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29 novembre 2012

En peu de mots #15


Pays basque taurin

D’hier 
Avant l’arrivée, en 1998, de la soucoupe volante Illumbe — qui n’a jamais vraiment décollé, hein —, Saint-Sébastien accueillait les toros dans ses arènes néomudéjar d’El Chofre (1903 – 1973), d’où, au cours du «premier quart du XXe siècle», le photographe Gaston Bouzanquet rapporta ce précieux reportage

D’août prochain 
La nouvelle du retour des Cuadri à Bilbao m’a mis en joie ; je me vois déjà à l’apartado, vers midi autour de la fosse aux toros, puis à la course où, je l’espère, Vista Alegre aura troqué le sable «marron dégueu façon steak haché trop cuit» contre son gris cendré et retrouvé un président… à la hauteur de l’événement. À suivre.


Photographie Laurent Larrieu/Camposyruedos.com

13 septembre 2010

La nécro de l'apartado


Dimanche matin, fin des Corridas Generales bilbaínas. Je bats le pavé, tu bats le pavé, nous sommes quelques dizaines battant le pavé, le goudron, l'asphalte inégal ça et là, encore mouillé de flaques et, devant le pavé, le rideau de fer. Non, je ne réécris pas Mai-68, j'attends qu'ouvre la taquilla de l'apartado des Escolar Gil. Et ça fait un moment que ça dure. Je suis même arrivé avant Bartolotti, ça devrait être bon pour avoir une place, me félicitais-je in petto. La queue parle français, presque toute la queue. Les revendeurs ricanent encore des absents de la veille, les Dacquois daubent Castella pour son exécrable prestation, et les saxophonistes ne sont pas en avance. Les quelques mots d'espagnol que l'on entend tout de même sont le fait de Castillans perdus dans des conversations qu'on imagine décennales sur des démonstrations tauromachiques et la crémation des idoles. Le guichet finit par cracher ses sésames, la porte s'ouvre et la procession s'ébranle selon le rite dicté par Monsieur Marchi et sur lequel les autorités demeurent inflexibles. On passe, on s'entasse et on attend. Tout est en place et tout va bien. Ce soir sortent les Escolar, objets de voyage, au sens "objectif" du terme.
L'espoir s'apprécie, s'entoure d'une attention particulière dans son approche. L'espoir chauffe à feu doux et embaume la journée plus encore qu'une cuisine. Il mérite qu'on prenne son temps, des heures et parfois des journées pour le ciseler. Les Escolar de Céret nous ont "fait" une bonne partie de l'été : une lente digestion des combats proposés alors. Le genre de corrida justifiant toutes les autres : les mauvaises, les promises envolées, les fades, les oubliables et celles qu'on a parfaitement oubliées. Ces Albaserrada nous ont donc pas mal occupés : du temps de cerveau disponible et de la capacité d'enthousiasme. Le genre de course qui vous conduit à promettre que là où ils sortent, peu importe où, nous irons les voir dégommer les canassons et répéter leurs charges vibrantes et lourdes.

Le lieu où se tient l'apartado à Bilbao est carré comme une Plaza Mayor, avec des gradins à trois ou quatre niveaux, en bois. On s'y entasse une fois de plus et, surtout, on ne bouge plus. Sauf les lèvres, puisqu'on est maintenant en train de piétiner dans les environs depuis plus de deux heures pour ne pas voir huit toros qui passeront dans le corral en contrebas. Alors on parle encore, à tel point que je soupçonne même qu'on finisse par se répéter. L'une des faces du carré type Plaza Mayor de tableau anonyme du XVIIe siècle est réservée aux huiles. Officiels, ganadero y familia, journalistes, etc., qui finissent par arriver, imprégnés par le rite et garants du cérémonial. Un gars de Vitoria prend la parole pour prononcer un éloge du ganadero, de sa famille (femme, filles, petits-enfants, gendre) et parler de ses toros, de Céret quelques semaines auparavant, pour conclure en assurant qu'une chose était certaine : quoi qu'il arrive, l'émotion sera au rendez-vous avec ces toros-là. C'est beau comme une nécro, la famille s'empourpre, nous acquiesçons. Je ne peux alors m'empêcher de penser que s'il ne faut pas être superstitieux, il vaut tout de même éviter pareil panégyrique avant que ne sortent les toros, tant on a vu souvent le hasard foutre à plat les prévisions laudatives d'avant l'heure, tournures grandiloquentes comprises.

Le cérémonial se poursuit, on roule les papiers, on prend deux chapeaux, vous connaissez l'histoire... Puis paraissent enfin les toros, en transit tout d'abord, puis brièvement dans le corral, bien à la verticale au-dessous. On a beau faire attention, on ne voit pas grand-chose, on n'ose juger de quoi que ce soit depuis pareil perchoir. Restent six heures à tuer avant de tuer les six toros : fantasmes à plein tube !

Soyons clairs, nous serons enfin brefs : nous n'avons rien vu, ou presque. Le lot est sorti sans la sauvagerie escomptée, ni le poder et le peu de mobilité fut esquinté à la pique. Nous attendions Céret, nous avons assisté à une pâle resucée de la course de Vic. Le trois sortit plein d'entrain, donnant un coup de fouet à l'expectative où il nous trouva. Le lancier se chargea de réduire à néant ces esquisses de promesses : un puyazo façon Jean Yanne dans Le Boucher : pompé, vrié, assaisonné, arc-bouté, la vara dans le milieu du dos. Le cornu en sortit pantelant, hagard, fébrile façon chevreau après le passage d'un vol de légionnaires. Silence dans l'assistance. Morenito de Aranda vient le brinder : aplausos et mon moral de choir dans mes chaussettes malgré mes havaianas. La partie, la bataille, la guerre étaient donc perdues à tous points de vue. Même topo au quatrième. Rafaelillo tente de nous faire croire je ne sais quoi au cinq, Morenito nous rejoue l'asador au six ; il est temps de fuir sans demander son reste.
Rien que de la déception mâtinée d'indignation sur la route du retour (Mais que font les clubs taurins légendaires du coin ??? — Ils s'en foutent en fait... — Ah !). Les journaux du lendemain parleront d'une présentation réussie...

>>> Une galerie avec les 6 toros que vous n'avez pas vus non plus à l'apartado vous attend sur le site, rubrique RUEDOS.

22 août 2010

Billebahaut (II)


Légende Picadors ayant troqué leurs piques contre des guitares.


Si, à compter d'aujourd'hui et ce jusqu'au 29, vous prévoyez d'aller baguenauder du côté de Bilbao — les corridas qu'on y donne sont encore annoncées avec picadors —, ce serait ballot de ne pas se réveiller suffisamment tôt pour assister à l'apartado. Bilbao se modernise mais Vista Alegre n'a pas bougé, et ses lots, des commandos de six toros triés sur le volet, figurent toujours parmi les plus faits et armés du monde taurin. Aussi, passer une matinée à attendre l'un d'entre eux pour avoir ensuite le privilège de l'admirer, dans le « carré » autour de la fosse, permet de se rappeler que les grands moments de toros se vivent souvent, et de plus en plus fréquemment, à l'écart du ruedo...

>>> L'apartado à Bilbao, quelques repères.

Rappel L'exposition Taurus. Del mito al ritual se poursuit jusqu'au 5 septembre, au Museo de Bellas Artes, du mardi au dimanche de 10h à 20h. Merci Pepina !

Image Daniel Rabel (Paris v. 1578 – 1637), Bagage des Grenadins, Le Ballet royal du Grand Bal de la Douairière de Billebahaut [Bilbao], 1626 / Plume, lavis, encre brune, aquarelle, gouache, rehauts d'argent, rehauts d'or, 28,5 x 44 cm © Paris, Musée du Louvre, Département des arts graphiques, Cabinet des estampes /// Ce dessin illustre la couverture du disque Pierre Guédron, Le Consert des Consorts (Alpha 019, 2002), un des trois CD du Poème Harmonique présents dans le coffret Si tu veux apprendre les pas à danser... Airs & ballets en France avant Lully (Alpha 905, 2005).

21 juillet 2009

24 heures à Pampelune (II)


Suite de 24 heures à Pampelune (I).

À Isabelle, Patricia, Laurent & El Batacazo.

Mercredi 8 & jeudi 9 juillet

Mon Clair de lune à Pampelune1
C’est ‘Amador’ avec lequel je vais trinquer plus d’une fois en secret au cours de cette soirée. Rentré chez moi, je me suis dit que j’avais quelque part bien fait de ne pas assister à la course de Dolores Aguirre, car si j’avais dû lever mon verre à tous les encastés... Ben, j’aurais pas pu. La soirée débute par un constat désagréable : en l’absence de passes, nous n’irons pas voir l’encierrillo des ventorrillos. Rhââ ! Pour ôter ce mauvais goût de la bouche, nous décidons d’aller nous faire plumer à l’Iruña. Première tournée et vingt et une plumes envolées... Cela dit, et pour être tout à fait honnête, les fauteuils en plastique de ce grand café sont plutôt accueillants, et ce n’est pas cette mère donnant le biberon à son bébé de deux mois (!) qui viendra nous soutenir le contraire. La tertulia de l’Iruña terminée, nous rallions le bastion des peñas via San Nicolás où nous trouvons à boire. Merci et au revoir. Après l’or et l’argent, le bronze. Récolté fort logiquement au 54 de la Calle Jarauta chez « Los de Bronce » : entre deux allers et retours aux WC — prendre à gauche en sortant —, des « métallos » au cœur gros comme ça vous remplissent des verres pour 8 « zeuros » ; des jeunes filles du cru s’amusent drôlement à se rouler par terre — une fausse bagarre dans la joie et la bière ; des copines, peu ou prou les mêmes, se mettent hors d’elles suite à la scandaleuse interruption de Billie Jean — on a frôlé l’émeute ! ; des « copines », les nôtres, dansent comme à la belle époque sur Europe (...) et Desireless (...) pendant que lui, grand prince, marchande à peine une magnifique, rouge et clignotante paire de cornes — il en rêvait tant ! Dans la bonne humeur, les vendeurs ambulants quadrillent la ville — noire de monde, Jarauta charrie tout un Monde. Les cornes s’invitent dans l’Iruña Rugby Club et... ¡Joder! On a perdu les cornes !!! Sous les yeux de Mister Testis, dans Chapitela et dans le dos, je pousse le despitonado. Estafeta fait sa fête et moi je dois avoir une tête à porter un Stetson rose à fanfreluches et des lunettes « de mouche » à pailettes. Eh, vous savez quoi ? On a retrouvé le 807.

En route pour Santo Domingo
Trois heures plus tôt, j’ai eu la force, outre de ne pas m’enquiller le verre de trop, d’enlever mes pompes... mais pas le bob ce qui, allez savoir, m’a peut-être empêché d’avoir le casque. Aux alentours de six heures, le portable sonne plusieurs fois : ceux de derrière finissent par émerger quand ceux de devant ne se souviennent même pas l’avoir entendu... Un Cacolac®, trois bâillements, une brioche et deux épaisseurs, direction le parvis du Museo de Navarra dans Santo Domingo. Il va faire beau, il ne fait pas froid. Calle Leyre, dans le hall du siège de la Cruz Roja, le personnel s’enquiert de son lieu d’affectation du jour. Les planches du vallado sont montées et les employés municipaux chargés du nettoyage ont du pain sur la leur. Il est sept heures moins le quart. Vu l’affluence dans Mercaderes, patente devient la sensation d’arriver trop tard. Gagné ! La main courante a été prise d’assaut. De là, naît puis germe un grand moment de solitude. Nous en profitons pour finir de nous réveiller. On pourrait rester poster debouts contre le mur afin de suivre l’encierro du haut de Santo Domingo jusqu’à la place de l’Ayuntamiento, mais nous craignons de simplement le voir alors que nous souhaiterions l’approcher, « être à son contact » ― si cela veut dire ici quelque chose ―, le sentir... Au 56 de la Calle Descalzos, un porche permet l’accès au Paseo de Ronda. La vue sur l’Arga, les Corrales del Gas, la Rochapea et la campagne environnante est saisissante ; à l’extrémité du Paseo, celle sur les Corralillos de Santo Domingo vaut assurément le coup d’œil. En compagnie des mansos, los d’El Ventorrillo attendent sagement l’heure de l’ouverture des portes fixée dans un peu plus d’une heure, à huit heures pétantes. Ça s’agite de toute part mais sans précipitation : tout semble parfaitement organisé et tout l’est effectivement. Les cameramen règlent, les pastores conversent, les spectateurs patientent, les policiers municipaux affluent et les bénévoles de la Protection Civile nous informent gentiment que nous ne pourrons rester là — ce dont nous ne doutions pas. Des coureurs « potentiels » sont présents sur le parcours. Potentiels car, l’heure fatidique approchant inéluctablement, un certain nombre d’entre eux vont, dans les minutes qui suivent et pour des raisons qui n’appartiennent qu’à eux, se raviser, décider en leur âme et conscience de ne pas courir. Il ne nous reste plus qu’à espérer pour eux, vraiment, que demain, après-demain, un autre jour, ça ira mieux. Nous quittons les lieux ― las murallas ―, traversons le parcours et contournons une administration2 pour atteindre la placette du marché couvert de Santo Domingo, derrière l’Ayuntamiento. C’est ici que nous prenons le parti de voir passer l’encierro. Notre emplacement, certainement pas idéal, d’autant plus que la palissade extérieure est occupée, a au moins le mérite d’exister ! À genoux sur une marche, nous serons certes à hauteur de chaussettes mais très proche de l’action, avec un champ de vision relativement dégagé. Derrière nous, l’échauffement de quelques coureurs3, physiques et que l’on devine expérimentés, constitué de petits sauts pieds joints dans un escalier, de courses aussi vives que brèves et d’étirements, fait grimper la tension d’un cran.

L’encierro
À un quart d’heure du cohete4, l’excitation, bien que contenue, devient franchement palpable. Il y a désormais des gens derrière nous. Au-dessus, les balcons se remplissent. Devant, dans l’espace compris entre les deux palissades, et ce au moins depuis notre arrivée, les volontaires de la Cruz Roja et de la DYA5 se préparent en vérifiant soigneusement le contenu de leurs valises de secourisme. Les policiers municipaux surveillent à ce que personne, en dehors des secouristes et d’eux-mêmes, n’occupe l’intérieur du vallado. Une fois la manade libérée, tout coureur en difficulté devra pouvoir s’y réfugier ― une quarantaine de centimètres sépare le sol de la première planche, permettant à un homme de s’y glisser. Un jeune visiblement éméché joue avec les nerfs des policiers. Ces derniers lui ont à plusieurs reprises demandé de quitter le parcours. Sans succès. Ils insistent. Lui aussi. Le départ est imminent6 et les forces de l’ordre le saisissent sans ménagement par le bras, lui faisant franchir les palissades, au besoin avec les pieds ! Il peut toujours protester et chercher en vain le soutien des copains, ceux-ci ont bien compris qu’ils venaient (peut-être) de lui sauver la vie... Genou à terre, un coureur roule avec calme et application son Diario de Navarra ― une belle image pour un bel instant. Certains sautillent, d’autres ajustent leur ceinture, lacent leurs chaussures. On inspire plus profondément et on souffle plus fortement ― la concentration le disputant à l’excitation, désormais extériorisée. Nous surprenons quelques abrazos et tapes dans le dos. Se donner du courage. Parler de chance. Les poils des bras se dressent. Tchiiiiiiiii ! Poum !!! Les toros sont partis. Silence. Et puis des cris, des coureurs qui détalent, encore des cris, des chocs contre la barrière. Un tremblement de terre. Des bousculades, les cloches des cabestros, des hurlements. Le chaos. Des chutes et des plongeons, toujours des cris. Énormément de bruit. Des pattes, des sabots et une corne, aussi. Plaza Consistorial, les cornus négocient maintenant la descente dans Mercaderes. Silence. Tout s’est déroulé à une allure folle. Intense, l’émotion brouille tout et je reste sans réactions pendant quelques secondes. La commotion. Souffrant le martyre, un jeune homme au sol se tord de douleur. Il est rapidement pris en charge par des secouristes précautionneux qui paraissent craindre une blessure aux cervicales. Les policiers s’empressent de délimiter un cordon. Nous franchissons comme des zombies le vallado au moment où retentit la détonation signalant l’arrivée de tous les toros dans le corral de la plaza. Encierro rapide et probablement limpio. Sur le parcours, ça bouchonne. Place de l’Ayuntamiento, un coureur a l’air d’être sérieusement blessé. Je ne le vois pas mais la civière est conduite dans l’ambulance, sous les applaudissements. Dans Mercaderes, un autre grimace entouré d’infirmiers le pantalon lacéré. Taché de sang. Cosas de encierro... Déjà les carpinteros emportent les planches du vallado. La Curva. « Patricia, t’as vu l’épaisseur du bois ? » Dans Estafeta, la propreté et l’étroitesse de la chaussée sautent aux yeux tandis que sous un beau ciel bleu nous parviennent les premières clameurs de l’arène. « Et quand on pense qu’ils sont passés par là... »

Las vaquillas
Les tendidos affichant certainement complet, nous grimpons directement aux andanadas. C’est un fait, les tendidos sont combles et le ruedo surpeuplé. Dans ce contexte, la vache se décompose très vite. Encore une ou deux ruades, deux ou trois coups de frontal, trois ou quatre volteretas et les cabestros guidés par les pastores la ramènent au bercail. Suivante ! Des amateurs de porta gayola s’attroupent devant la porte du toril et voici la rebelle qui fonce telle une boule dans un jeu de quilles. ¡Ooollééé! La plaza est aux anges. Les tampons sont rudes, les chutes lourdes, les mauvais gestes légions et les « punitions » fréquentes. Les recortes rares. Mais qu’est-ce qu’on s’marre ! Cabestros et pastores en polo vert débarquent. Ces derniers sont gênés dans leur travail par la foule surexcitée et l’un deux, excédé, fait usage de sa perche qu’il casse en frappant un jeune habillé de noir. Chose impensable, celui-ci riposte en assénant un coup de pied de karatéka dans le dos du berger !!! Furieuse, l’arène se lève comme un seul homme, la bronca est énorme. Tandis que le berger poursuit sa tâche, l’agresseur harcelé chute et reçoit, sous les « hijo de puta » (sic) de l’arène entière, une ration de coups aussi sévère que digne d’une scène de lynchage. Réellement impressionnant. Le jeune, « invité » à quitter le ruedo contre son gré, entend des « fuera » retentissants dégringoler des andanadas. Le malaise finit heureusement par s’estomper. Tout le monde est fatigué...

L’apartado
En partance pour la taquilla de l’apartado, nous — tous les 4 ! — sommes ravis de constater qu’El Batacazo a (presque) tout retrouvé : esprit, fraîcheur, sambista, moral mais pas la « carte à tirette ». Dans la longue file d’attente, des Américaines et des Américains en claquettes, bermuda, guide Lonely Planet® sous le bras et casquettes de « baisebowl » se font expliquer la corrida par un Pamplonais bien luné. Le billet coûte 8 € !? Tenez, voilà 8 euros. Offerte par la mairie aux petits d’Iruña, une capea avec du bétail faiblissime de Macua est censée donner envie... Nous préférons partir à la rencontre des Géants et des Grosses Têtes (Gigantes y Cabezudos) qui assurent avec mille fois plus de bonheur le spectacle dans Telefónica ! Comme des gamins, nous les regardons danser et sourions à les voir entourer la statue d’Ernest Hemingway pour une pause bien méritée. 11h30 : l’heure de rejoindre la porte d’entrée des corrales. La bêtise n’est pas de mise à San Fermín. Un exemple : sur le chemin, un festayre encore tout excité se laisse aller à frapper la croûpe d’un cheval. Unanime, la réprobation prend la forme d’une dizaine de paires d’yeux qui le fusille du regard. Son incroyable chignon porté tel un étendard, la Marquise de Seoane (la mère du ganadero Tomás Prieto de la Cal) fait son entrée dans le cortijo andalou gardé par un « béret vert » (!)... de la Casa de Misericordia. Midi : nous pénétrons à notre tour dans l’enceinte pour une nouvelle attente d’une heure. Il y a bientôt foule et gran ambiente. Excellemment placés, nous sommes en face du mayoral, à côté d’un Bordelais et d’une illuminée ! 6 ventorrillos surarmés et aux pelages variés défilent un par un dans le dédale de corrals avant d’atterrir dans la fosse. Comme à Bilbao, un micro au son nasillard mais au charme fou nous décline leur identité. De retour au « parking des Français », quelque chose nous dit de ne pas trop traîner. Après l’achat de nos derniers et affreux sandwichs, les comptes sont vite faits : 30 € et pas un de plus pour régler la « chambre » (1€20/heure). « Hola, 29 € 25. » ¡¡¡Gora San Fermín!!!

Ya falta menos...

1 Titre d’une musique de Pascal Comelade tirée de El Cabaret Galàctic, CD audio, Les Disques du Soleil et de l’Acier/Delabel, 1995.
2 Le Departamento de Educación y Cultura du Gobierno de Navarra.
3 Nombreux sont les coureurs en provenance de la région de Madrid et du Levant, notamment. Malgré tout, dans Santo Domingo, et contrairement à des tronçons tels que le bas d’Estafeta et Telefónica, les mozos sont principalement vêtus de blanc et de rouge.
4 Le lancement de la fusée ou la fusée elle-même.
5 DYA (Detente y ayuda) : association de secouristes volontaires typiquement navarraise.
6 Je ne me rappelle pas avoir entendu le chant des coureurs à San Fermín !

>>> Bis. Parce que des photos vaudront toujours mieux que... Retrouvez la galerie PAMPELUNE à la rubrique RUEDOS du site.

En plus
J’en profite pour rajouter une adresse à la sélection de liens sanfermineros du 29 juin dernier — sanfermines'09 & signaler l’actualisation d’une autre : Encierro San Fermín 2009.

Images © Laurent Larrieu/Campos y Ruedos — à l’exception de la dernière « piquée » je ne sais où...

18 août 2008

L'apartado à Bilbao, quelques repères


Du 17 au 24 août, huit corridas de toros — et autant d’apartados — sont au programme des Corridas Generales de Bilbao dans le cadre de sa Semana Grande (Aste Nagusia en basque).
Les lignes qui suivent sont particulièrement destinées à celles et ceux qui n’ont jamais assisté à un apartado à Vista Alegre et qui souhaiteraient s’y rendre.
Les plus curieux-ses et/ou les plus motivé-e-s consulteront les
trois posts écrits l'an dernier : L’apartado à Bilbao (I), L’apartado à Bilbao (II) et L’apartado à Bilbao (III & fin).


Sur le parvis face à la "grande porte" — au-dessus de laquelle vous lirez "Plaza de Toros de Vista Alegre / Año 1962" —, vous rejoindrez sur votre droite les aficionados déjà en faction devant la taquilla de l’apartado, elle-même située à l’extrême gauche de l’alignement de guichets (voir image L’apartado à Bilbao (I)). La pancarte "Apartado", elle, ne sera accrochée que bien plus tard, peu avant 10h30, heure d’ouverture de la vente des places de corridas.

9h40-10h > 11h. L’attente...
- Le store bleu protègera d’éventuelles intempéries seulement les cinq, six ou sept personnes arrivées avant vous. Vous tâcherez donc de loger un parapluie dans votre sac — le vêtement "imperméable" s’avérant vite sinon inopérant disons inconfortable lorsqu’il faut patienter près d’une heure et quart sous une pluie parfois battante. En Biscaye, la météo change vite !
- Bien vous placer, dès votre arrivée, dans le couloir formé par les barrières tubulaires vertes vous évitera quelques menues tracasseries lors de l’ouverture de la taquilla ;
- Si une envie pressante venait à vous comprimer la vessie, vous tiendrez bon en pensant aux toilettes impeccables qui vous attendent sous les tendidos, à droite dès la "grande porte" franchie.
11h > 11h05. Ouverture de la taquilla. En 2007, le prix d’entrée était de 5 €. Votre billet en poche, si "la grande porte" en bois est fermée... Poussez-la !
11h05 > 11h15. Vous prendrez le temps de flâner, sans trop tarder quand même, dans le petit musée que constitue le hall de la puerta grande de Bilbao. De là, vous accéderez au callejón le plus naturellement du monde et vous viserez le toril. Libres d’aller où bon vous semble, vous pourrez fouler l’étonnant ruedo gris souris ou vous reposer dans un des sièges bleu délavé qui habillent confortablement les lieux. Non, non, vous ferez cela à un autre moment...
● 11h15 > 11h30. À droite de la porte du toril, il s’en trouve une petite bien curieuse, vraiment pas haute, vraiment pas large. Vous la passerez et arpenterez au frais un étroit couloir ainsi conçu qu'il permet de voir clairement, sur votre gauche, celui que fouleront les toros en provenance de leurs chiqueros... Au bout, un patio nimbé d’une lumière presque surnaturelle et sobrement fleuri vous accueillera. Hop ! hop ! vous gravirez quelques marches, obéirez à la flèche "Apartado" puis vous tournerez à droite, franchirez une arcade et vous vous rallierez, au pied d’un escalier et devant LA porte, aux quelques visiteurs déjà présents. Ce sera de nouveau l’attente, dans un silence relatif — les discussions reprenant — et dans une obscurité incomplète — la lumière naturelle de la fosse toute proche léchant les visages.

11h30 > 11h50. Vous rentrerez avec des fourmis dans les jambes mais vous n’oublierez pas pour autant de vous munir de la fiche présentant l’identité des toros et des sobreros du jour. À cet instant, vous pourrez vous rendre derrière la fosse afin de jeter un œil aux lots de toros présents dans les corrals. Cela dit, sachez qu’il vous sera également possible de le faire un petit quart d'heure durant après l’enchiqueramiento de la course.
Vous vous installerez où vous voudrez, sauf sur le côté du carré "Junta Administrativa / Autoridades" réservé aux officiels. Accueillant les aficionados et décorés d’azulejos, les trois autres côtés1 sont équipés d’adorables petits gradins en bois peints en rouge (voir image L’apartado à Bilbao (II)). Les pieds posés sur la première planche — celle du bas —, vous vous assiérez naturellement sur la deuxième — celle du milieu — mais, attention ! celle-ci ne correspond nullement au premier rang ! En effet, vous risqueriez fort de voir des personnes venir sans crier gare se poster debout devant vous, les pieds entre la première planche et le muret, les coudes appuyés sur le rebord de la fosse ! Soyons clairs, les gradins offrent quatre rangs de spectateurs et aucune place assise vu l'affluence. Les planches et a fortiori le sol ne sont pas prévus pour les fesses mais pour les pieds.
11h50 > 12h. Ça remuera certainement derrière, sur les côtés, en face et au-dessus. En-dessous, sous l’autorité du président Matías González, le sorteo aura à peine commencé. Si comme moi vous ne lui trouvez guère d’intérêt, vous vous surprendrez sans doute à rêvasser — un coup de pompe ? — et à passer en revue quelques-uns des nombreux azulejos célébrant les élevages ayant obtenu le prix au lot le plus complet des Corridas Generales depuis près d’un demi siècle...

Aux alentours de 12h, ce sera l’effervescence autour de la fosse et vous penserez impérativement à fermer votre portable. Non sans gravité, Matías González prendra le micro — dont le son métallique insolite participe grandement au charme terrible de cette cérémonie — en même temps que la parole : « Agun deneri. Buenos días a todos. Vamos a proceder al apartado y enchiqueramiento de la corrida que va a celebrarse esta tarde en Vista Alegre. Los toros pertenecen a la ganadería de ¿?, propriedad de ¿? que se encuentra con nosotros, y le damos la bienvenida. Serán lidiados por los siguientes matadores de toros : X, Y y Z »2.
Interviendront alors un membre de la Junta puis un aficionado, chargés respectivement de vous faire patienter encore quelques instants et de présenter l’élevage du jour. Drriiing !!! Aussi désuète que le microphone, l’inimitable sonnerie vous dressera les poils des bras et annoncera l’ouverture imminente des portes... Place aux toros... Que chacun gagne sans encombre son chiquero. Bon apartado. (cf. L’apartado à Bilbao (III & fin))

1 Pour une première fois, préférer à mon avis le côté du carré situé à la droite des officiels — ceux-ci étant à votre gauche —, car il rend visible les trois ouvertures par lesquelles les toros seront successivement menés... Se placer à la gauche des officiels vous permettra certes plus sûrement de capter le regard des bêtes qui, lorsqu’elles viennent de pénétrer et d’être emprisonnées dans la fosse, se retournent instinctivement vers la porte refermée ; mais il devient dès lors problématique et peu judicieux de prendre en photo les toros, particulièrement stressés et tous sens en éveil.
2 Discours rituel — seuls les noms propres changent — piqué dans Petit guide du pèlerin de l’apartado à Bilbao, de Thierry Vignal, TOROS n° ? — désolé mais je n’ai qu’une photocopie à ma disposition.

Images C’est une Marijaia* playmobil® sur fond de Teatro Arriaga qui annoncera les festivités 2008. De 0 a 100 años © José Antonio Arrieta Ça vaut le coup de faire le tour ; ici le potager... © Campos y Ruedos Un La Quinta dans la fosse en 2007 © Campos y Ruedos
* Icône locale des fêtes.

29 août 2007

L'apartado à Bilbao (III & fin)


Aux alentours de midi, c’est l’effervescence autour de la fosse. Non sans gravité, le président des Corridas Generales, Matías González, prend la parole :
« Agun deneri. Buenos días a todos. Vamos a proceder al apartado y enchiqueramiento de la corrida que va a celebrarse esta tarde en Vista Alegre. Los toros pertenecen a la ganadería de La Quinta, propriedad de don Álvaro Martínez Conradi que se encuentra con nosotros, y le damos la bienvenida. Serán lidiados por los siguientes matadores de toros : Juan José Padilla, Antonio Barrera y Salvador Cortés. »1
À sa droite, un membre de la Junta saisit le micro qu’on lui tend et assure que cette dernière s’est efforcée de monter les meilleurs carteles possibles, des carteles à la hauteur, bien évidemment, de la qualité de l’afición bilbaína... Un mot sur le micro antédiluvien qui, une fois la surprise passée, participe grandement au charme terrible de cette cérémonie en diffusant un son métallique insolite. Le politique de service ayant remercié son auditoire, il transmet le micro à l’aficionado (dont je n’ai point retenu le nom) chargé de présenter l’élevage du jour. Une présentation à l’image de la tenue vestimentaire du monsieur : très classique.

Drriiing !!! Aucun doute permis, il ne peut s’agir d’un portable qui, soit dit en passant, restera impérativement fermé. La sonnerie est aussi désuète que le microphone ! Les choses sérieuses vont pouvoir commencer. Tous les repères dans l’espace vont être donnés à partir de ma place, quasi idéale2, car elle permet de voir les trois ouvertures par lesquelles les toros seront successivement menés. Bang ! La porte de droite (non visible sur la photo et située en face des officiels) s’ouvre aussi violemment que celle d’en face à gauche (en haut à gauche sur la photo) est ouverte calmement et simultanément, à l’aide d’une corde, par l’homme en blanc voisin du président. Un cabestro muy tardo finit par pointer son mufle et traverser la fosse pour rejoindre le corral en face à gauche, puis par retourner (les deux portes étant maintenues ouvertes) d’où il vient, et ce, deux fois de suite. À la troisième, le voici accompagné de deux toros. Cette scène se répètera quatre fois, car quatre fois deux toros plus le sonnailler défileront sous vos yeux. Bang ! La porte de droite se referme, celle d’en face à gauche s’ouvre et, via un passage par la fosse, les trois cornus s’engouffrent dans le corral ainsi découvert et s’y retrouvent emprisonnés, car notre homme en blanc a repoussé, immédiatement mais sans empressement, la porte à l’aide d’une perche. Malgré la rapidité des bêtes et l’efficacité des hommes, j’ai pu apercevoir un toro, bien ingrat et un peu nerveux, charger notre cher et "brave" cabestro qui a, avec beaucoup d’expérience on l’imagine, prestement esquivé l’agression. Aussitôt, le corralero tire sur sa corde pour libérer un des toros dans la fosse. Ceux-ci, ne trouvant pas d’issue, sont instinctivement attirés par la seule sortie possible, à savoir la porte par laquelle ils sont arrivés. À ce moment-là, les deux toros convoitent la place dans la fosse qui n’en accueillera qu’un seul... Eh bien, il faut avoir assisté une fois dans sa vie d’aficionado à la faena del corralero vestido de blanco, consistant à manœuvrer la lourde porte du corral à l’aide d'une perche, pour (sa)voir comment il est possible d’empêcher, et avec quelle délicatesse, un taureau de combat de 540 et quelques kilogrammes d’aller où il veut !

La bête est là dans toute sa majesté, menaçante, inquiète et frémissante. Elle hume l’air, contient sa colère, agite les oreilles, bascule ses cornes en arrière et le morrillo enfle. Tandis que nous scrutons son armure fine et limpia, son dos fort et cárdeno, sa silhouette sèche et musculada, le chef d'orchestre Matías González nous donne son ordre de sortie (ou s’il est sobrero, son rang ; les sobreros, muy serios bien entendu, appartenant à la même ganadería : quel luxe !), le nom de son matador ainsi que sa carte d’identité (numéro, nom, date de naissance, pelage et poids). Une fois les mots envolés, la porte coulissante (en haut à droite sur la photo) glisse et invite le toro à rejoindre son chiquero. C’est au tour de son frère de pénétrer dans la fosse et de nous ravir du même spectacle. Une mise en scène précise, huit fois répétée, toujours différente.

L’impressionnant ballet terminé, don Álvaro Martínez Conradi reçut droit au cœur, en guise de félicitations et de remerciements, les applaudissements nourris de l’assistance. Cette dernière quitta les lieux pour se rendre massivement aux corrals — les lots que j'y ai vus, au travers de persiennes "tue-photos", me parurent bien fades, même à Bilbao, en comparaison de celui que je venais d’admirer. En effet, ce dimanche matin, huit cuajados et entipados toros Santa Coloma-Buendía de l’élevage de La Quinta éblouirent la fosse. Certes, la situation en hauteur écrase et permet très difficilement de juger de la juste stature des bêtes, mais quand la nette sensation d’avoir vu, comme ce fut précisément le cas, huit fois les mêmes toros vous étreint, quelque chose vous dit que l'on ne vous a pas servi des sardines de la ría voisine. La grande homogénéité de ce lot excellemment présenté et limpio valait à elle seule le déplacement. Dans le fond, qu'importe si l’après-midi la course ne fut "pas bonne"...

Enfin, et comme l’a si justement écrit Thierry Vignal dans son Petit guide du pèlerin de l’apartado à Bilbao, cet apartado « vous donne le sentiment que la tauromachie est tout de même autre chose qu’un divertissement ; que ce n’est ni du cirque, ni du cinéma, mais autre chose. Pour le reste, l’apartado se vit ; il ne se raconte pas. »

1 Discours rituel (les noms propres changeant) piqué dans Petit guide du pèlerin de l’apartado à Bilbao, de Thierry Vignal, TOROS n° ? (désolé, mais je n’ai qu’une photocopie à ma disposition).
2 Se placer à la gauche des officiels vous permettra certes plus sûrement de capter le regard des bêtes qui, lorsqu’elles viennent de pénétrer et d’être emprisonnées dans la fosse se retournent instinctivement vers la porte refermée ; mais il devient problématique et peu judicieux de prendre en photo les toros, particulièrement stressés (il n’est pas rare de les voir déféquer) et tous sens en éveil.

Épisodes précédents Cliquer sur L’apartado à Bilbao (I) & sur L’apartado à Bilbao (II) ; bien conscient du décalage existant entre la publication de ces lignes et la fin des Corridas Generales, je tâcherai pour l’année prochaine de rédiger un résumé...

Image Un La Quinta dans la fosse aux toros © Campos y Ruedos

26 août 2007

L'apartado à Bilbao (II)


9h40 > 11h. C’est l’attente, voir L’apartado à Bilbao (I).

11h. Ouverture de la taquilla. Le prix d’entrée est fixé à 5 €. Cette information pourtant basique ne figure ni au guichet ni dans la plaquette officielle ni sur le site Internet bancal de la plaza ni nulle part ailleurs. Avant de débourser vos euros, il se peut que vous entendiez parler de numéro(s) entre le guichetier et un des aficionados vous précédant. Si comme moi, vous ne comprenez rien à cette histoire de numéro, n’en faites pas cas.

Entre 11h02 et 11h05, il y a comme qui dirait un petit flottement dans l’air car la "grande porte" en bois de l’entrée principale, le véritable point de départ de la visite, est fermée ; le "groupe des six" s’est volatilisé ; les gens filent de tous côtés ; je me sens soudain un peu désorienté. Quelques minutes plus tôt, j’avais bien aperçu le ganadero et son mayoral pénétrer par cette porte dans Vista Alegre, mais moi je reste obstinément bloqué. Et puis, il se passe un truc... Après analyse de la situation, je dois vous avouer que le courage ou le culot n’avaient rien à voir dans l’affaire ; il suffisait de se réveiller, d’avancer, de sortir les mains des poches et de pousser la porte ! C’était ça, le truc.

11h05 > 11h10-15. Soulagé, au propre comme au figuré, je me sens pousser des ailes et j’en profite pour prendre quelques photos, notamment la tête de 'Carjutillo', un Samuel Flores muy cornalón estoqué par Enrique Ponce... J’accède au callejón le plus naturellement du monde et je vise le toril entre les vomitoires des tendidos 4 & 2. Libre d’aller où bon me semble (c’est une réalité incontestable), j’aurais pu faire plus court en traversant l’étonnant ruedo gris souris, ou plus long en me reposant au passage dans un des sièges bleu délavé qui habillent joliment et confortablement les lieux.

11h15 > 11h30-35. À droite et perpendiculairement à la porte du toril, il s’en trouve une petite bien curieuse, vraiment pas haute, vraiment pas large. Par précaution, je plie les genoux et me mets de profil — voilà comme ça, à la façon d’un Égyptien. J’arpente désormais un étroit couloir ainsi conçu qu'il permet de voir clairement celui de gauche que fouleront les toros en provenance de leurs chiqueros... Mmmh... Le fond de l’air est frais et les mains sont moites. Au bout, un patio nimbé d’une lumière quasi surnaturelle et sobrement fleuri m’accueille. Hop ! je gravis quelques marches, obéis à la flèche "Apartado" puis je tourne à droite, passe sous une arcade et me rallie, au pied d’un escalier et devant LA porte, aux quelques visiteurs déjà présents. Des six de tout à l’heure, il n’en reste plus qu’un ! C’est de nouveau l’attente, dans un silence relatif — les discussions reprenant — et une obscurité incomplète — la lumière naturelle de la fosse toute proche léchant nos visages. Sur injonction d'un employé de la plaza, nous laissons un passage libre où nous ne tardons pas à y voir défiler officiels et personnalités, dont Eduardo Miura en personne.

11h30-35 > 11h50. Des fourmis dans les jambes, je rentre fébrilement en oubliant de me munir de la fiche (pas vue, pas prise ; soyez vigilants) présentant les toros et les sobreros du jour. C’est un simple bout de feuille blanche comportant des informations erronées — reprises dans le programme officiel —, que je finirais par récupérer une fois l’apartado terminé auprès d’une veste bleue à col rouge — c’est l’uniforme du personnel de Vista Alegre. À cet instant, vous pouvez filer aux corrals jeter un œil aux toros mais sachez qu’il vous sera également possible de le faire un petit quart d'heure durant après la fin de l’enchiqueramiento de la course. Je fais le tour en obliquant à gauche (on peut aller tout droit) pour m’installer à la droite des officiels qui occupent un des côtés du carré sur le mur duquel on lit : "Junta Administrativa / Autoridades". Les trois autres côtés, réservés aux aficionados, sont pourvus d’adorables petits gradins en bois peints en rouge (voir photo). Les pieds posés sur la première planche, je m’assois sur la deuxième, celle du milieu, mais attention, celle-ci ne correspond nullement au premier rang ! Je m’explique. En effet, j’ai vu des personnes s’asseoir comme moi sur cette rangée du milieu et d’autres venir se poster debout devant elles, sans crier gare après un détour aux corrals, les pieds entre la première planche et le muret, les coudes appuyés sur le rebord numéroté (!?) de la fosse. Les indélicats (ou les habitués) occupaient dès lors le premier rang tandis que les dindons de la farce qui pensaient s’y trouver se voyaient relégués au second et ainsi de suite. Soyons clairs, les gradins offrent quatre rangs de spectateurs et aucune place assise vu l'affluence !
En bas, à l'écart du monde, on peaufine les derniers réglages, on graisse avec application le seuil de la porte coulissante et on vérifie la bonne marche des portes qui ne coulissent pas. Des portes choyées par les uns, maltraitées par les autres...

11h50 > 12h. Ça remue derrière, au-dessus — il y a du monde sur la galerie, peut-être des invités, à moins que l’on puisse y monter, je ne sais pas — et en-dessous de moi. Le sorteo a commencé, présidé par... le président Matías González. Tout ce petit monde s'agite en prenant bien soin de ne pas marcher dans la gadoue et Morenito d’Arles, l’inénarrable "lieutenant" de Juan José Padilla, n’en finit pas de se signer. Vous voulez que je vous dise ? Le sorteo, c’est chiant !

Ce constat personnel fait, je préfère rêvasser en admirant ce puits de lumière envoûtant ; je passe en revue les nombreux azulejos célébrant les élevages ayant obtenu le prix au lot le plus complet des Corridas Generales depuis plus de quarante ans ; j’observe du coin de l’œil les sourires crispés et la main droite tremblante du ganadero resté à nos côtés. Lentement, imperceptiblement, une sensation d’être hors du temps ou dans un ailleurs indéfini s’immisce, croît et vit en moi.

À suivre...

Image Le "carré" & la fosse aux toros © Campos y Ruedos

24 août 2007

L'apartado à Bilbao (I)


Ce dimanche matin sur la Biscaye, il pleut, il mouille, c'est la fête à la grenouille. En haut de la rue Santiago Brouard près du parc Ametzola, j’ai l’embarras du choix pour garer ma voiture — zone payante, en semaine tout au moins. Je marche en direction de la place Ametzola et j’aperçois l'imposant mur d’enceinte des corrals orné de fers prestigieux, puis je suis saisis par la masse de briques de Vista Alegre encadrée par des immeubles d’habitations franchement tristounets. Le contraste est grand entre les images de campo que les locataires des corrals ne manquent pas de faire surgir dans l’esprit de l’aficionado et ce paysage à l’urbanité si dense et morose qu’elle en est spectaculaire. Depuis la place, je choisis d’emprunter sur la droite l’escalier au fond à gauche afin de pouvoir profiter d’un point de vue intéressant sur les corrals et les dépendances de la plaza. Choisir cette option, c’est aussi se rallonger le chemin jusqu’à la taquilla en parcourant les deux tiers de la circonférence des arènes ; une taquilla que j'ai hâte d'atteindre — je perçois un murmure au loin.

L'escalier (attention, marches glissantes par temps humide) du virage de la rue Vista Alegre descendu sans dommage, je fais désormais face à la "grande porte" de la plaza et je rejoins à droite de celle-ci le groupe de six aficionados déjà en faction devant la taquilla de l’apartado, sise à l’extrême gauche de l’alignement de guichets. La pancarte "Apartado" ne sera accrochée que bien plus tard par un guichetier, peu avant 10h30, heure d’ouverture de la vente des places de corridas. Il est 9h40 du matin et avant de dérouler les différentes étapes de l’apartado à Bilbao, permettez-moi d'apporter quelques commentaires :
1/ La taille du store bleu (du bleu !) est telle qu’il protègera des intempéries seulement ceux arrivés avant moi, en l’occurence le "groupe des six". On tâchera donc de loger un parapluie dans son sac à dos ; le vêtement imperméable s’avérant vite sinon inopérant disons inconfortable lorsqu’on doit patienter plus d’une heure et quart sous une pluie parfois battante ;
2/ Il paraît que l’Espagnol est de plus en plus discipliné et respectueux de règles en tous genres (à l’exception de celles régissant la lidia mais je m’égare) ; bien vous placer dans le couloir formé par les barrières tubulaires vertes (du vert !) vous évitera ainsi quelques menues tracasseries lors de l’ouverture de la taquilla ;
3/ Au cours de votre attente, vous verrez pas mal d’agitations, d’allées et venues, un abrazo par ci, une poignée de mains par là, etc. Ne soyez pas inquiets et dites-vous que sans cela l’attente serait encore plus longue ;
4/ Vous entendrez sûrement parler français ; là, vous devrez vous méfier... Surtout si vous ne connaissez pas la ou les personne-s ! Personnellement, je ne connaissais pas ce charmant couple de Biarrots. Monsieur a cru bon de me vanter les mérites de l’indépendance de la placita dacquoise... À moi qui, quelques jours plus tôt, annonçait certes de façon quelque peu balourde le début de la foire aux bestiaux de Dax ! Remarquez bien que j’avais tendu la vara pour me faire "carioquer" en m’autorisant, dans un moment de solitude sans doute, une réflexion stupide sur un sujet qui l’était tout autant... Moralité : ne laissez pas vos oreilles traîner à proximité d’une arène ;
5/ Acheter un journal économique allemand ou apporter un livre de mécanique en serbo-croate, par exemple, devrait vous assurer un peu de tranquillité mais pourrait tout aussi bien attiser la curiosité, alors à vous de voir ;
6/ Si une envie pressante venait à vous comprimer la vessie, tenez bon et pensez aux toilettes impeccables qui vous attendent sous les tendidos, à droite dès "la grande porte" franchie.

À suivre...

Image En cliquant, vous localiserez aisément la "grande porte" ainsi que la taquilla de l'apartado, sur la droite sous le store © Campos y Ruedos

26 octobre 2005

Apartado


L’espace se remplit insidieusement, le murmure envahit les vides. Dans quelques minutes, les six toros de la corrida du soir vont défiler devant nous, sous nous.
Jandilla, Conde de la corte ou Dolores Aguirre, quelle importance ?
Evidemment magnifiques, impressionnants vus de haut.
Les cornes paraissent deux ailes d’un airbus, leurs tremblements inquiètent, bêtes sauvages. Le mayoral est là, en face de nous au premier rang, il guide les opérations sans mot dire, serre des mains inconnues ; il est resté en Andalousie.
Toute la ville est en visite. Les notabilités partagent un bout de « morcilla » couchée sur un frêle esquif de pain avec le gratin du mundillo ; là-bas à droite, ça doit être la femme d’un « important » ou quelque chose dans le style, celle-là, un stand de bijoutier façon j’illumine Paris à Noël.
On n’est pas tellement à notre place finalement.
Ici, à l’apartado, le blanc est plus blanc que la robe de mariée d’une vierge, le rouge se voit à des kilomètres, le cirage coule sur le plancher.
On n’est pas tellement à notre place finalement. La ciudad « hig tech » s’est donnée rendez-vous à l’apartado, faut y être, c’est comme les corridas à Dax, à peu de choses près. On se montre, on ragote, on critique, on est de la haute, faut qu’on le sache.
On n’est pas tellement à notre place finalement.
13 heures.
Un micro inaudible rompt le cancan des rombières. On annonce les réjouissances.
« Seis toros de la ganaderia de Jandilla, de Badajoz… »
“Primero: un toro negro bragado meano, de 560 kg, con el numero 10 que corresponde al matador ...”
Des portes s’ouvrent au fond des corrales, des sabots s’égratignent sur le bitume et d’un coup, comme poussé par le noir du couloir, surgit un monstre qui cherche son chemin.
On le guide en entrouvrant l’accès aux chiqueros, il disparaît aussi vite qu’il est entré. Hasta pronto, cariño.
6 fois c’est le même manège, tout est solennel, sérieux, bien huilé.
Pendant six toros on a eu le silence du respect, les « vieilles » permanentées aux bijoux gros comme des galets ont fermé leur clapet, la « morcilla » est froide, le pain durci.
Je regarde ce mayoral en face de nous, loin de tous ces yeux qui ne voient pas les toros.
On n’est pas à notre place finalement sauf pendant six toros, on était là où il fallait…