19 juin 2006

Le murmure d'hier


José,
Tu n'étais pas là. Je ne t'ai pas vu derrière le burladero, et avec toi manquait un peu d'Andalousie. Un peu trop même. J'étais assis sur du bois doux et sombre, poli par cent ans de fesses basques et de vieux persifleurs aux rides douloureuses.
Ce bois n'est qu'un murmure aujourd'hui, un presque silence de ce que fut jadis ce coin de Pays Basque. L'Oria file toujours et se meurt là-bas, au loin du pont, aspiré par le gris du temple de Santa María. Tolosa murmure son passé comme bouffée par la modernité laide, urbaine et industrielle de cette vallée surnommée la "vallée de l'ETA".
Ils avaient dessiné un grand A, en plein au milieu de ce murmure rustique, un grand A rouge orienté vers le sud, vers toi qui n'étais pas là.
José, tes toros aussi ne sont plus qu'un murmure et l'habit, malheureusement, ne fait plus le moine. Ils étaient mignons tes toros. Armés en pointe, sans une once de graisse, bajitos comme le sont les García Pedrajas. Ils ont une "tronche" étrange tes toros. La tête est courte et leurs yeux sont gonflés par des rides en rond. On dirait des "gremlins".

- "Eso es un tulio!". C'était facile à dire à leur entrée en piste. Pourtant, sous leurs airs de jouets, sous la belle apparence, rien, rien de plus qu'un terrorisme sourd, un quasi nihilisme. Ni cause à défendre, ni éthique, des brutes sans foi ni loi tout au plus.
Murmurent-ils encore d'ailleurs leur grandiose passé ? Certains l'ont bafouillé. Pas de bravoure aux piques, ils tapaient tête en l'air, ils découpaient le vent sans jamais mettre les reins. Ils furent distraits, José, fuyards et assassins. Leur manque de caste et leurs mauvaises manières ne furent pas aidés. Les trois "humbles" du jour furent en tout lamentables. A leur décharge, ce n'est pas le nombre de contrats qu'ils signent qui en fera des figuras. Sánchez Vara, Iker Lara et Iván Fandiño construisirent un néant.
Personne ne s’occupa de les conduire correctement au cheval et dans cet exercice, Iván Fandiño, pourtant le plus abouti des trois, peut faire campagne. Pourtant, les medios étaient plus espacés que de coutume et l’on aurait pu voir des tercios de varas. Il n’en fut rien, au contraire. Ni tes toros, ni ces mauvaises pioches ne surent nous régaler.

Les faenas furent à cette image. Quand la distance s’imposait, la muleta se collait sous le mufle, stupidement, et les couilles narguaient le diamant des pitones. De profil, toujours.
Trois de tes bêtes eussent méritées un sort plus juste mais il était dit que tout irait de travers. A l’ultime, les quelques présents demandèrent une oreille pour se venger d’être venus peut-être. Une oreille pour les tableaux de fin de saison.
Des gaitas, néanmoins, aigües aux quatre vents, accueillaient tes toros. Ils s’en moquaient pas mal ces copies de tulio.
José, ne m’en veux pas d’être aussi dur. J’étais venu voir des tulios, les Isaías y Tulio Vázquez. Je savais que tout n’allait pas bien, que les temps étaient difficiles mais j’ai été déçu.
Ce qui est certain, c’est qu’ils ont tenu dur le combat, sans un pousse de faiblesse. C’est déjà ça de pris.
Ce qui est certain aussi, c’est que je reviendrai voir tes toros dans une arène nostalgique ou un pueblo plein de poussière. Je reviendrai voir tes toros en avril ou en mai, dans les herbes hautes de la finca, et toi au fond, qui marche en sifflant. Je reviendrai à "Los Guaperales" entendre le ciel devenir un cri rauque, un ronflement inquiet quand le combat s’annonce. Personne ne le sait, José, mais sous les fleurs violettes, les cailloux ont des cornes, le toro est partout dans ce bout d’Espagne que Dolores partage.
Je reviendrai enfin voir tes tulios car ils doivent survivre. Ils ne sont peut-être que le murmure d’hier mais le bruit ne s’entend que de milliers de murmures distincts.
Caresse 'Bruto'.