09 novembre 2009

Pas deux, mais trois...


Il fait toujours bon, chez Auguste. A une longueur de muletazo du forum, y'a de la pierre, du bois, des odeurs de plats en sauce qui frémissent, des amis, du rouge râpeux, des cendriers qui dégueulent, et des regards de vieux frères, des sourires tendres et de l'or, du sang et du sable plein les mémoires. On était bien et on célébrait l'Afición de René, Paquito, et les autres, on célébrait les toros et la vie qui va avec. A l'autre bout de la table, 2 viocs aux tronches burinées par de trop longues heures passées sous un soleil qui ne plombe nulle part ailleurs autant que chez eux. Les 2 vieux compères qui taillaient vigoureusement dans leur pièce de boeuf respective avant d'essuyer leur bouche sèche d'un revers de manche rural et assumé, s'appellaient Victorino Martín Andrés et Francisco Ruiz Miguel. En face, donc, coincé dans sa joyeuse tablée d'heureux affamés, le regard noir qui jubile en silence, qui pétille comme celui d'un môme à Noël et s'émeut du moindre battement de cil de ces deux-là, René, l'éternel ado de 65 balais. Le fou, le pétillant, l'ingérable, l'insondable René, l'Ami Nénèche... et ses 50 années de rêves taurins !

Si Nénèche avait un père, ce serait Victorino, s'il avait un frangin, ce serait Paco... et ces deux-là étaient d'ailleurs là, parce que René n'a jamais aimé les toros autrement que cárdeno, et n'a jamais pensé qu'on pouvait les toréer mieux que le fit jadis Ruiz Miguel. Et il jubilait, le Nénèche, de les voir là, tous deux réunis, pour célébrer ses 50 baluches à lui de fiesta a los toros. Tu parles, « 50 baluches », juste un prétexte à se faire plaisir, juste un prétexte à les voir là, à les avoir pour soi, à la maison, pour lui, rien que pour lui, à un hachazo de son coeur d'éternel chaval.
Au bout de la table, chez Auguste, entre 2 quilles de rouge et un cendrier, 40 ans d'Afición, d'histoire de toros, de gloire et de fracasos, d'éclats de rire, de coups de sang, d'émotion salée qui se laisse aller discrètement sur la joue... 40 ans d'une passion amoureuse, éclose en un bel après midi gascon de mai 1970, quand Victorino n'était plus tout à fait Escudero Calvo, et que Ruiz Miguel débarquait, minot, dans ce trou gersois pour y écrire sans le savoir la plus émouvante des pages de l'Histoire de l'Afición française. Pouvaient-ils se douter, ces deux messieurs-là, qu'à quelques tendidos de leur historique rencontre de sang, le jeune Berlandier mêlait en même temps son destin au leur, pour ne plus jamais lâcher l'étreinte...
Ils n'étaient donc pas deux, mais trois, ce jour-là, et 40 ans après, chez Auguste, dans l'unique saveur des nuits arlésiennes, planait à nouveau la douce caresse des collines du Gers, la rudesse d'un ruedo intemporel et le souvenir d'un moment unique en noir et blanc qui appartient à l'Histoire des hommes et des toros... Une Histoire pour l'éternité. Celle de Victorino, Ruiz Miguel et… René, qu'on appelle aussi Nénèche. Ils n'étaient pas deux, mais trois, ce 18 mai 1970, et personne n'y pourra plus rien. C'est écrit et c'est comme ça.

Parce que les toros sont arrivés quand les hommes se sont mis à rêver...

>>> A la rubrique PHOTOGRAPHIES du site, ou en cliquant sur le titre, l'émotion de ces retrouvailles, en la Monumental de Gimeaux...