26 octobre 2005

Apartado


L’espace se remplit insidieusement, le murmure envahit les vides. Dans quelques minutes, les six toros de la corrida du soir vont défiler devant nous, sous nous.
Jandilla, Conde de la corte ou Dolores Aguirre, quelle importance ?
Evidemment magnifiques, impressionnants vus de haut.
Les cornes paraissent deux ailes d’un airbus, leurs tremblements inquiètent, bêtes sauvages. Le mayoral est là, en face de nous au premier rang, il guide les opérations sans mot dire, serre des mains inconnues ; il est resté en Andalousie.
Toute la ville est en visite. Les notabilités partagent un bout de « morcilla » couchée sur un frêle esquif de pain avec le gratin du mundillo ; là-bas à droite, ça doit être la femme d’un « important » ou quelque chose dans le style, celle-là, un stand de bijoutier façon j’illumine Paris à Noël.
On n’est pas tellement à notre place finalement.
Ici, à l’apartado, le blanc est plus blanc que la robe de mariée d’une vierge, le rouge se voit à des kilomètres, le cirage coule sur le plancher.
On n’est pas tellement à notre place finalement. La ciudad « hig tech » s’est donnée rendez-vous à l’apartado, faut y être, c’est comme les corridas à Dax, à peu de choses près. On se montre, on ragote, on critique, on est de la haute, faut qu’on le sache.
On n’est pas tellement à notre place finalement.
13 heures.
Un micro inaudible rompt le cancan des rombières. On annonce les réjouissances.
« Seis toros de la ganaderia de Jandilla, de Badajoz… »
“Primero: un toro negro bragado meano, de 560 kg, con el numero 10 que corresponde al matador ...”
Des portes s’ouvrent au fond des corrales, des sabots s’égratignent sur le bitume et d’un coup, comme poussé par le noir du couloir, surgit un monstre qui cherche son chemin.
On le guide en entrouvrant l’accès aux chiqueros, il disparaît aussi vite qu’il est entré. Hasta pronto, cariño.
6 fois c’est le même manège, tout est solennel, sérieux, bien huilé.
Pendant six toros on a eu le silence du respect, les « vieilles » permanentées aux bijoux gros comme des galets ont fermé leur clapet, la « morcilla » est froide, le pain durci.
Je regarde ce mayoral en face de nous, loin de tous ces yeux qui ne voient pas les toros.
On n’est pas à notre place finalement sauf pendant six toros, on était là où il fallait…