14 novembre 2009

Théâtre d'ombres


Ce jour de mars dernier à « Monteviejo », entre Moraleja et Coria et sous une chaleur à faire crever les mouches, après notre passage à l’usine de « Las Tiesas » gardée par un cow-boy farouche, mesdames les vétérinaires de l’UCTL soignaient, monsieur Victorino Martín hijo dirigeait, sa fille notait, les vaqueros sifflaient, Thomas observait, les bêtes mugissaient, Yannick fondait, les chevaux dormaient, Laurent bricolait et moi, je m'impatientais...

Victorino père, quant à lui, coiffé d’un pain de sucre en paille et armé d’une patience de garde suisse, ne perdait pas une miette de cette pièce de théâtre à laquelle il donnait l’impression d’être étranger, comme exclu de la distribution. Il était là sans être là et, pourtant, nos yeux ne voyaient que lui. Lui, ce petit bonhomme râblé à la classe énorme, ce fier paysan au visage attendrissant. Ce ganadero de prestige.

Le saneamiento et l'entretien avec le fiston* terminés, le paleto nous fit monter dans son auto, direction le superbe campo des monteviejos. En provenance directe de chez Barcial, il fut un temps pas si lointain où les magnifiques patas blancas des Victorino mettaient une fois l’an Las Ventas en panique : des estampes sortaient, les picadors se signaient et charcutaient, les banderilleros se sauvaient, les matadors abrégeaient. Certains saluaient.

Nez à la portière, Victorino père portait loin son regard mouillé, si loin qu’il passait sans mal au-dessus des masses noires et blanches montées sur leurs courtes pattes à gros sabots. Des cornes orientées vers le sable, d’autres en pinces de crabes... Il est assez clair que la marée monte lentement mais sûrement et que, dans l’indifférence de son propriétaire (?), Monteviejo marche de travers. Au grand désarroi du vieux Victorino. Au grand dam des aficionados.

* Parfois, quand on réalise l’importance des sangs qui sont entre ses mains et que l’on entend son discours, bien conventionnel — ou l'art de dire ce que votre interlocuteur souhaite entendre —, on est en droit de se demander de qui, entre un Juan Pedro Domecq (par trop ouvertement débile) et lui, il nous faudrait davantage se méfier...

>>> Retrouvez la galerie consacrée aux Monteviejo sur le site à la rubrique CAMPOS.

Rappel
Si vous avez Deux secondes, (re)lisez donc le texte de Laurent. Si vous en avez 5 de plus, (re)plongez-vous dans Victorino, Victorín... de Solysombra et repassez-vous la galerie des victorinos réalisée dans un décor « printanier » éclatant de beauté...

Images Une estampe noire et blanche, un des rares monteviejos « de Madrid » © Camposyruedos Parce que j’ai longuement hésité lors de la rédaction du post précédent... Une peinture noire et blanche de Pierre Soulages / 19 juin 1963, 1963 / Huile sur toile, 260 x 202 cm © Collection Centre Pompidou, Musée national d’art moderne.