23 juin 2010

Les toros ont des noms


Les toros ont des noms. Ils finissent souvent en "o" parce qu’en France les mots espagnols finissent souvent en "o". Les toros portent des numéros, des marques, des cicatrices imprimés en relief sur leur peau et des noms qui les raccrochent à un arbre généalogique écrit en pattes de mouche sur le carnet bonzaï du conocedor de la ganadería. Ils portent souvent le nom de leur mère mais avec un "o" comme achèvement car le "o" est masculin alors que le "a" fait ouvrir la bouche en grand comme peuvent le faire les femmes au cours d’autres achèvements. Le "a" serait donc plus féminin et siérait (du verbe seoir) plus aux vaches qui sont les mères des mâles. C’est ainsi que 'Clavellina' donna naissance à 'Clavellino'. Les taureaux de combat portent des noms qui s’oublient dans la plupart des cas mais qui en d’autres occasions restent inscrits sur de la céramique blanche et bleue au coin d’une arène, d’un club taurin, d’une placita de tienta ou du bar Tarifa de Colmenar Viejo. Parfois, sans explication probante, des noms de toros sont sujets à caution par erreur, par myopie ou par la faute de l’exécrable écriture d’un mayoral. 'Bastonito' se nommait 'Bastoncito' le jour de sa grande mort alors que 'Desgarbado', qui s’appelait bien 'Desgarbado', aurait dû ne jamais y échapper, à la mort. Les noms des toros sont une presque féérie à chaque fois - Ce soir-là, 'Miraluna' léchait le cou blessé de 'Nochetriste' quand, de derrière la butte rouge surgit 'Draculoso', le colorado craint par toute la camada. 'Demoniado' le suivait. La nuit hurla longtemps et, au matin, quand le jour en eut fini avec elle, 'Nochetriste' s’écoulait sans vie sur la rosée fragile, percé, l’œil humide de pleurs et de mal.
Il est des toros qui portent un nom pour lui rendre hommage. C'est le hasard, c'est évident, mais c'est ainsi. Calahorra, 2007. Corrida de Doña Dolores Aguirre Ybarra. Panneau. N° 16, negro. Et sort LE manso ! Le lâche, l'infâme troubillard, le hic génétique. Démarche de crabe fugitif, l'envie de combattre d'un fruit de mer anorexique. Son nom: 'Langosta'. La langouste. Les langoustes chargent à reculons... pour fuir.
D'autres toros portent leur nom comme un loupé. C'est le hasard, c'est évident, mais c'est ainsi. Dans les Corrales del Gas attendent chaque année les lots de la féria. L'orage peut s'abattre sur Pamplona, personne ne craint rien, les paratonnerres sont là, au Gas. 6 ou 7 par corral. Celui-là, c'est 'Carafea'. Un autre Dolores. 'Carafea' : sale tronche pour faire court.
Il y a des noms qui disent les plantes, la nature et les oiseaux. 'Jardinero' est de ceux-là, comme 'Luna Nueva', 'Colibri' ou 'Cara de Rosa'. D'autres la guerre ou la violence. Il est des noms imprononçables, d'autres incompréhensibles et d'autres encore intraduisibles. Il y a les composés comme 'Pies de liebre', 'Cara-ancha', 'Soy de seda', les qui se crachent à la va-vite tel ce 'Kin Kon', les qui donnent un air con au bestiau. S'appeler 'Morucho' ou 'Bastardo' pour un toro.
Les noms de toros ne sont pas là par hasard ni ne sont la transfiguration des caprices délirants des ganaderos de ce temps. Si 'Carafeo' est 'Carafeo', l'explication se trouve des dizaines d'années en arrière, chez le Conde de la Corte. 'Guindoso' est 'Guindoso' parce qu'Atanasio Fernández et parce que le Conde de la Corte. C'est l'histoire des encastes et de l'élevage brave qui survit dans ces prénoms qui se terminent en "o", le plus souvent.

Petit, quand l'afición commence à mordre, la page "taureaux célèbres" faisait presque saigner. Un sanctuaire des rêves, les premières frayeurs et cette langue dénuée de sens, cette langue de "o" qui donnait à ses mots le picotement chatouilleux des bonbons trop sucrés. "'Caramelo', taureau du Marquis de Saltillo, combattu à Cadix le 17 juin 1867, à l'âge de huit ans et demi." "'Totovio" de José Gines, couru à Valdepeñas le 15 juin 1876. Il sauta par deux fois dans le tendido de l'ombre, semant une panique au cours de laquelle deux cents personnes furent plus ou moins blessées. La Garde civile ouvrit alors le feu sur lui pour l'abattre."1 Sublime ! 'Caramelo', 'Totovio', huit ans et demi, que des "o", que des cornes. Il y a un "o" dans le mot corne. Les noms de toros font rêver les marmots, après ils oublient. Faudrait pas oublier d'être gosse.

1
La Tauromachie, Claude Popelin, page "Taureaux célèbres".

Il y aura une corrida de Dolores Aguirre Ybarra à Orthez le dimanche 25 juillet 2010 (18h). Devraient y participer des 'Carafea', 'Clavijero', 'Burgales', 'Guindoso' et d'autres...

>>> Retrouvez deux galeries consacrées à la camada de toros de Doña Dolores Aguirre (la 1ère : toros pour Pamplona et Azpeitia et la seconde : toros pour Orthez 2010) sur le site www.camposyruedos.com, rubrique CAMPOS.

Photographies Deux Dolores Aguirre Ybarra : le 1er pour Azpeitia et le second pour Orthez.