18 février 2010

D'un bout à l'autre


L'extrémisme est un vice ; d'ailleurs, on est jamais extrémiste soi-même. Les extrémistes, c'est toujours les autres, car, par définition, est extrême ce qui n'est pas modéré. "Les extrêmes sont les bouts des fins, les termes des choses" disait Nicole Oresme. La modération étant, elle, bien au milieu, sur le très fameux juste milieu. La vertu, quoi.
Et comme tout ce qui est extrême ne cesse jamais de l'être, les extrêmes finissent fatalement par se rejoindre... Autrement dit, "les extrêmes se touchent".
Le vice de l'extrême qui s'émancipe dans l'exagération des choses, donne dans l'excès pour en éviter un autre. Voilà pourquoi, la notion d'extrémisme a plutôt une valeur péjorative, car généralement employée pour qualifier l'autoritarisme d'un esprit, voire son intolérance. Bref, l'extrémisme ne se fréquente pas, et on ne discute pas avec les extrémistes.

Du coup, comme vous, j'imagine, je me méfie d'eux... Toujours... Même en tauromachie. Seulement, un extrémiste en tauromachie, je sais pas très bien ce que c'est : est-ce, comme on s'emploie à le faire croire à grands coups d'édito, un type qui gueule comme un veau à longueur de courses pour exiger qu'on lui serve un spectacle authentique que chacun est en droit de réclamer parce qu'un règlement officiel le soutient noir sur blanc depuis 1917, et surtout parce que la corrida, ne vous déplaise, ne doit JAMAIS être un spectacle de masse sous peine d'en banaliser les aspects essentiels et fondamentaux qui la rendent unique ? Ou un "applaudisseur" effréné, ravi de tout, peu soucieux du minimum de rigueur qu'exige toutefois ce spectacle anachronique, parce que seul le résultat compte pourvu qu'on parle bien de Triomphe, et surtout, surtout, qu'on ne lui gâche pas ce nouveau plaisir si particulier du ballet flamboyant et pétillant de l'intelligence humaine face à la force brute dans un joli tournoiement propice aux plus beaux clichés poétiquement et esthétiquement photographiques, y nada más ???
Alors, je vous le demande ; des deux cas de figure précédemment décrits, aisément identifiables en gradas, quel est donc celui qui vous paraît le plus "extrême", le plus en "bout de fin", le plus vicieux ? Celui qui cherche constamment plus d'authenticité là où elle manque, plus de rigueur par rapport à cette singulière passion qui en a de moins en moins, ou celui qui n'a souci de rien, pas même de la légalité des choses et ne veut y voir que son plaisir mondain à lui, en donnant son avis sans craindre que l'on bafoue les fondements d'un spectacle unique et hors du commun, pour en tirer un bénéfice douteux davantage porté sur un libéralisme outrancié et très actuel, peu enclin à l'éthique, quitte à dénaturer l'intérêt essentiel de celui-ci ?

Vous en conviendrez, ceux que l'on qualifie généralement d'extrémistes taurins, d'ayatollahs, ont eu jusque-là, plutôt bon dos. On apparente davantage leur rigueur (et celle d'un règlement, je le rapelle) à de l'extrémisme, bien plus que le fait de se foutre de tout, y compris du pire, pourvu qu'on ait l'ivresse et les lauriers (sous couvert d'une évolution esthétique en accord avec les principes moraux de la société de masse). Car il faut bien comprendre que les extrêmes fonctionnent toujours par deux. Or, jusqu'à aujourd'hui, je ne me souviens pas que l'on qualifie de dangereux extrémistes, les "indulteurs" endimanchés, les béats bêtas imprégnés de leur splendide candeur, quand apparaît le matador matamore sur le rond de sable, ceux qui ne veulent voir dans ce sanglant duel que le geste fleuri, la poésie du symbole, la grandeur du courage. Peut-être parce que ceux-là seraient donc la vertue, le juste milieu, modéré à souhait, de la pensée taurine ???
Pour ma part, de ceux que l'on qualifie d'extrémistes, je n'en connais aucun dont les revendications se porteraient sur l'excès des choses, je n'en connais aucun qui s'évertue et pousse les foules à contourner un règlement qui aurait du mal à s'adapter aux lois d'un marché en expansion, alors que j'en connais au moins 8000 qui ont eu le bon goût récent d'exercer leur "pouvoir" de grâce quant à la vie d'un toro qui ne devait pas vivre (selon toujours ce même règlement). Voilà un geste EXTREME ! Autement plus, en tous cas, que le fait de quémander à cor et à cri un tercio de pique réglementaire... non ?
La tauromachie ne se juge pas qu'au simple "feeling", avec l'humeur du moment qui dépendrait du simple coup de rein de la veille... En tauromachie, il y a des choses qui s'apprennent et se comprennent, des choses à savoir IMPERATIVEMENT, car la corrida de toros a ses règles. La première de toutes (parce que la clé de toutes les autres), est juste morale : savoir ce qu'est un Toro ! N'en doutez pas, c'est un travail quotidien. Pour cela , il faut de l'Afición, et il faut vouloir son bien. Vouloir son bien, c'est forcément de cela que découle le mécontentement de ceux que l'on qualifie avec zèle d'Ayatollahs. Et sans doute qu'il serait plus pertinent d'identifier la source du mécontentement, que de se plaindre des désagréments sonores qu'il provoque, toujours moins nocifs, je vous l'assure. Ainsi, vous comprendrez peut-être que "gueuler" n'est pas si gratuit que cela, finalement, et surtout pas intéressé. Car gueuler dans une arène, c'est revendiquer, et revendiquer devient un droit, un devoir quand la dérive est constatée. Ne pas vouloir l'entendre, c'est ne pas avoir conscience de cette derive avérée, c'est donc simplement "ignorer". La corrida n'appartient à personne, convenons-en, mais il faut admettre que ceux qui en savent un peu plus que les autres détiennent peut-être, dans leur savoir, des arguments susceptibles de la défendre et la protéger.

Soyez-en sûr, la corrida de toros n'est pas un spectacle offert, car aucun de ses aspects ne s'appréhende de façon innée. La corrida de Toros, il faut y entrer et s'en imprégner. En accepter tous les aspects, y compris les plus rugueux, les plus cruels, les plus anachroniques, les plus "dérangeants". Cette démarche-là s'appelle Afición. Celle qui consiste à interpréter voire négliger les règles pour les adapter à sa propre conception des choses ou à ses propres besoins, sans en calculer toutes les causes et conséquences, n'a rien avoir avec l'Afición... Ça, c'est de la consommation de masse, le véritable talibanisme libéral. Quoi qu'il en soit, si vous n'avez pas une irrésisitible et épidermique attirance pour ces choses-là, vous n'aurez jamais la curiosité ni le courage ni même l'abnégation nécessaires à identifier un aficionado d'un simple consommateur. Et je crois pouvoir affirmer qu'un aficionado ne commettra jamais l'erreur de confondre "trapío" et "gigantisme", "bravoure" et "noblesse", "Pedrajas" et "Rincón", "Luis Francisco" et "Juan Pedro"... L'erreur de ne pas reconnaître la vaillance maladroite d'un modeste et la nonchalance forcée d'un précieux parfois ridicule. "Et pi c'est tout !" (Philippe Lucas).

En conclusion, je pense pouvoir dire que l'excès de sérieux, de rigueur, voire d'austérité chez certains aficionados sera toujours moins dangereusement extrême que l'excès de laxisme par excès d'ignorance, de générosité mondaine mercantilement hors de propos, orchestrée par des leaders charmeurs dont les intentions cachées restent définitivement à l'opposé de la corrida primitive, combat sanglant, barbare et donc extrême s'il en fut, auquel nous n'avons su qu'opposer la vulgarité d'une corrida "berlusconienne" dite "moderne". Et puis, on ne parle jamais que... de toros !

A Salva, à "El Toro de Madrid", au "7", au "désintéressement"...

Dessin © El Batacazo