L’Afición a los toros l’attendait, le guettait, le devinait derrière chaque cartel. Oh ! bien sûr, cette attente n’était pas empreinte d’impatience ! Ce moment était redouté comme la corde tenant le couperet lâché par la main du bourreau sur l’échafaud.
Séville est tombée. La faute à un mouchoir orange, tenu par un président sans critères, le 30 avril 2011. Que, du quatuor des plus importantes plazas d’Espagne, Séville tombe la première n’étonnera personne. Séville, la « torériste » de toujours, n’est plus que l’ombre d’elle-même depuis longtemps. Il y a de cela 10 ans (jusqu’en 2000), l’afición sévillane était encore capable de se retrouver entre elle, el día de resaca, pour applaudir les charges sur les picadors des toros de María Luisa Domínguez y Pérez de Vargas (le pur Pedrajas de Guardiola). L’Afición sévillane est devenue comme les autres publics d’Andalousie ou d’Espagne. Aguichante, facile, putassière et, surtout, infidèle à ses aux fondements du toro brave (je n’ai pas dit noble) : telle est la Maestranza.
Barcelone était tombée au combat en première ligne ; mais quel était le poids de la Monumental dans cette guerre ?
Aujourd’hui, il ne reste plus que Bilbao, Madrid et Pamplona pour faire de la résistance. Jusqu'à quand ?
Au vu des vueltas accordées ces dernières années dans ces plazas, on peut dire, sans jouer les devins, que le ver est dans le fruit. Les batailles ont commencé dans une guerre perdue d’avance. Directeurs d’arènes, apoderados, toreros, novilleros, éléveurs, présidents de course, tout le monde est dans le moule de la pensée unique du toro de troisième tiers. S’il ne met pas la tête, c’est un « hijo de puta ». Leur analyse peut facilement se résumer à cela. De quoi foutre la gerbe !
Le public qui remplit les arènes n’est pas aficionado. Il ne connaît rien du règlement, encore moins des toros, car personne ne les lui a enseignés. Il est juste là pour consommer, passer un bon moment, en avoir pour son argent et éventuellement raconter que la corrida était extraordinaire avec un nombre incroyable d’oreilles coupées, d’indultos...
C’est vrai en Espagne mais aussi en France, sauf que nous n’avons, chez nous, aucune arène de première catégorie, ni aucune arène d’importance sur l’échiquier taurin. Ce qui s’y est passé est donc moindre mal. Aucun des indultos distribués en France depuis 15 ans n’étaient réglementaires. Soit il s’agissait de novillo et, dans ce cas, il n’a pas lieu d’exister, ou de toros incomplets car TOUS banals dans les premier et second tiers. Je rappellerai juste que pour atteindre le graal de la grâce, le toro se doit d’être exceptionnel dans TOUS les tiers. Piquer 2 fois un toro est réglementaire mais pas exceptionnel. Messieurs les présidents, à vos règlements taurins !!!
Le grand chambardement du premier tiers que veut orchestrer la France est louable. Mettre des moyens pour sauver cette relique de premier tiers, dont la mort est chaque jour un peu plus annoncée : amis aficionados, standing ovation !
Mais attention, à trop regarder l’arbre qui cache la forêt, on en oublie la forêt.
Le fond du problème est que les toros n’ont pas suffisamment de force pour être piqués et qu’il peuvent, dans 90% des cas, être toréés sans passer par le picador.
Jean Pedro Domecq, il y a peu, renvoyait la balle dans le camp de l’Afición en disant : « Si les aficionados veulent sauver le tercio de varas, qu’ils se battent : il faut un cheval plus léger, une pique moins meurtrière et un peto plus souple... » Bien sûr, le journaliste de service, et au service, ne lui a pas soufflé qu’il manquerait malgré tout l’ingrédient majeur de la sauce : un toro avec de la force ; chose que M. Domecq s’était employé à retirer de son élevage depuis des années.
Pourquoi s’obstiner à sauver ce premier tiers alors même que fort rares sont les présidents ayant le courage de refuser aux toreros un changement de tiers lorsqu’un toro mérite une puya supplémentaire ?
Paradoxalement, lorsque l’on sort des arènes de Céret, Vic, Parentis, Carcassonne (jusqu’en 2010), Cenicientos, etc., les questions existentielles sur la pique et le premier tiers ne se posent pas de la même façon.
Les toros ont de la force et doivent être piqués. Dans ces arènes, la longueur des piques n’a jamais tué un toro sauf si le torero et sa cuadrilla, morts de trouille et animés d'intentions à tendance destruction massive, préméditent un « assassinat » en règle.
Pour revenir au sujet de départ, si la France doit servir d’exemple afin d’enrayer cette hémorragie d’indultite aiguë, trois points à changer s’imposent aujourd’hui dans le règlement :
— la faena de muleta à rallonge, où les toreros ne rentrent dans le vif du sujet qu’au bout de 20-30 passes, doit être réduite. Le premier avis pourrait être sonné à 7 minutes au lieu des 10 actuels ;
— les trophées pour sortir par les Grande porte devraient être au minimum de 3. Madrid avait durci sa politique en matière de trophées, donc de Grande porte, après la scandaleuse queue coupée, par Palomo Linares en 1972, à 'Cigarrón' d’Atanasio Fernández ;
— les trophées accordés sur un toro indulté ne rentreraient pas en compte pour la sortie par la Grande porte, et les trophées symboliques pourraient être supprimés (donc non comptabilisés dans les statistiques).
Les toreros qui veulent couper des oreilles devraient entrer a matar et écourter leur démonstration du nombre de passes. L’« effet Témesta » sur l’ire populaire des bobos en manque de sensationnel serait radical. Car, au fond, ce public s’intéresse bien plus au triomphalisme et au superflu qu’à la grâce du toro et à ses qualités de combattant.
Tout ceci conjugué limiterait les excès que nous vivons aujourd’hui ; excès qui ont pour seul effet de banaliser une chose magnifique, donc rare, lorsqu’elle est méritée : l’indulto.
Laurent Giner