C’est le silence qui vagabonde ici, dans les stries d’un bois vierge et râpeux. La bâtisse années 1950 a été oubliée dans une rue sans couleur d’un pueblo lui aussi abandonné au creux du nombril d’une tierra moutonnée d’encinas. "En un pueblo cuyo nombre no me recuerdo" comme écrivait le truculent manchot de la Mancha.
Voilée d’une crainte toute délicate, étonnée peut-être de nous trouver ici, l’abuela qui tient cette gargote d’antan nous a seulement indiqués l’escalier, "a la derecha" et na’más. Nous devions être seuls dans cette ambiance d'une décadence cistercienne. Le comedor, planqué derrière une porte sans ambition, ressemble à ces restos-cantines où l’on tapait gentiment le carton vêtu d’une fumée lourde en se foutant du voisin le cocu, comme nous peut-être. Les chaises attendent sagement et doivent couler des larmes de poussière sur ce temps où les campesinos essuyaient sur elles le caca du campo. Le pueblo est mort, il ne manque que deux gâchettes venues de l’ouest pour donner du relief à la placita centrale. Mais le western est loin, et les toros gueulent partout.La soie violette primaveresque se fait encore espérer. Le ciel est toujours gris et bas mais le poil d’hiver fout peu à peu le camp et la temporada s’annonce insidieusement sur les flancs des toros de combat. Car il reste des toros au campo !
N’en déplaise à certaines empresas dramaturges et fanfaronnes, il est encore possible de fouiller le campo pour voir des toros de combat. Découvrir est certes de plus en plus complexe mais redécouvrir des sangs mis à l’index de la torería moderne demeure dans le domaine du probable et même du souhaitable. Chopera n’a pas encore acheté tout le Campo Charro (quoique pas loin !) et de petits élevages survivent comme les chaises de l’abuela, dans le silence qui vagabonde. Le Santa Coloma existe encore chez Sánchez-Fabrés (Coquilla), Juan Luis Fraile (Graciliano), Madrazo (Graciliano teinté de Buendía) ou Ángel Nieves García (San Martín). Dans des contrées où l’Atanasio et le Domecq posent partout leurs lourdes pattes, certaines fragiles, d’étranges dinosaures refusent de se taire chez le señor Agustínez qui maintient le vieil encaste "de la casa", à savoir du Marqués de Villagodio qui serait un croisement Veragua-Santa Coloma. A voir ! Il se susurre même que la province de Salamanque abrite encore des Saltillo autres que ceux de Miguel Zaballos… mais chut, nous en reparlerons...
La découverte des encastes est semée d’interrogations, de doutes et de secrets souvent jalousement gardés par les éleveurs. C’est cela qui fait le charme du campo et de l’afición, cette envie de comprendre, de voir plus loin et surtout, surtout de s’interroger et d’affronter doutes et questions.
Alors, si beaucoup d’empresas ont sur ce point jeté l’éponge, ne reste qu’à rêver dans le silence qui vagabonde sous les chênes verts qui attendent la soie violette de la primavera.
>>> Pour commencer notre voyage dans ce silence délicieux, retrouvez la camada 2007 de Juan Luis Fraile (et du second fer de Ana María Cascón – Atanasio Fernández) sur le site à la rubrique CAMPOS.