenu sur leurs pattes dans l’ensemble. Les deux colorados et le castaño sont sortis "modernes", c’est-à-dire sans grand vice ni gros problème à résoudre, teintés d’une noblesse de bon aloi et d’une bravoure très discrète. Les trois noirs (1, 5 et 6) ont, eux, montré beaucoup plus de peps et d’envie d’en découdre. Peu braves voire manso claro pour le 5ème aux piques mais avec du moteur et une caste vive lors du troisième tiers ; caste que les novilleros du jour ont eu du mal à canaliser… disons-le franchement, ils se sont faits manger, dignement mais réellement.
Sans entrer dans le détail d’une reseña que vous trouverez ailleurs j’imagine, cette novillada, qui ouvrait la saison bayonnaise, permet de susciter deux ou trois interrogations concernant la lidia d’un toro de combat.
1/ ¿Viva la carioca?
J’ai écrit ça moi ? Oui et je resigne s’il le faut. 'Duque', negro listón sorti en 5ème position était un novillo clairement manso. Sur la première pique, peu poussée et très trasera, il cabecea à l’envie, tête haute et sortit comme il était venu, seul. Sa fougue dans la charge, sa course très allègre imposait une deuxième rencontre que notre bicho esquivait comme une queue de Mickey se dérobe au gamin sur un manège de fête. Intelligemment, Joselito Adame demanda à son picador (un piètre besogneux) de changer de terrain. Déjà grondait la vindicte publique ! Quand le picador osa franchir la sacro-sainte ligne blanche, une avalanche de sifflets et de noms d’oiseaux brouilla le cours d’une novillada jusque-là pépère. Le public, qui ne dit absolument rien sur l’ignoble pique trasera que venait de subir 'Duque', s’emportait tout-à-coup pour quelques malheureux centimètres franchis par un sabot. Derrière, un gros ventre insistait pour faire savoir à tout le monde qu’il existait un règlement et qu’il devait être respecté. On ne franchit pas la ligne blanche comme on ne franchit pas la ligne jaune dans le métro de New York ! Un point c’est tout. C’est pourtant un point important voire majeur pour la lidia de ce type de bestiole atypique dans les habitudes de la torería moderne. Il fallait piquer 'Duque', le coincer entre le cheval et les planches et le châtier… ce que ne fit pas le picador. Il fallait franchir la ligne blanche pour aller chercher et provoquer un novillo qui ne voulait pas y revenir… le règlement pouvait attendre.
La carioca est-elle un mal ? Oui ! Sauf dans certains cas bien précis, comme celui de ce 'Duque' par exemple, cas typique du manso con casta qui, s’il n’est pas piqué, garde toutes ses facultés physiques quasiment intactes.
Ce fut le cas !
2/ ¿Para qué los palos?
Je me pose la question depuis pas mal de temps déjà et la réponse tarde à venir et ne viendra peut-être jamais. A observer l’exécution actuelle de ce tercio, j’aurai tendance à répondre que les poses de banderilles ne représentent plus qu’un intermède artistique dans le cours de la lidia. Popelin écrivait que ce tercio devait être exécuté proprement et rapidement. Aujourd’hui, il n’en est rien. Soit il est rapide mais bâclé le plus souvent par des péons aux ordres d’un maestro qui boit sa copita au coin d’un burladero, observant souvent ses hommes et le toro d’un œil distrait, soit il est trop long et n’a pour objectif que de faire briller le matador-banderillero dans des figures de plus en plus spectaculaires et/ou démagogiques. Joselito Adame est un bon banderillero, poderoso, engagé et qui saute haut avant de planter. Ses poses requièrent l’allant du toro (c’est peut-être pour cette raison qu’il abrégea le tercio de piques) et mettent en valeur sa charge. Qui s’en plaindrait ? Lui, le premier ! Comme un toro peut être écoeuré par un châtiment assassin aux piques (voir certains Barcial de Vic en 2007), un toro peut prendre une confiance dangereuse pour la suite des événements lors du tercio de banderilles. Ce fut le cas ! Adame proposa à 'Duque' deux poses au "cuarteo" au cours desquelles il incita le novillo à galoper à l’envie, dans de larges courbes peu contraignantes et susceptibles de l’aérer encore plus qu’il ne l’était. Nombre de mansos le cul collé aux planches ne peuvent être banderillés que "al sesgo por fuera" ce qui permet de les obliger à sortir de leur querencia ; celui-ci était à l’inverse, maître du centre et de tous les terrains ce qui décuplait la difficulté en définitive. Dans cette lidia au grand air, l’on peut se poser la question de savoir si le jeune torero mexicain n’aurait pas eu tout intérêt à réduire sacrément les terrains et à imposer à son adversaire des courbes beaucoup plus courtes et marquées pour le contraindre encore plus. Je comprends l’envie essentielle de Adame de se faire valoir dans un tercio qu’il maîtrise très bien mais j’ai du mal à saisir qu’il ait laissé tant d’espace et de terrain à ce novillo super mobile. D’autant plus qu’il le banderilla dans un terrain (sous la présidence) que le bicho affectionnait particulièrement.
La question reste ouverte, il s’agit seulement d’une interrogation.
Le tercio de banderilles, au sujet duquel on n’écrit plus que pour notifier les saluts des banderilleros, me paraît être pourtant un tercio essentiel dans le déroulement de la lidia. C’est le moment opportun pour voir un toro. Il sort des piques (ou le plus souvent de la monopique habituelle, quand ce n’est pas du picotazo obligé) et reprend quelque peu ses esprits. Il est passionnant de l’observer charger les banderilleros à ce moment-là. Les terrains dans lesquels il mettra plus facilement la tête, dans lesquels sa charge sera plus allègre ou plus "sincère" se révèlent souvent lors de ce tiers. Lors de la dernière Corrida del Aniversario de Bilbao, El Juli observa avec grand soin le tercio mené (parfaitement d’ailleurs par Carretero) par ses hommes et vint attaquer sa faena sur le terrain dans lequel le toro avait montré le plus d’alegría et de franchise. L’œil du maître ! S’il sert donc à redécouvrir un toro (après la séance des piques), le temps fort des banderilles peut aussi devenir le moment au cours duquel des erreurs de lidia irrémédiables peuvent être commises. Le travail souvent destructeur des peones qui abusent des passes de recorte, la multiplication des cibles dans le ruedo qui n’apprennent pas au toro à fixer son attention, l’habitude stupide que prennent certains maestros de faire des esquives avant de planter les palos donnent au toro une série de défauts qui peuvent s’accentuer lors de la faena et ce d’autant plus, quand le toro est déjà avisé. La pose des banderilles est un art de la géométrie de la courbe. Comme pour une voiture, si la courbe est large et longue, elle contraint moins le véhicule. Si au contraire elle s’avère très sinueuse et courte (une épingle par exemple), les pneus vont crisser et le moteur subira plus de contraintes. La comparaison est peut-être osée mais elle a l’avantage de parler. C’est la même chose pour un toro, surtout si ce toro est un manso plein de caste voire de sentido. A titre d’exemple, rappelons la mésaventure connue par El Fandi en 2002 dans le coso pamplonais. Face à une très encastée course de Dolores Aguirre Ybarra qui ne demandait qu’à courir en tout sens, le diestro de Grenade, alors en pleine competencia avec Antonio Ferrera, voulut faire vibrer les tendidos en plantant les bâtons à reculons. C’est un exercice qu’il maîtrise bien, très spectaculaire et qui porte donc sur le public. Oui, mais ! Pas avec un tonton de Dolores, épris de galop et maître du ruedo. Le Fandi s’en tira par une "petite voltereta" et dut se jouer la vie ensuite pour maîtriser la terrible charge du toraco. En une paire de banderilles, en voulant se montrer spectaculaire, il avait appris au toro l’étendue de la superficie de l’espace où il se trouvait et il lui avait aussi appris le contact de la corne contre l’homme.
Comme le tercio des piques, celui des banderilles connaît un âge sombre dans lequel le spectaculaire et le visuel ont pris définitivement le pas sur l’efficacité et le sens de la lidia.
3/ ¿Una faena de doblones?
Joselito Adame a été débordé par les charges incertaines et pesantes de 'Duque'. Il est resté devant et c’est déjà là un acte à saluer mais il faut avouer qu’il a été "bouffé" par ce toro. Pourquoi ? Parce que tout ce que nous venons de dire avant certainement (mais il ne s’agit que d’un avis d’un spectateur assis sur les gradins) et parce que la majorité des matadores actuels ont oublié qu’il existait des passes de châtiments promptes à régler un peu mieux la tête et les charges d’un toro. Actuellement, ces passes par le bas qui cassent la course de l’animal et qui l’obligent à des mouvements de cou très brusques et très violents (contraignant par là même la cage thoracique et le souffle de la bête) se transforment en souvenir. La plupart des toros modernes n’en ont pas besoin et chargent déjà sans problème pour le torero. Pis, beaucoup de faenas s’entament par le haut pour faire tenir debout des bêtes trop fragiles. Adame fit quatre doblones, genou plié, quatre, pas un de plus. C’est à croire que les novilleros apprennent tous la même faena. Trois ou quatre passes de réglage (parfois aucune) et puis vas-y mon petit, deux séries de derechazos et deux séries à gauche, quelques circulaires et/ou des manoletinas et puis tu tues. Voilà, c’est fait, le contrat tacite passé avec le public est rempli et tout le monde repart content. Oui, mais ! Pas avec un novillo comme 'Duque' qui n’avait rien d’un assassin mais qui mettait juste la tête comme un fou en passant comme un Concorde. Les coups de tête vinrent après, quand le novillo comprit qu’il pouvait faire ce qu’il voulait et surtout qu'il pouvait chercher ce qui se cachait derrière le leurre rouge. Je ne jette pas la pierre à Joselito Adame qui hier fut le novillero le plus en vue, mais qu’aurait-il perdu à poursuivre son œuvre par des passes courtes, par le bas… Qu'aurait-il perdu à faire une faena de doblones ? Rien, il n’y aurait rien perdu si ce n’est la compréhension d’un public venu voir de "vraies passes" lentes et bien arrondies. Le public ne vit rien de ce qu’il attendait sauf un môme qui s’arrimait dans la tourmente et qui finit par être clairement désarmé par son opposant.
Je ne suis pas un apologiste du passé ni un nostalgique d’une tauromachie que je n’ai pas connue mais certains toros imposent une manière de faire qui sort des canons contemporains. Personnellement, j’aurai préféré voir Joselito Adame nous servir un travail exclusivement fait de doblones techniquement efficaces que d’assister à son échec dans la résolution des problèmes posés par 'Duque'.
Au-delà de tout cela, ce type de toro actuellement détesté par les taurinos permet au moins de conforter l'idée que chaque toro de combat génère une lidia propre et unique et qu'en outre, la lidia d'un toro débute dès sa sortie du toril et se construit à tous les moments de sa vie publique.
>>> Retrouvez la galerie de cette novillada d'Antonio Palla sur le site.