Dans le ciel cévenol, à l'aube, par la cheminée du mas une colonne de fumée s'est échappée.
Les portes ont claqué. Quand quatre hommes sont venus le chercher il a grogné — l'un d'eux lui a ligoté une patte, un autre le museau. De son repère non sans mal ils l'ont extirpé. Sur le muret de pierres et de lauzes, par la force et sur le flanc, ils l'ont immobilisé. Clopes au bec ou bérets sur le chef, dans les volutes de fumée tous ont dit être prêts. Le seau on a approché ; dans le cou la lame a pénétré. Des entrailles les grognements ont jailli, et le sang a giclé — les mains, les bottes, le tablier il a salis. Saigné, les quatre pieds ficelés et rassemblés, pour la pesée les hommes l'ont suspendu. Sur deux bassines et une porte en bois son dernier souffle il a rendu. De la peau ébouillantée par panaches la fumée s'est élevée ; rasé de près au couteau, puis essuyé, sur un lit de paille fraîche on l'a couché. Tranchée, rincée, dans la montée d'escalier sa tête on a accrochée — réservée. Enième cigarette, nouvelle tournée et la pluie s'est mise à tomber. Attirés par l'odeur de viande chaude, la ronde des chiens a commencé. Sur un linge immaculé les cuisses on a déposées. Ouvert comme un livre — la tranche cassée — il a offert ses tripes au boucher. Le lard récupéré et la peau enroulée — les jambons encore à préparer —, de chair à saucisse les boyaux on a garnis ; de gras et de pâtés les bocaux on a remplis.
Dans la nuit cévenole, jusque tard, par la fenêtre du mas les paroles d'une chanson à boire s'envolent.
Les portes ont claqué. Quand quatre hommes sont venus le chercher il a grogné — l'un d'eux lui a ligoté une patte, un autre le museau. De son repère non sans mal ils l'ont extirpé. Sur le muret de pierres et de lauzes, par la force et sur le flanc, ils l'ont immobilisé. Clopes au bec ou bérets sur le chef, dans les volutes de fumée tous ont dit être prêts. Le seau on a approché ; dans le cou la lame a pénétré. Des entrailles les grognements ont jailli, et le sang a giclé — les mains, les bottes, le tablier il a salis. Saigné, les quatre pieds ficelés et rassemblés, pour la pesée les hommes l'ont suspendu. Sur deux bassines et une porte en bois son dernier souffle il a rendu. De la peau ébouillantée par panaches la fumée s'est élevée ; rasé de près au couteau, puis essuyé, sur un lit de paille fraîche on l'a couché. Tranchée, rincée, dans la montée d'escalier sa tête on a accrochée — réservée. Enième cigarette, nouvelle tournée et la pluie s'est mise à tomber. Attirés par l'odeur de viande chaude, la ronde des chiens a commencé. Sur un linge immaculé les cuisses on a déposées. Ouvert comme un livre — la tranche cassée — il a offert ses tripes au boucher. Le lard récupéré et la peau enroulée — les jambons encore à préparer —, de chair à saucisse les boyaux on a garnis ; de gras et de pâtés les bocaux on a remplis.
Dans la nuit cévenole, jusque tard, par la fenêtre du mas les paroles d'une chanson à boire s'envolent.
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Entre 1966 et 1980, Jean Eustache (Pessac 1938 – Paris 1981), cinéaste étiqueté Nouvelle Vague, réalisa une petite vingtaine de films : des courts, des moyens, des longs et un très long métrages (La Maman et la Putain, Grand prix spécial du jury à Cannes en 1973). Samuel Brussel, éditeur et écrivain, se souvient que « Jean Eustache était un grand solitaire dont le malheur fut de n’avoir pas su s’accommoder du crétinisme ambiant de son époque (critiques, producteurs, etc.). Plus d’une fois, dans ces béates années 1970, j’entendis cet anathème qui le désignait “de droite”. Je crus comprendre qu’être “de droite” pouvait signifier, dans le meilleur des cas, ne pas avoir le talent de se prostituer. »
Image Capture du film Le Cochon de Jean Eustache & Jean-Michel Barjol / France / 1970 / Documentaire / Noir & blanc / 50 minutes © Festival du cinéma de Brive