23 mai 2011

'Berreona'


Luis Cuadri Vega est le neveu de Fernando Cuadri et le fils de feu Luis Cuadri.
Luis est un type épatant, campero, entier, Andalou de Trigueros. Un type qui ne se raconte pas d’histoires, ni à lui ni aux autres, un type comme il en faudrait plus. Bref, un type que l'on est heureux de connaître.

— Tu l’avais trouvée comment la course de Céret ?
— Ben... Luis... franchement... mauvaise...

Dans ces cas-là, c’est bien pratique de répondre « mauvaise ». C’est suffisamment franc pour être clair, et ça dispense d'un terme taurin trop abrupt.

Luis, lui, il tranche : « décastée ». Elle était décastée la course de Céret. C’est net, direct, définitif. Luis ne se raconte pas d’histoires, ni à lui ni à vous ni à personne. Pas d’excuses à la noix ou de raisonnements foireux mais une explication : l’ancien semental leur a donné une descendance calamiteuse. C’est assez simple finalement. Pas d’histoires.
Ce n’est pas la faute à l’herbe, un coup trop grasse, un coup pas assez. Ce n’est pas non plus la faute au sable de la piste — un coup trop mou, un coup trop dur — ni la faute du climat — trop sec ou trop humide. Non, c’est juste ce semental qui leur a brouillé les cartes.
Luis ne se raconte pas d’histoires.
A « Comeuñas », les seules histoires qui se racontent sont celles, intemporelles, de José Escobar.

Pour les tientas, c’est la même chose ; pas de tangentes, mais des critères éternels et sans concession que l'on met sur la table et que l'on discute en famille, en direct, sans éclats de voix, sans hausser le ton, mais avec convictions.
Il y a ici un respect qui plane, une cohérence et une unité : une grandeur au bout du compte. La décision est immédiate et collective, même si José Escobar a de toute évidence une voix prépondérante.

Ce jour-là sont présents Rafael de Julia et deux inconnus dont j’ai oublié les noms. Les vedettes du « G10 » ne viennent pas tienter chez Cuadri. Personne ne s'en plaint.

Un tentadero chez Cuadri a ceci de rare qu'il mélange simplicité, solennité et sérénité — sauf peut-être pour ceux qui se mettent devant. Ça se passe en comité forcément restreint et dans le respect le plus absolu.
Après un chemin de terre interminable, que l'on prend au cortijo Juan Vides, la placita apparaît enfin, au milieu des arbres. Nous sommes à la troisième finca des Cuadri : « Cabecilla Pelá », juste après la fin du bout du monde. Les vaqueros arrivés avant nous ont déjà tout préparé. Il n'y a pas d'attente. Il suffit de prendre place.
Dès l'entrée, un palco accueille les quelques invités présents. A leur droite, un peu plus loin, tío Fernando se prépare à piquer. Derrière lui se regroupent José Escobar, Luis et Antonio Cuadri, Fernando Cuadri hijo et quelques très proches. A leurs pieds attendent les toreros et les gamins qui, tout à l’heure, demanderont poliment à Fernando l’autorisation d’aller donner quelques passes.

A gauche des invités se situe le toril, où se poste le vaquero chargé du maniement de la porte. Les vaches sont annoncées à haute et grave voix, dans un silence absolu. Une sorte de Bilbao campero.

Vaca 'Berreona', número 196.
Ouverture de la porte.
¡La vaca va!

C’est à la fois simple et solennel. Et ça donne une idée assez précise de la grandeur du campo.
¡La vaca va! Deux ans la vache. Elle en paraît trois. Elle déboule comme une furie, inspecte la piste comme un avion de chasse survole un territoire ennemi. Une fusée. Fernando junior évoque sa lignée, et la probabilité d’un grain de folie chez 'Berreona'.

Sous nos pieds, c’est le feu. Rafael de Julia transpire à grosses gouttes, se fait déborder et ne parvient pas à canaliser cette charge vive et pesante.
— Elle est folle ! Ça vient de cette branche. Elle est folle !
Sur son cheval, l’oncle Fernando se retourne lentement, nous regarde, et d’une voix douce et calme rectifie :
— Non, elle est encastée.

A l’autre bout de la piste, 'Berreona' se cambre, tête levée, hume l’air et regarde, défiante, le picador. Elle s’élance et, dans un nuage de poussière, vient s’écraser lourdement dans le matelas de protection.
Une fois, deux fois, trois fois. Jusqu’à cinq fois, sans hésitation, la queue dressée, bouillante de rage. Il y a de la sauvagerie, de la violence dans sa façon d'attaquer le cheval. A côté de moi, Luis exulte.
Josééé... Con ésta tenemos una reserva de carbón. ¡Pero es que esta loca!
José sourit et évoque déjà le semental qu’il choisira pour obtenir ce qu’il pense être le plus conforme à la philosophie de l’élevage. Nous en sommes à la cinquième pique.

— Rafael ! Pour la sixième pique, amène-là au bout de la piste, encore plus loin tout au bout. Colle-la au burladero d’en face.
Rafael de Julia se bat, enchaîne les tentatives, mais il ne peut pas. La vache a pris le dessus. Une fois, deux fois, trois fois. La vache ne veut pas aller jusqu’à ce maudit burladero. Encore trois mètres, deux mètres cinquante. Pas plus loin. Elle n'ira pas plus loin.
—  Rafaeee... Non, plus loin, encore plus loin.
Pour la sixième pique, 'Berreona' grattera deux fois et montrera un soupçon d’hésitation.
Josééé... Elle a gratté, tu penses que...
¡Hombre! ¡Ya está aproba'a!

Chez Cuadri, les vaches sont approuvées, ou refusées, dès l'épreuve de la pique, avant même de révéler leur comportement à la muleta. Un concept aujourd’hui rare et désuet. Pour nous, simples témoins, des instants précieux et inoubliables.

>>> Vous avez accès, en rubrique CAMPOS du site camposyruedos.com, à une galerie consacrée à cette journée passée en compagnie de la famille Cuadri.

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Vache : 'Berreona', numéro 196.
Père : 'Montero'.
Mère : 'Llorona'.
Notes de la mère : 6/6 A.

Et on peut lire sur le livre de l'élevage : 
Sortie : Sale con pies y se para con ganas.
Cheval : 
1.1/2 - Du centre, pronta, andarina, cabecea.
2.1/2 - Du centre, fija, andarina, cumple.
3.1/2 - Du centre, fija, andarina, cumple
4.1/2 - Du centre, fija, alegra, con galope, cumple.
5.1/2 - Burladero, alegra, con galope, cumple.
6.1/2 - Burladero, le cuesta más, escarba, pero viene a matarse, se estrella.
Muleta : Dura, con muchos carzones. No humilla mucho, pero esta encastada. Muchísimo motor. Fiereza. Buena vaca.
Note : 7/6.