On a du campo bravo, comme de tout ce dont on rêve en hiver et plus tard, une image idéalisée. De garrochistas lancinants fuyant loin le regard en toros sapés de violettes, d’alcornoques toqués de vent en encinas centenaires, la tête est pleine d’un voyage qui déteste l’attente. On a du campo bravo ce sentiment que l’Espagne est un infini où l’on chercherait les toros de l’oeil, du tympan, de la peau. Quand on en rêve, le campo bravo, ça parle comme Gabin disait la Chine à Bebel dans un « Singe en hiver ». Ça en jette, c’est bat ! Et puis au campo, ben y’a les toros, on y va pour eux et c’est d’eux qu’on rêve, en hiver, plus tard. Et le campo sans les toros... c’est « une paella sans coquillage, un gigot sans ail, un escroc sans rosette : quelque chose qui déplaît à Dieu ! ». Ça existe ça, le campo sans les toros ? Oui ma mie, et pas loin même (de chez moi en tout cas), quelque part le long d’un fleuve qui n’est pas le Yang-Tsé-Kiang et qui traverse pépère l’austère buste de l’Ibérie. Sur les cartes et dans les têtes géographes, ça s’appelle la Ribera del Ebro. En vérité, il ne s’agit rien moins que d’un monde sur lequel règnent de courtes amazones aux cornes torturées. Une légende réelle version bovine. Y’a que des vaches ici, petites comme leur enclos, rouges comme une terre mouillée, entassées ; des cailloux les occupent.
Les descriptions morphologiques des toros de combat que l’on trouve dans de nombreux ouvrages évoquent souvent les caractéristiques du regard. On peut y lire que tel encaste a un regard vif, provocateur. C’est difficile de traduire un regard, d’en donner un rendu intelligible. Les toreros y font souvent référence mais comme un ressenti fulgurant qu’eux seuls peuvent percevoir finalement. Au campo, le regard des toros est dans la majorité des cas indifférent ; parfois clairement agacé par la présence d’observateurs. Ils ont l’expression de la curiosité quelques instants puis ils foutent le camp pour qu’on les laisse en paix ; ils partent l’œil bas, ils passent leur chemin. La vivacité supposée de leur regard qui permettrait de les identifier à un encaste propre n’est finalement que la conséquence de leur réaction à l’autre, l’inconnu.
A Villafranca (sud Navarre), chez Jesús Aranda (fils de Nicolas, fondateur de la ganadería), les vaches rouges ont le sang vieux mais chaud. A 10 mètres, à 50 mètres, à 2 kilomètres, elles vous matent droit devant, le cou tendu, en ébullition. Elles ont dans leurs rétines l’envie de cogner clairement affichée.
Le sang navarrais existe-il encore ? Evidemment Jesús Aranda nous a soutenu que oui et que son élevage était à 85 % marqué par cette origine qui semble remonter à la nuit des temps tauromachiques. Toujours est-il que ces petites choses furieuses sont d’un type bien à part dans la cabaña brava actuelle et qu’il est sympathique de les imaginer descendre, presque directement, d’un XVII° siècle au cours duquel un certain Marquis de Santa Cara entama l’édifice de l’encaste navarrais.
Vous ne verrez pourtant pas les fils de ces "petites brutes" d'El Ruedo jouer leur vie dans une arène. Jesús Aranda ne sélectionne ses animaux que dans l’optique de ce que l’Espagne nomme les "festejos populares" (encierros, recorte...). A travers ses mots, l’on sent tout de suite que cela lui plairait de voir ses mâles combattre en corrida mais, et il ne le sait que trop bien, le monde taurin actuel (et passé, il faut aussi le souligner) ne veut pas de cette fougue rouge. Seuls les Cérétans tentèrent il y a quelques années l’expérience du navarrais en novillada non piquée (El Ruedo, La Bomba)... Les souvenirs de ceux qui en furent ce matin-là sont pleins, encore aujourd’hui, des couleurs de l’effroi...
- Pour éclairer quelque peu vos lanternes sur l'encaste navarrais, rendez-vous sur le site de La Cabaña Brava : http://populares.toroszgz.org/Castanavarra/indicecastanavarra.htm.
- Rendez-vous également sur le site Terre de toros pour découvrir plus en détails la ganadería El Ruedo de Jesús Aranda : http://tthuries.free.fr.
- Enfin, vous pouvez aller consulter sur le site récemment mis à jour de l'ADAC une vidéo présentant les novillos (il s'agissait d'une non piquée !) de la ganadería El Ruedo combattus à Céret en 2003 : http://www.ceret-de-toros.com/historique/hist03/videos2003.htm.
Evidemment, retrouvez sur Camposyruedos la galerie de notre visite chez Jesús Aranda...