14 décembre 2007

Rectificatif de Marc Roumengou à "Miura à Bilbao !"


Suite à la mise en ligne de Miura à Bilbao ! (3 décembre 2007), Marc Roumengou nous a envoyé le rectificatif suivant :

« MIURA À BILBAO

Rectificatif au texte de même titre paru sur Campos y Ruedos le 3 décembre 2004 (note de CyR : lire 2007) et publié par "Philippe".
Ce texte concernait le compte rendu de la corrida du 25 août 1963 à Bilbao, fait par "El Tío Pepe" (revue TOROS n° 729 du 8.9.1963) et une photo de cette même corrida parue en couverture du n° 1636 (14.9.2000) de la même revue.

LES YEUX DES CHEVAUX DE PICADORS.-
Début du texte : « Comme il paraît que l’on ne peut pas tout avoir dans la vie, la pique immortalisée par ce cliché n’est pas portée dans le morrillo et le cheval à l’œil droit caché. »
L’auteur déplore que le cheval ait l’œil droit caché, et il le déplore comme chose non réglementaire au même titre que la pique hors du morrillo.
Effectivement, la photo atteste de ces deux choses. Mais pour l’œil droit « caché », il n’y a rien-là que de parfaitement légal. Les règlements prévoient que l’œil droit seul soit bandé et, par conséquent, que l’œil gauche soit libre : l’actuel règlement espagnol des spectacles taurins (REST) dit (art. 72.2) « … Le picador veillera à ce que le cheval ait le seul œil droit couvert… »
La photo ne nous permet pas de savoir ce qu’il en est de l’œil gauche dans le cas particulier. Quoi qu’il en soit, couvrir les deux yeux de ces chevaux ne change rien du point de vue tauromachique et leur évite des douleurs inutiles.
En effet, là où l’on exige que l’œil gauche soit libre, il y a intervention de la picaresque :
« Quand il en est ainsi, on applique sur l’œil découvert une lentille opaque en matière plastique, dont l’usage entraîne des lésions oculaires. Dans d’autres cas, le remède est plus cruel car ce qui se fait est d’asperger le globe oculaire du cheval avec de l’eau oxygénée, d’où une perte de vision de quelques heures, mais que l’emploi continu de cette pratique convertit en définitive. » Consejo General de Colegios Veterinarios de España : Entre Campos y Ruedos — Saragosse, Ibercaja, 1991.

PICADOR DE RÉSERVE.-
Plus loin, l’auteur reproduit le compte-rendu de ce premier tiers dans lequel on peut lire : « Pedrosa change le toro de place et l’amène devant le deuxième picador », après quoi il commente et écrit : « Quand on lit que Rafael Pedrosa amena ce dernier devant le picador de réserve » Voilà qui est curieux.
Quant "El Tio Pepe" écrivait le deuxième picador, il savait parfaitement ce qu’il faisait. À cette époque-là et depuis le Reglamento oficial de las Corridas de toros novillos y becerros, approuvé le 20 août 1923, il existait bien des picadors de réserve, engagés par l’organisateur en sus de ceux des cuadrillas :
- par son article 53, ce texte en prévoyait 2, de même que le REST du 12.7.1930 (art. 64) ;
- le REST du 15.3.1962 mentionnait « les picadors de réserve que devra procurer l’entreprise [organisatrice] » (art. 90). S’il n’indiquait pas un nombre précis, il contenait la marque du pluriel et l’on peut donc considérer que ces picadors-là devaient encore être au nombre de 2.
Dans tous les textes précités, il était bien spécifié qu’ils ne devaient intervenir que si l’un des picadors de la cuadrilla "en service" (esp. : picadores de tanda) venait à être désarçonné ou blessé ; ils devaient se retirer dès que les circonstances de leur intervention cessaient ou disparaissait (art. 58 de 1923, art. 66 de 1930 et art. 90 de 1962). Cependant, depuis 1962, dans les novilladas, les picadors de réserve pouvaient donner le premier coup de pique, à condition que le novillero concerné l’autorise : c’était encore une époque où même les novillos prenaient régulièrement plusieurs piques.
Les picadors de réserve ont été supprimés de facto par le REST promulgué le 28 février 1992. Sauf erreur de ma part, il n’en a jamais été prévu dans le Règlement taurin municipal (RTM). Néanmoins, dans des relations françaises de corridas ayant lieu depuis cette date, nous voyons encore qu’il est fait mention de picadors de réserve !
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Cela dit, revenons à l’époque où se situe l’épisode en cause. Le matador ayant ses deux picadors dans l’arène, il lui était habituel et normal de conduire le taureau de l’un à l’autre, et éventuellement, si le taureau refusait les piques dans tel terrain, de faire déplacer l’un des picadors, voire les deux. Ce changement de terrain est maintenant impossible à faire dans les cas trop nombreux où, en infraction au règlement (espagnol ou français ; les deux disent la même chose) les deux raies concentriques ne sont pas tracées sur le sable de l’arène, comme c’est systématiquement le cas en France, dans les corridas concours d’élevages. Je n’ai pas connaissance que l’UVTF ait pris des sanctions contre les arènes où il en est ainsi, pas plus que contre celles où les raies ne sont espacées que de deux mètres au lieu de trois.
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Postérieurement à la disparition du picador de réserve, les picadors de cuadrillas se sont entendus pour piquer chacun un taureau (aujourd’hui, l’un le premier, l’autre le second, et à la corrida suivante on inverse le tour) et ils ont imposé cela à leurs patrons. Plus tard ils ont pu imposer cette pratique dans le texte du règlement (espagnol ou français, c’est pareil). Comble d’absurdité, ce règlement maintient la présence de 2 picadors dans l’arène et place l’inactif devant le toril* ce qui ajoute la provocation à l’absurdité.
La présence de ce second picador se justifie d’autant moins que si son collègue est mis hors de combat, ce n’est pas lui qui doit le remplacer, mais le plus jeune picador présent lors de cette corrida-là :
« Quand par suite de quelque accident, l’un ou les deux picadors de la cuadrilla en action ne peuvent poursuivre leur tache, ils seront remplacés par ceux des autres cuadrillas, en suivant l’ordre inverse de l’ancienneté » REST, art. 74.
« Lorsque pour un accident quelconque, l’un ou les deux picadors de la cuadrilla en piste ne peuvent continuer leur prestation, ils seront remplacés par ceux des autres cuadrillas par ordre d’ancienneté inversé » RTM, art 75.
Marc ROUMENGOU – 10.12.2007

* En réalité, le REST (art. 72) dispose que : « Celui qui doit intervenir se situera où le détermine le matador et de préférence dans la partie la plus éloignée du toril, l’autre picador se situant dans la partie de l’arène opposée au premier. » ce qui revient bien à placer le deuxième picador devant le toril. »

En tant qu’auteur de l’article visé, je me permets d’apporter quelques précisions :
LES YEUX DES CHEVAUX DE PICADORS.-
« L’auteur déplore que le cheval ait l’œil droit caché, et il le déplore comme chose non réglementaire » — Je regrette mais Marc Roumengou a mal interprété mon propos. En effet, mon idée était simplement d'utiliser ce cliché pour dire qu’à mon sens la "vérité" du premier tiers pouvait s’y trouver condensée ; la pique dans le morrillo et les yeux des chevaux découverts en sus — non seulement le gauche mais également le droit ! Sans me préoccuper le moins du monde des règlements en vigueur ;
« il le déplore comme chose non réglementaire au même titre que la pique hors du morrillo » — Marc Roumengou semble insinuer, notamment en précisant par la suite « Mais pour l’œil droit « caché », il n’y a rien-là que de parfaitement légal », que la pique portée dans le morrillo serait, elle aussi, légale. Or, il n'en est rien puisque l’actuel REST (1996), tout comme celui de 1962, et au contraire du RTM : « Le picador devra piquer dans le haut du morrillo », ne mentionnent pas le morrillo et ne disent mot sur la localisation de la pique ! ;
« Quoi qu’il en soit, couvrir les deux yeux de ces chevaux ne change rien du point de vue tauromachique et leur évite des douleurs inutiles. » — Le côté lapidaire (sentencieux ?) de ce passage me laisse pour le moins perplexe ; pourrait-on avoir de plus amples explications ? Dois-je signaler, sans craindre un rectificatif (?), que Lumière !, premier message personnel pour le blog, était consacré à cette question ? Quant au recours à la « picaresque » (sic) « là où l’on exige que l’œil gauche soit libre » (ah bon, mais alors, s’il vous plaît, donnez-nous des noms afin que j’y coure !), j’avoue ne pas savoir quoi en penser ;

PICADOR DE RÉSERVE.-
Sur le sujet, le rectificatif, qui porte bien son nom, se révèle fort passionnant et instructif.
J’ai écrit : « Quand on lit que Rafael Pedrosa amena ce dernier devant le picador de réserve » et Marc Roumengou a poursuivi : « Voilà qui est curieux ». Non, ce n’est pas curieux, c’est tout bonnement archifaux ! Au regard de la pertinence des nombreux arguments avancés, force est de reconnaître que j’ai abusivement employé l'expression « picador de réserve » ;
« après quoi ["Philippe"] commente » — Désolé de chicaner, mais là encore il me semble que Marc Roumengou, peut-être irrité par ce qu’il a pris, à tort, pour du culot, interprète librement. De toute évidence, Jean-Pierre Darracq « savait parfaitement ce qu’il faisait », et le paragraphe final de "Miura à Bilbao !" ne visait ni l’explication, ni l’observation malveillante.

Toujours trop jeune, ignorant et utopique, la tête pleine du fracas des batacazos bilbaínos, je me suis vu, le temps de quelques lignes, tenir la cape profonde de Rafael Pedrosa, lire la grande peur sous les castoreños de tanda, et conduire de l’un à l’autre dans la tempête la Bête surpuissante et brutale ; comment faire autrement quand tout vacille ?

Merci à Marc Roumengou pour sa lecture attentive.
Philippe MARCHI

Image L’alguacilillo « Marc Roumengou conduisant le paseíllo à Toulouse dans les arènes du "Soleil d'or" (années 60) » © FSTF