A toi, qui a frôlé de si près el "arte puro" : Gilles.
Il doit être Colombien. Il est tout petit. Très petit. Perdu en bas de nous. Ses yeux sont comme tirés par deux fils invisibles vers l’écran de télé, malgré les autres, malgré leurs épaules, malgré leurs tronches agitées, malgré leurs mots qui sortent forts, malgré leurs rires qui couvrent le son de la télé. Il n’en perdra pas une miette, lui, et Talavante torée. C’est le sixième toro de cette soirée pluvieuse sur Séville. C’est le sixième Torrealta qui va mourir. Castella a déjà joué son numéro dorénavant trop connu, presque usé (cambio au centre de la piste, séries à droite puis à gauche, circulaires inversées, manoletinas et épée) et Perera a fait le paseo. Ce n’est déjà pas si mal de faire le paseo à la Maestranza. Au sixième donc, celui que l’on voudrait ériger en clone du revenant du 17 juin torée... paraît-il de fort belle manière, avec la jambe avancée, la main gauche géniale et tout et tout. C’est vrai, tous ceux qui se trempaient sur les gradins ont confirmé, Talavante a été énorme.
« - Ah ? Ben on a certainement pas vu la même corrida !
- C’était bien celle de Séville qui était diffusée dans ce bar El Arenal ?
- Ben oui, évidemment ! »
Nous n’avions pas de billet pour la course et franchement nous n’avons pas trop fait les margoulins quand il a fallu débattre de cet engagement qui, à nous, au chaud dans la bicoque de Tío Ventura, nous a paru banal, na'más. Nous aurions été plus en veine de leur parler des conditions idéales de surf sur la côte Atlantique, des spots incontournables que celle-ci dévoile par vent d’est… Nous avions la liste, dressée vingt minutes durant, par un gars paumé de Santander qui ne goûtait les toros que de loin mais qui vouait, par contre, un culte sans borne à la glutte, aux vagues et aux types sympas, un brin fêlés, qui s’aimantaient pendant deux longues heures au zinc trop court d’un minuscule bar sévillan pour... voir mourir des toros de combat. Mais... nous ne pouvions dire tout cela à ceux qui ont vu, en live et sous les gouttes, l’œuvre du pseudo clone. Non, il était impossible de se cacher derrière une excuse aussi légère, de leur raconter aussi que nous venions de découvrir l’essence même del "arte puro" en la personne d’un bonhomme extra-terrestre, capable, en trois syllabes évidemment inaudibles, de déclarer son éternelle flamme à la virgen Macarena et à toutes celles qui ne veulent plus l’être et de vomir d’insultes la télé, en haut à gauche. "Arte puro" ! Auraient-ils compris ? Auraient-ils seulement pu s’en construire une image intérieure ? Le petit homme colombien est parti discrètement avec son ami espagnol. Il aurait pu témoigner lui, si concentré, de ce qu’avait été l’œuvre de Talavante et de la mesclagne verbale, géniale, de cet andalou branquignol. Il aurait pu... quoique.
Car, malgré ce salmigondis improbable d’êtres humains, malgré les digressions atlantiques et/ou vomitives, il n’en reste pas moins que suivre une corrida à la télévision relève de l’hérésie, parfois même du masochisme pour qui aime les toros.
Il est certain que la généralisation des diffusions par certaines chaînes (Digital Plus par exemple) des grandes férias permet à un grand nombre de personnes de pouvoir se faire une petite idée d’une course en temps réel, sans avoir à attendre les compte rendus plus ou moins objectifs de la critique taurine. Cette démocratisation (payante le plus souvent) est même soutenue par de forts taux d’audience qui ne peuvent que donner le sourire dans une période où la corrida est attaquée et critiquée. Pourtant, ce spectacle qui sent la mort n’a rien à faire sur un écran de télévision, esthétiquement et techniquement parlant. Esthétiquement, nous le savions déjà et cela fait un bail que tout le monde a pu se convaincre qu’une faena importantissime perdait de son pouvoir et de son génie dans le monde cathodique. A titre d’exemple, la désormais mythique corrida de Samuel Flores lidiée à Dax en 1999 et qui avait fait s’abattre sur la cité thermale (habituée à ces excès-là) pas moins de 11 oreilles et une queue (Ponce), ne passe que difficilement le cap de l’image. L’ensemble est sympathique, certes, mais se cantonne dans le classique et le commun. Même un derechazo pourtant hallucinant de Curro Romero à Madrid en 1985 (Garzón) éprouve la plus grand peine à mettre les poils au garde-à-vous. C’est dire. Mais tout cela, nous le savions déjà, la télé "descabelle" le sentiment, l'ambiance, l'atmosphère.
Techniquement, c’est pire !
La télévision est une formidable machine à détruire l’analyse et le jugement techniques. Nous conservons bien évidemment nos critères, comme dans l’arène mais ils sont pervertis par la manière de filmer, le montage en quelque sorte du film. Qu’il s’agisse de Digital Plus ou de TVE, les remarques sont les mêmes. La majorité des tercios sont filmés en gros plan dans une évidente recherche d’esthétisme plus proche de la photographie d’art que de la retransmission aussi fidèle que possible du combat qui se joue sur la piste. Le toro est le plus souvent filmé en plan serré dès sa sortie ce qui d’entrée de jeu empêche de se faire une idée des trajectoires qu’il opère dans le ruedo. C’est pourtant capital. Le tercio de piques est purement et simplement un attentat commis contre la compréhension de ce moment essentiel d’une corrida. Le plan serré persiste sur le toro qui observe le cheval, la distance donnée au bicho est impossible à évaluer correctement. Le moment de la rencontre se résume, dans bien des cas, à un gros plan sur l’endroit où la pique a pénétré voire purement à une photographie de l’œil révulsé de l’animal poussant (quand c’est le cas) sous le châtiment. J’exagère peut-être mais la réalité est parfois plus cruelle. Comment préjuger du caractère du toro dans ces conditions ?
La suite ? Des poses de banderilles durant lesquelles la caméra suit la course des hommes et non celle des toros, pendant lesquelles on vous colle des ralentis « somptueux » de cornes passées alors que c’est entre les poses que le tercio prend toute sa dimension. Replacer un toro, lui faire ou non trop de capotazos, analyser sa course et ses réactions... tout cela passe à la trappe pour donner l’illusion de la beauté théâtrale du drame. La faena est retranscrite à travers les visages des toreros si expressifs dans la douleur de la lutte. Souvent filmées dans l’axe du couple toro/torero, les préparations de passe donnent souvent le sentiment de l’engagement et du croisement. Effet d’optique. Les gros plans pleuvent sur les derechazos et les naturelles, on cherche le spectaculaire et les ralentis quasi langoureux cachent toujours l’entre-deux pourtant si important. Enfin, comme le reste, plus que le reste, la mort s’offre en méga zoom, sans recul ni perspective.
Alors, je suis certain que mes amis avaient raison et que Talavante a été très bon. Je les crois volontiers mais j’avoue que je ne l’ai pas vu. Je n’ai vu que la bosse de ses couilles et le bout d’une corne, je ne savais même pas où se jouait la partie dans l’arène. Il n’y a pas que la télé mais quand même...
Je me dis aujourd’hui que le seul avantage de ces retransmissions réside justement et pour partie dans les défauts précédemment énumérés. Des gros plans qui ne peuvent cacher les cornes escobillées voire limées, les cariocas, les pompages outranciers, les piques dans les reins, les épées mal placées, toutes ces métastases de la tauromachie. L’intérêt n’est que là, l’essence de la corrida, la distance, les terrains, les coulisses et surtout le toro, eux, n’y sont pas. La tauromachie n’est absolument pas un "magnifique produit télévisuel" et ne le sera jamais !
Passons enfin sur les commentaires consternants du trio de Digital Plus (Moles, Muñoz et Antoñete) qui, nous l’espérons, ne donneront pas lieu à la publication d’un livre de souvenirs.
Par contre, il est louable de s’interroger sur la pertinence de reseñas données depuis le petit écran. Elles deviennent monnaie courante et n’ont pas toujours la sincérité de dire qui elles sont. Donner à ses lecteurs un compte rendu d’une corrida est un labeur respectable à condition que les choses soient claires dès le début par l’annonce d’un spectacle vu par écran interposé. Cette idée n’engage que moi mais je crains qu’avec la généralisation de ces pratiques, nous en arrivions un jour à voir des prix octroyés alors même que les "journalistes" n’ont pas fréquenté les arènes... c’est possible.
Et puis, sincèrement, la télévision a-t-elle le pouvoir de retranscrire cette image étourdissante d’un Morante de la Puebla, visage de gisant, quittant le ruedo maestrante plus lentement qu’un convoi funéraire, soutenu par le rien de l’échec et le tout de l’espoir du demain ?
Non, elle n’en a pas le pouvoir car c’est déjà la pub !
>>> Retrouvez les galeries des corridas de la Feria de Abril 2007 sur le site, rubrique RUEDOS.
Il doit être Colombien. Il est tout petit. Très petit. Perdu en bas de nous. Ses yeux sont comme tirés par deux fils invisibles vers l’écran de télé, malgré les autres, malgré leurs épaules, malgré leurs tronches agitées, malgré leurs mots qui sortent forts, malgré leurs rires qui couvrent le son de la télé. Il n’en perdra pas une miette, lui, et Talavante torée. C’est le sixième toro de cette soirée pluvieuse sur Séville. C’est le sixième Torrealta qui va mourir. Castella a déjà joué son numéro dorénavant trop connu, presque usé (cambio au centre de la piste, séries à droite puis à gauche, circulaires inversées, manoletinas et épée) et Perera a fait le paseo. Ce n’est déjà pas si mal de faire le paseo à la Maestranza. Au sixième donc, celui que l’on voudrait ériger en clone du revenant du 17 juin torée... paraît-il de fort belle manière, avec la jambe avancée, la main gauche géniale et tout et tout. C’est vrai, tous ceux qui se trempaient sur les gradins ont confirmé, Talavante a été énorme.
« - Ah ? Ben on a certainement pas vu la même corrida !
- C’était bien celle de Séville qui était diffusée dans ce bar El Arenal ?
- Ben oui, évidemment ! »
Nous n’avions pas de billet pour la course et franchement nous n’avons pas trop fait les margoulins quand il a fallu débattre de cet engagement qui, à nous, au chaud dans la bicoque de Tío Ventura, nous a paru banal, na'más. Nous aurions été plus en veine de leur parler des conditions idéales de surf sur la côte Atlantique, des spots incontournables que celle-ci dévoile par vent d’est… Nous avions la liste, dressée vingt minutes durant, par un gars paumé de Santander qui ne goûtait les toros que de loin mais qui vouait, par contre, un culte sans borne à la glutte, aux vagues et aux types sympas, un brin fêlés, qui s’aimantaient pendant deux longues heures au zinc trop court d’un minuscule bar sévillan pour... voir mourir des toros de combat. Mais... nous ne pouvions dire tout cela à ceux qui ont vu, en live et sous les gouttes, l’œuvre du pseudo clone. Non, il était impossible de se cacher derrière une excuse aussi légère, de leur raconter aussi que nous venions de découvrir l’essence même del "arte puro" en la personne d’un bonhomme extra-terrestre, capable, en trois syllabes évidemment inaudibles, de déclarer son éternelle flamme à la virgen Macarena et à toutes celles qui ne veulent plus l’être et de vomir d’insultes la télé, en haut à gauche. "Arte puro" ! Auraient-ils compris ? Auraient-ils seulement pu s’en construire une image intérieure ? Le petit homme colombien est parti discrètement avec son ami espagnol. Il aurait pu témoigner lui, si concentré, de ce qu’avait été l’œuvre de Talavante et de la mesclagne verbale, géniale, de cet andalou branquignol. Il aurait pu... quoique.
Car, malgré ce salmigondis improbable d’êtres humains, malgré les digressions atlantiques et/ou vomitives, il n’en reste pas moins que suivre une corrida à la télévision relève de l’hérésie, parfois même du masochisme pour qui aime les toros.
Il est certain que la généralisation des diffusions par certaines chaînes (Digital Plus par exemple) des grandes férias permet à un grand nombre de personnes de pouvoir se faire une petite idée d’une course en temps réel, sans avoir à attendre les compte rendus plus ou moins objectifs de la critique taurine. Cette démocratisation (payante le plus souvent) est même soutenue par de forts taux d’audience qui ne peuvent que donner le sourire dans une période où la corrida est attaquée et critiquée. Pourtant, ce spectacle qui sent la mort n’a rien à faire sur un écran de télévision, esthétiquement et techniquement parlant. Esthétiquement, nous le savions déjà et cela fait un bail que tout le monde a pu se convaincre qu’une faena importantissime perdait de son pouvoir et de son génie dans le monde cathodique. A titre d’exemple, la désormais mythique corrida de Samuel Flores lidiée à Dax en 1999 et qui avait fait s’abattre sur la cité thermale (habituée à ces excès-là) pas moins de 11 oreilles et une queue (Ponce), ne passe que difficilement le cap de l’image. L’ensemble est sympathique, certes, mais se cantonne dans le classique et le commun. Même un derechazo pourtant hallucinant de Curro Romero à Madrid en 1985 (Garzón) éprouve la plus grand peine à mettre les poils au garde-à-vous. C’est dire. Mais tout cela, nous le savions déjà, la télé "descabelle" le sentiment, l'ambiance, l'atmosphère.
Techniquement, c’est pire !
La télévision est une formidable machine à détruire l’analyse et le jugement techniques. Nous conservons bien évidemment nos critères, comme dans l’arène mais ils sont pervertis par la manière de filmer, le montage en quelque sorte du film. Qu’il s’agisse de Digital Plus ou de TVE, les remarques sont les mêmes. La majorité des tercios sont filmés en gros plan dans une évidente recherche d’esthétisme plus proche de la photographie d’art que de la retransmission aussi fidèle que possible du combat qui se joue sur la piste. Le toro est le plus souvent filmé en plan serré dès sa sortie ce qui d’entrée de jeu empêche de se faire une idée des trajectoires qu’il opère dans le ruedo. C’est pourtant capital. Le tercio de piques est purement et simplement un attentat commis contre la compréhension de ce moment essentiel d’une corrida. Le plan serré persiste sur le toro qui observe le cheval, la distance donnée au bicho est impossible à évaluer correctement. Le moment de la rencontre se résume, dans bien des cas, à un gros plan sur l’endroit où la pique a pénétré voire purement à une photographie de l’œil révulsé de l’animal poussant (quand c’est le cas) sous le châtiment. J’exagère peut-être mais la réalité est parfois plus cruelle. Comment préjuger du caractère du toro dans ces conditions ?
La suite ? Des poses de banderilles durant lesquelles la caméra suit la course des hommes et non celle des toros, pendant lesquelles on vous colle des ralentis « somptueux » de cornes passées alors que c’est entre les poses que le tercio prend toute sa dimension. Replacer un toro, lui faire ou non trop de capotazos, analyser sa course et ses réactions... tout cela passe à la trappe pour donner l’illusion de la beauté théâtrale du drame. La faena est retranscrite à travers les visages des toreros si expressifs dans la douleur de la lutte. Souvent filmées dans l’axe du couple toro/torero, les préparations de passe donnent souvent le sentiment de l’engagement et du croisement. Effet d’optique. Les gros plans pleuvent sur les derechazos et les naturelles, on cherche le spectaculaire et les ralentis quasi langoureux cachent toujours l’entre-deux pourtant si important. Enfin, comme le reste, plus que le reste, la mort s’offre en méga zoom, sans recul ni perspective.
Alors, je suis certain que mes amis avaient raison et que Talavante a été très bon. Je les crois volontiers mais j’avoue que je ne l’ai pas vu. Je n’ai vu que la bosse de ses couilles et le bout d’une corne, je ne savais même pas où se jouait la partie dans l’arène. Il n’y a pas que la télé mais quand même...
Je me dis aujourd’hui que le seul avantage de ces retransmissions réside justement et pour partie dans les défauts précédemment énumérés. Des gros plans qui ne peuvent cacher les cornes escobillées voire limées, les cariocas, les pompages outranciers, les piques dans les reins, les épées mal placées, toutes ces métastases de la tauromachie. L’intérêt n’est que là, l’essence de la corrida, la distance, les terrains, les coulisses et surtout le toro, eux, n’y sont pas. La tauromachie n’est absolument pas un "magnifique produit télévisuel" et ne le sera jamais !
Passons enfin sur les commentaires consternants du trio de Digital Plus (Moles, Muñoz et Antoñete) qui, nous l’espérons, ne donneront pas lieu à la publication d’un livre de souvenirs.
Par contre, il est louable de s’interroger sur la pertinence de reseñas données depuis le petit écran. Elles deviennent monnaie courante et n’ont pas toujours la sincérité de dire qui elles sont. Donner à ses lecteurs un compte rendu d’une corrida est un labeur respectable à condition que les choses soient claires dès le début par l’annonce d’un spectacle vu par écran interposé. Cette idée n’engage que moi mais je crains qu’avec la généralisation de ces pratiques, nous en arrivions un jour à voir des prix octroyés alors même que les "journalistes" n’ont pas fréquenté les arènes... c’est possible.
Et puis, sincèrement, la télévision a-t-elle le pouvoir de retranscrire cette image étourdissante d’un Morante de la Puebla, visage de gisant, quittant le ruedo maestrante plus lentement qu’un convoi funéraire, soutenu par le rien de l’échec et le tout de l’espoir du demain ?
Non, elle n’en a pas le pouvoir car c’est déjà la pub !
>>> Retrouvez les galeries des corridas de la Feria de Abril 2007 sur le site, rubrique RUEDOS.