03 février 2010

Temporadas malgaches


Une grande clarté de fin de saison 1960-1970, les sixties fantasmées au son de ballades anglo-saxonnes forcément ensoleillées. Un air de bonheur se répand de ces campus américains qu'on voit au ciné. Ambiance baba cool technicolor en mondovision : depuis nos tropiques opposées, on a tout le loisir de picorer le meilleur de ces effluves enjouées, et de garder son quant-à-soi devant les amis des parents. En subsistent de nombreux sourires photographiques. La temporada malgache bat son plein : les coches de cuadrillas sillonnent les hauts-plateaux rouges de la Grande-Ile. On écoute Simon & Garfunkel, même si ça n'a pas grand-chose à voir avec les rizières et les arbres du voyageur. L'indépendance a tout juste l'âge de raison. La competencia reste molle, comme adoucie par les moeurs locales : Mora-Mora Vazaha. Anstirabé, Tananarive ne sont pas Madrid, Tulear et Tamatave, Fianarantsoa, les pousse-pousse et les pirogues à balanciers n'ont rien des ports espagnols de l'été taurin. Dans les ruedos de terre ocre, les Zébus sont généreusement afeités et balancent mollement leurs morrillos disproportionnés. La foule autochtone, drapée dans ses lamba, ne compte pas ses applaudissements ni ne feint son admiration. Il arrive que l'on danse et chante. Sous les lambris coloniaux de l'hôtel des Thermes qui se tient encore, la fête bat son plein : fauteuils club et terre battue, les femmes d'expat' tapent la balle et laissent voler leurs jupes plissées. Soûleries et petites pépées, une ambiance de Venezuela francophone étonné par ces espagnolades. Les toreros d'alors portent beau et affichent glamour.

Sur le plongeoir de la piscine d'un hôtel de la côte, une petite sauterelle déploit ses jambes, amusée quoiqu'un peu inquiète des regards alentours. De ces matadores en tournée qui l'envisagent. Cet été austral, la gamine de l'an dernier s'est muée en jeune fille, le simple coton qui l'habille a pris une tournure d'atours. Son rire très franc paraît aujourd'hui un peu niais sur les clichés. Une sauterelle blanche de là-bas née ici, et déjà en sursis pour l'Europe. Bientôt. On imagine des étés interminables et des plages infinies, des plongées et des sorties en voilier, un désert paradisiaque, mouillé d'orages tropicaux et ennuyeux à mourir. On imagine des banderilleros échoués et hallucinés se rêvant matador de sauterelles, moissonneurs de jeunesse. On subodore même qu'ils y parviennent et qu'en partant pour l'Europe et ses études, la sauterelle a troqué un peu d'innocence pour un brin d'assurance.

20 ans plus tard et il n'y a toujours pas eu de corrida à Madagascar. 1989 et suivantes, c'est moi qui reviens, seul, en écoutant Cat Stevens et des groupes d'un temps déjà passé. Sur la route qui descend de Tana à Antsirabé, le Toyota file et je m'enivre de quelques accords orientalisants. Evocations de routes indiennes chamarrées par des hippies occidentaux à guitares, une pointe de nostalgie, un nœud dans l'estomac. Et mon oncle, ce héros ! Madagascar, bagage indien oublié en dérive continentale : Antsirabé, mon Katmandou de gamin, et la Croix du Sud... Je n'ai pas bonne mine bien sûr, il faut me remplumer, ah ! voici quelques présents de France ! Chaque été, c'est un peu le même cirque avec les grands-parents. Les bonnes notes et les voyages, la vie avec son père, le foot et les corridas : vous êtes allés à Arles pour Pâques ? Oui. Tu as vu ton frère cette année ? Non, gêné. On se dit tout ou presque, on se rassure en multipliant les détails, pourtant jamais on ne parle d'elle, pas directement en tout cas. La Toyota 4x4 ferait un tabac au campo, on va tirer des canards parfois le week-end, et la ferme : il y a un taureau là-bas dans le pré. Les lettres de France racontent l'été au soleil des toros, on m'a photocopié les Sanfermines dans "Toros". Au moment de Bilbao, déjà je compte les jours en espérant les ralentir pour ne pas partir, je commence à battre parfois Babé au scrabble.
- Demain tu sais, Frédéric, pour l'anniversaire, on ira déposer des fleurs, tu voudras venir ?
- Non... pas cette année encore... l'année prochaine peut-être.