En ce printemps 2009 le soleil est rayonnant. Le campo andalou est vert et fleuri comme jamais, du moins comme il ne l’a plus été depuis bien longtemps. Les vaches sont magnifiques et pleines de forces. On nous raconte de toutes parts leurs exploits en tientas et, crédules, nous rêvons. Un ganadero nous contant même qu’il dut arrêter une de ses tientas après la première vache, le torero étant épuisé... Dans de telles conditions, la faiblesse, le mal majeur de la fiesta, gommée, que dis-je, éradiquée, la temporada 2009 s’annonçait sous les meilleurs auspices. Tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes et, pour rajouter à notre bonheur, nous étions en vacances avec tout le temps nécessaire pour s’imprégner de notre passion.
Puis, patatras ! Quelques jours plus tard ce fut Séville. Un fracaso majuscule. Un fracaso homogène comme il m’a rarement été donné d’en voir. Toros faibles et décastés. Pratiquement tous faibles alors que le campo promettait l’inverse. Premier signe sans doute de la cassure entre le toro bravo et son environnement. Première pièce à charge au dossier des élevages industriels, que les années à venir devraient largement étayer. Une preuve que l’alimentation du toro de lidia est complètement découplée de son milieu naturel. Qu’il vive sur de l’herbe, de la terre, du gravier, du goudron ou de la paille, le résultat est identique. Il se suppute même que certains ganaderos désherberaient des cercados pour mieux contrôler l’alimentation de leurs toros !
Ces conditions d’élevage nous rapprochent bien du principe industriel. L’appellation n’est pas nouvelle mais elle est habituellement usée dans un sens quantitatif. Alors qu’ici nous sommes sur le principe même de l’industrialisation : la détermination d’une méthodologie pour parvenir à un résultat unique. La reproductibilité est bien le maître mot de l’industrie, avant même le côté quantitatif, qui en est la conséquence, l’aboutissement. Nous sommes en train de vivre la cassure du lien toro/environnement. Quel que soit le temps, le toro est le même. Si jadis on pouvait expliquer des hauts et des bas en fonction du temps — telle temporada était grandiose en raison de la force du bétail et telle autre, au contraire, était pauvre en raison du climat rigoureux —, aujourd’hui, la climatologie n’est plus une source de diversité. Un pas de plus vers l’homogénéité de la fiesta est franchi.
Je ne reviendrai pas sur l’appauvrissement de la génétique et la diminution des encastes significatifs. Je me suis largement étendu sur ce thème l’hiver dernier (voir analyse).
Peu avant la mésaventure sévillane, confirmée plus tard par une temporada de piètre qualité, une conversation nous fit broyer du noir. Un ganadero nous compta les tentatives de rapprochements des différentes associations d’éleveurs. Rien d’alarmant jusque-là. Mais tout se complique lorsqu’on apprend qu’un des objectifs du projet est de constituer une base de données commune où, tenez-vous bien, serait regroupée l’intégralité des bêtes des élevages de la planète, avec leur valorisation qualitative ! Oui, vous avez bien lu. Valorisation qualitative. C'est-à-dire que la base de données va renfermer les notes de tientas de chaque bête. Et vous l’avez senti venir, le barème est imposé ! C’est bien là le gros hic. Avant même de commenter le contenu du barème (post à suivre), le principe d’une grille de notation unique pour tous les élevages du monde entier est choquant car il constitue une entrave, encore une, à la diversité. En quelque sorte, l’éleveur n’a plus le droit de définir ses propres critères, on les lui impose. Peu importe ses goûts, le toro qu’il aime, ce qu’il désire élever. Désormais, on lui dit que le toro doit être ainsi. Qu’elle est loin l’époque où il se disait avec raison « no hay ganaderías, hay ganaderos ». C’est comme si on imposait une même ligne éditoriale à toutes les revues taurines. Euh ! Mauvais exemple, je vous l’accorde, car là aussi il y aurait beaucoup à écrire sur la diversité. Ce barème unique, c’est dire qu’un éleveur n’a pas le droit à la différence, qu’il n’a pas le droit d’innover et d’inventer un nouveau toro. Avec de tels principes, nous serions aujourd’hui encore avec le toro du siècle dernier. Des éleveurs de génie, car différents, inculquant à leurs toros des caractéristiques jusqu’alors ignorées ou non ordonnées, ne se seraient jamais fait connaître. C’est le cas de Juan Pedro Domecq, Atanasio Fernández ou encore Carlos Núñez. Et Miura, Victorino Martín, Palha, pourquoi les aimons-nous ? Parce qu’ils sont différents. Pourquoi aujourd’hui Juan Pedro Domecq a perdu son prénom ? Parce que son toro est comme un autre, comme tant d’autres et peu importe de quel élevage il provient, on connaît pratiquement le résultat.
Je ne reviendrai pas sur l’appauvrissement de la génétique et la diminution des encastes significatifs. Je me suis largement étendu sur ce thème l’hiver dernier (voir analyse).
Peu avant la mésaventure sévillane, confirmée plus tard par une temporada de piètre qualité, une conversation nous fit broyer du noir. Un ganadero nous compta les tentatives de rapprochements des différentes associations d’éleveurs. Rien d’alarmant jusque-là. Mais tout se complique lorsqu’on apprend qu’un des objectifs du projet est de constituer une base de données commune où, tenez-vous bien, serait regroupée l’intégralité des bêtes des élevages de la planète, avec leur valorisation qualitative ! Oui, vous avez bien lu. Valorisation qualitative. C'est-à-dire que la base de données va renfermer les notes de tientas de chaque bête. Et vous l’avez senti venir, le barème est imposé ! C’est bien là le gros hic. Avant même de commenter le contenu du barème (post à suivre), le principe d’une grille de notation unique pour tous les élevages du monde entier est choquant car il constitue une entrave, encore une, à la diversité. En quelque sorte, l’éleveur n’a plus le droit de définir ses propres critères, on les lui impose. Peu importe ses goûts, le toro qu’il aime, ce qu’il désire élever. Désormais, on lui dit que le toro doit être ainsi. Qu’elle est loin l’époque où il se disait avec raison « no hay ganaderías, hay ganaderos ». C’est comme si on imposait une même ligne éditoriale à toutes les revues taurines. Euh ! Mauvais exemple, je vous l’accorde, car là aussi il y aurait beaucoup à écrire sur la diversité. Ce barème unique, c’est dire qu’un éleveur n’a pas le droit à la différence, qu’il n’a pas le droit d’innover et d’inventer un nouveau toro. Avec de tels principes, nous serions aujourd’hui encore avec le toro du siècle dernier. Des éleveurs de génie, car différents, inculquant à leurs toros des caractéristiques jusqu’alors ignorées ou non ordonnées, ne se seraient jamais fait connaître. C’est le cas de Juan Pedro Domecq, Atanasio Fernández ou encore Carlos Núñez. Et Miura, Victorino Martín, Palha, pourquoi les aimons-nous ? Parce qu’ils sont différents. Pourquoi aujourd’hui Juan Pedro Domecq a perdu son prénom ? Parce que son toro est comme un autre, comme tant d’autres et peu importe de quel élevage il provient, on connaît pratiquement le résultat.
Ce principe de notation unique est extrêmement dangereux et pourrait entraîner à terme l’extinction des ganaderías pour créer LA ganadería. Et si ce système entre en application, il nous faudra peut-être créer une CNIL taurine afin de donner le droit aux éleveurs de choisir leurs critères de sélection.
Quant à l’utilisation de la base de données, elle apparaît aujourd’hui bien vague. On parlerait d’une assise pour distribuer les subventions, mais rien de bien précis n’est énoncé. D’ailleurs les informations sur le sujet venant du campo sont évasives et nous ont obligés à mener une enquête administrative pour reconstituer le scénario. En bref, il semblerait que le point de départ soit un décret européen visant la préservation de la diversité biologique. Rien de récent, puisque ceci s’inscrit dans la suite logique du congrès de Rio de Janeiro, datant de 1992. En 1998, l’Espagne a défini un plan de conservation de ses races autochtones donnant lieu à plusieurs lois, dont quelques-unes récentes (2007 & 2009). Le bulletin officiel du 27 janvier 2009 définit notamment les modalités du plan espagnol et donne pour obligatoire le plan d’amélioration génétique (« programa de mejora ») qui doit être mené par chaque association d’éleveur reconnue. Dans ce plan, on retrouve des données devenues classiques comme le livre généalogique mais aussi l’obligation de contrôler la valeur génétique du bétail (« control de rendimientos ») et de l’inscrire dans une base de données informatique. Ce dernier point, si évident lorsque l’on traite de production, qu’elle soit laitière ou allaitante (production de viande), l’est beaucoup moins au sujet du taureau de combat. Sa valeur repose sur son comportement, mais quel comportement ? Même si l’on peut définir des caractères génériques, il en existe d’autres qui sont propres à tout un chacun et de surcroît subjectif, donc difficilement quantifiable. L’UCTL, dans son plan de 2006, sembla parfaitement au fait du problème et traîna sûrement les pieds dans son application pour cause de son inadaptation au taureau de combat.
Quant à l’utilisation de la base de données, elle apparaît aujourd’hui bien vague. On parlerait d’une assise pour distribuer les subventions, mais rien de bien précis n’est énoncé. D’ailleurs les informations sur le sujet venant du campo sont évasives et nous ont obligés à mener une enquête administrative pour reconstituer le scénario. En bref, il semblerait que le point de départ soit un décret européen visant la préservation de la diversité biologique. Rien de récent, puisque ceci s’inscrit dans la suite logique du congrès de Rio de Janeiro, datant de 1992. En 1998, l’Espagne a défini un plan de conservation de ses races autochtones donnant lieu à plusieurs lois, dont quelques-unes récentes (2007 & 2009). Le bulletin officiel du 27 janvier 2009 définit notamment les modalités du plan espagnol et donne pour obligatoire le plan d’amélioration génétique (« programa de mejora ») qui doit être mené par chaque association d’éleveur reconnue. Dans ce plan, on retrouve des données devenues classiques comme le livre généalogique mais aussi l’obligation de contrôler la valeur génétique du bétail (« control de rendimientos ») et de l’inscrire dans une base de données informatique. Ce dernier point, si évident lorsque l’on traite de production, qu’elle soit laitière ou allaitante (production de viande), l’est beaucoup moins au sujet du taureau de combat. Sa valeur repose sur son comportement, mais quel comportement ? Même si l’on peut définir des caractères génériques, il en existe d’autres qui sont propres à tout un chacun et de surcroît subjectif, donc difficilement quantifiable. L’UCTL, dans son plan de 2006, sembla parfaitement au fait du problème et traîna sûrement les pieds dans son application pour cause de son inadaptation au taureau de combat.
Mais le décret européen est en application depuis déjà quelques années, et si les associations d’éleveurs de taureau de combat espagnols ne remplissaient pas tous ces critères, elles n’en acceptaient pas moins les fruits : les subventions. Ceci amena le Ministère de l’Agriculture espagnol à se fâcher et à forcer la main des associations d’éleveurs. Ainsi, chaque association a créé ou est en train de créer ses grilles de notations indispensables pour combler les réquisits européens et profiter en toute légitimité des subventions. Vous trouverez ici reproduites les grilles des deux associations les plus importantes, l’UCTL et l’AGL, qui témoignent de cette réalité. Je vous laisserai juger vous-mêmes de leur pertinence.
Heureusement, il reste encore des ganaderos, des vrais, pour nous sortir de cette rigueur administrative. Des personnalités que le système n’a pas réussi à corrompre. Des hommes, des femmes qui, lorsqu’ils parlent des grilles de notations, rigolent et vous expliquent, un petit sourire en coin, que chaque printemps ils joueront au loto ganadero ! Tant qu’il y aura du caractère, de l’aspérité, il y aura la fiesta brava.
Après avoir perdu la diversité des races, la diversité temporelle, conséquences des facteurs météorologiques, nous serions en passe de perdre la diversité de sélection. Les toreros étant, eux aussi, de plus en plus stéréotypés, nous sommes en droit de nous demander en quoi une corrida va bientôt différer d’une autre. De la différence naît la richesse. Nos pères étaient riches, nos enfants seront bien pauvres.
Photo Chez Araúz de Robles © Jérôme 'El Batacazo' Pradet
Grilles de notations © AGL & UCTL