Les taureaux de combat sont des passeurs de mémoire. Le Campo Charro, aujourd’hui fendu comme un crâne par une autovía qui n’a d’yeux que vers le Portugal voisin, devient lieu de mémoire et jour après jour la proie d’un alzheimmer irréductible, malheureusement.
Il subsiste de part et d’autre de ce trou noir mémoriel et asphalté, des toros de tous genres qui ne survivront pas longtemps à l’uniformisation croissante des encastes et aux contraintes économiques d’un spectacle en surproduction et qui s’automutile tous les jours dans le triomphalisme et la facilité.
Dans dix ans, que restera-t-il des Coquillas, Clairac, Vega-Villar (à part pour le rejón) qu’ils soient Cobaleda ou Galache ? Rien ou si peu.
Pour ces encastes en perdition, le campo est donc encore un peu un coin de notre mémoire taurine.
Le sang Domecq, cousin de l’Atanasio, s’immisce partout et petit à petit. L’Andalousie, chérie du Tío Pepe contre les petits trucs de Salamanque, débarque insidieusement, par voie de cornes, dans des camions, la nuit on imagine... Ce n’est pas un fait nouveau mais il crève le cœur de ceux qui aiment la diversité et la pluralité. La dictature Domecq est en marche, forcée qui plus est.
Certes, la pureté de sang est un fantasme mis en brèche depuis que les Hommes fabriquent des toros aux quatre coins de l’Ibérie. Imaginer que les élevages ne font pas leurs sauces secrètes relève d’une mythologie charmante mais bien édulcorée. Et puis, les croisements ont parfois du bon et peuvent améliorer tout à fait certains élevages. C’est indéniable, ne soyons donc pas plus royaliste que le roi, la reine ou le prince.
Pour autant, il y a un monde entre le fait de mélanger des sangs et celui d’imposer partout le même type de toro, construit por abajo et « servant le torero » in fine.
A titre d’exemple, observons les carteles français de ces fêtes pascales. A Arles, ont été combattus des Domingo Hernández le vendredi, un lot d’El Pilar le samedi et hier un encierro de Palla (que certains sites ont renommé Palha). Pour ce qui est des novilladas, un lot de Antonio San Román a confirmé la tendance. Aignan accueillait des Miranda de Pericalvo (hum, ça donne envie) et enfin la placita landaise de Mugron étrennait les Vellosino avant de voir les grands frères à Mont-de-Marsan en juillet. Six spectacles encastés Domecq 100 % pur beurre sur un total de huit spectacles (je ne compte pas le rejón et les non piquées). Ça nous fait du 75 % tout ça.
Alors, au regard de ces chiffres attristants, faut-il en convenir, le Campo Charro se mue doucement en un musée de souvenirs en dépôt de bilan.
De ces escapades sur les terres charras, je garde en moi la certitude d’avoir assisté aux préparatifs d’une messe de requiem, une belle messe pourtant, pleine de boutons de fleurs et de cigognes qui observent de loin. Je garde en moi la puissance sourde de ces « petits » Vega-Villar de Justo Nieto qui se crêpaient allègrement le frontal, la sérénité de seigneurs de certains Juan Luis Fraile et les coups de gueules imposants d’un Coquilla de Sánchez-Fabrés.
Et puis, comme un signe dernier de ces temps qui finissent, il y eut ces quelque "lloronas" chez Adelaida Rodríguez, vieilles demoiselles d’une vingtaine d’années encore marquées du fer de Don Lisardo Sánchez... Espérons que ce requiem soit dirigé par Wolfgang lui-même... Ça pourrait envoyer un peu plus que ces messes au rabais de Pâques 2007.
>>> Retrouvez les camadas de Adelaida Rodríguez (Atanasio-Lisardo Sánchez) et de Justo Nieto (Vega-Villar) sur le site.