Avant que les coletudos ne plient leurs sastres et, pour les plus chanceux ou méritoires d’entre eux, ne traversent l’Atlantique, trois férias de primera vont être célébrées en Vieille Europe : la San Miguel, la Feria de Otoño et la Feria del Pilar.
S’agissant de cette dernière, l’éditorial de La Cabaña Brava nous livre les commentaires que les carteles inspirent à cette très honorable association d’aficionados, dans lesquels je me retrouve assez bien.1
http://www.toroszgz.org/opinion/editorial.html
En ce qui concerne le dernier cycle madrilène, notre compagnon Bastonito nous écrit tout le bien qu’il en pense… pour la préparation de la candidature de Simon Casas, dans un entrefilet publié sur son blog le 9 septembre dernier. Je me permettrai seulement de soustraire à sa juste vindicte le cartel du 8 octobre 2006, qui verra José Pedro Prados 'El Fundi', Luis Miguel Encabo et Domingo López-Cháves affronter les pupilles d’Adolfo Martín. C’est avec intérêt que l’on pourra suivre face aux albaserradas le torero charro, qui s’est montré extrêmement convainquant cette saison, de l’importante oreille coupée con valor y cabeza à un toro sérieux de Celestino Cuadri, à sa toute récente prestation bayonnaise face à un pensionnaire de Juan Luis Fraile.
http://taurofilia.blogspot.com/2006/09/carteles-de-la-feria-de-otoo.html
Que penser, alors, du rendez-vous hispalense ?
Les deux corridas figurant au cartel sont les suivantes :
- le 23 septembre, Manuel Jesús 'El Cid' comme único espada (deux Victorino Martín, deux Zalduendo et deux José Luis Pereda) ;
- le 24 septembre, 6 toros de Hermanos García Jiménez pour Rivera Ordóñez, Sébastien Castella et César Jiménez.
Passons rapidement sur l’après-midi du 24 septembre, sur lequel, malgré que les deux plus jeunes diestros auront sans doute à cœur de « rémater » les oreilles engrangées à l’occasion de la Feria de Abril. En effet, que l’on nous serve en France ce type de bétail à toutes les sauces sous le prétexte fallacieux de la langue bleue passe déjà difficilement (nos courageux amis Nîmois et Montois en témoigneront sans doute, s’il leur en reste un souvenir), mais retrouver ces insipides Domecq au cartel au terme d’un long voyage jusqu’au pays du ganado bravo dépasse notre seuil de tolérance pourtant fixé très haut, par la force des choses.
Concernant l’après-midi du 23, on se souviendra sans doute que l’affiche était déjà prévue à la fin de la temporada 2005. Les aficionados présents, pour certains d’entre eux venus de fort loin, avaient dû se priver du seul contre six tant attendu (et redouté) du Cid en raison de l’aggravation de la blessure de celui-ci à Ronda. L’ineffable señor Canorea n’avait pourtant pas jugé bon de remplacer le torero de Salteras, en dépit des propositions reçues, et le programme de la San Miguel s’était trouvé limité à une course (les aficionados étrangers pouvant toujours occuper leur temps libre à se promener dans les jardins de l’Alcazar…). La belle faena de Luis Vilches et le spectacle offert pendant toute la lidia par sa cuadrilla n’avaient pas tout à fait réussi à faire passer la pilule.
Autant le dire tout de suite, Manuel Jesús est un torero corto pour lequel l’exercice périlleux (à divers points de vue) du seul contre six ne va pas de soi. Ceci posé sans jugement de valeur aucun, bien au contraire, le toreo du Cid m’ayant procuré ces dernières années parmi mes plus grandes émotions en matière de tauromachie. Son passage sans peine ni gloire à la Feria de Abril, ajouté à sa fin de saison 2005 calamiteuse, ne laisse pas d’inquiéter jusqu’à ses plus farouches admirateurs (dont je suis), les succès rencontrés ici et là ces derniers mois n’achevant pas de les convaincre.
Les incertitudes liées à la personnalité du maestro et à l’événement même auquel celui-ci se prépare ne font toutefois pas totalement disparaître l’intérêt certain de ce rendez-vous. Si El Cid a déjà su saisir l’occasion de couper des oreilles à tout type de bichos, jamais le triomphe ne fut plus éclatant que face au « toro-toro ». Or cette corrida le verra combattre, en un seul et unique après-midi, les deux types de bétail.
On le sait, l’aficionado est un fieffé et incorrigible rêveur (caractéristique qui permet au fonds de commerce des marchands du temple d’être des plus florissants en dépit de la crise) : et si Manuel Jesús 'El Cid' apportait samedi, face à l’une des aficiones les plus toreristas du monde, la démonstration lumineuse que les plus grandes, les plus vraies émotions du toreo naissent de la confrontation de l’homme au toro de respect ? Certes, on ne manquerait pas d’objecter que les « grands artistes » de la tauromachie moderne ne sont pas le Cid, et qu’ils ont autre chose à offrir (comprenez : mieux), que seul le toro « commercial » est à même de permettre ; ce à quoi on pourrait répondre que la qualité desdits « artistes » est peut-être à relativiser, et que les meilleurs ballets s’apprécient mieux sur les confortables fauteuils de l’Opéra Garnier que sur les gradins râpeux et exigus de la Maestranza ; sans oublier de les renvoyer à leurs classiques pas si lointains où les toreros « artistes » (les vrais) étaient capables de triompher – pas tous les jours, bien sûr – face aux miuras du bon vieux temps.
Et si, comme c’est probable, tout cela n’arrive pas, la manzanilla continuera comme toujours de couler à flot pour nous consoler du désespoir que nous font vivre nos anges déchus.
1 A propos du site de l’association La Cabaña Brava, profitez-en, si ce n’est pas déjà fait, pour lire leur publication gratuite, El Aficionado, qui présente souvent un grand intérêt.