21 septembre 2009

Arles, encre et lumière


Après la journée du patrimoine, retour sur une course pour l’histoire…

La lumière était blanche et dure comme la pierre. Le soleil cognait fort les casques des cohortes éparses des spectateurs. Une vengeance astrale pour faire oublier le grelottement de l’an passé. Les gradins se sont garnis. Une travée pleine, l’autre creuse, noircie par-ci, vide par-là... et là... et encore là... Une carte perforée de piano mécanique. Allez, musique et paseo !
Blanche l’arène, noires les lunettes.

Partido de ResinaGris le toro, un de Partido de Resina de 580 kg, rond comme un patapon, fond sous le cagnard en moins de temps qu’il ne faut pour tirer un trait sur les illustres pablorromeros. Il entre plein d’envie et mord la poussière avant la pique, à la sortie d’un capotazo. Les déplacements deviennent difficiles. Dès le second puyazo, la bouche s’ouvre largement, la langue pendouille à la recherche d’un second souffle. Volontaire, il retourne une troisième fois au cheval, ressort exsangue, saigné à blanc mais conserve une qualité de charge toute en douceur. Une noblesse dont López Chaves ne tire aucun avantage. Un bajonazo conclut le face à face. Déception !


PalcoAgitation soudaine sous le palco. Que se passe-t-il ? Conduit à l'infirmerie sans avoir toréé, Sánchez-Vara ne reviendra pas. Un problème médical l'empêche de poursuivre. Perplexité dans l'amphithéâtre. Quand on se sait diminué, pourquoi prendre le risque de mettre tout le monde devant un désagréable fait accompli, organisateurs, compagnons de cartel et spectateurs ? Surprenant interlude que cette fin sans début ! Sur les travées, les voix qui expriment leur étonnement déclencheront les foudres de la critique. Ce 11 septembre 2009 personne n’osera employer l’habituel qualificatif de taliban ou d’ayatollah. Juste quelques perfidies, de simples allégations frisant le ridicule. Elles sont où les hordes "toristas" ? Les bataillons de braillards qui réclament du toro-toro, où qu'ils sont ? Ah ! Ça pour beugler...

Des aficionados, sur les tendidos, il y en avait. Certes, pas autant qu’on aurait pu le souhaiter, un vendredi à 17h 30... Outre le fait qu’à pareille heure, un jour ouvré, certains... œuvrent, d’autres, pour arriver à temps, ont bien tenté la téléportation. Ils se sont heurtés à la vénalité du passeur, Monsieur Spock. Excédés par son intransigeance, ils lui ont taillé les oreilles en pointe. Et pour la féria des Vendanges ? Qui est libre un jeudi soir à 17h30 pour fêter dignement les 150 ans de la ganadería française la plus prestigieuse ? Et vendredi matin à 11h, qui assistera à la novillada de La Quinta ? Les "toristas" ? Comment ça pas dispos ? Vous le faites exprès ! Faudra pas venir se plaindre. Ça, pour beugler...

Conde de la CorteRendons à César ce qui appartient aux Consuls. Les empresas qui désirent se débarrasser de spectacles encombrants ne s'y prendraient pas autrement. Pourquoi blâmer une partie de l’afición en évitant d’égratigner ceux qui décident ? Le courage consiste-t-il à culpabiliser ceux qui subissent en épargnant ceux qui choisissent ? Que chacun assume ses responsabilités et les vaches braves seront bien gardées. Colère noire !

Noir aussi, le toro du Conde de la Corte qui bouscule l’ordre de préséance de la corrida concours. Au diable l’ancienneté à Madrid ! Adaptons-nous au mano a mano. The show must go on !
Un toro haut, allègrement charcuté le long de l’épine dorsale par une pique incertaine. Trois fois dans l’échine, trois ! Un traitement de faveur qui n’entame en rien sa vaillance face aux banderilleros. Un des subalternes vient saluer en piste. Fernando Cruz débute sa faena aux planches, en gagnant le centre, laissant entrevoir de bonnes dispositions. Il cherche à donner de la distance, ne trouve pas le rythme et perd pied devant un animal qui finit par accuser le coup en réduisant sa charge. Au second pinchazo, l'affaire est entendue. Dommage ! Il y avait mieux à faire sur les deux cornes.

Clavel BlancoLe panneau annonce 'Clavel Blanco' du fer de María Luisa Domínguez Pérez de Vargas. Attention, concentration ! On revient à l’ordre de sortie initial. 'Clavel Blanco', un grand échalas de 610 kg, noir de jais. Le guardiola se moque de son patronyme. Il hésite, part au centre, freine, observe, repart en traçant dans la poussière les brusques arabesques d'une calligraphie récalcitrante. López Chaves, entre pleins et déliés, compose à la cape une trajectoire zigzaguante qui s'arrête net devant la cavalerie, loin.
¡Dejálo! Crie-t-on dans les tribunes.

Clavel Blanco'Clavel Blanco', ni fleur ni blanc, cet œillet-là vient faire sa révolution. A la charge ! Il gicle droit sur Quince. ¡Batacazo! Juan Luis Rivas marque le sol de son empreinte. Dégommé le canasson, plié, couché, balayé. Le toro insiste, s’éloigne subitement direction le toril, se ravise, d’un coup sec se retourne, observe les dégâts et repart au combat. Surprenant, à ne juger ni sur le nom ni sur la mine. Une mine de plomb. Cinq assauts. Cinq traits vifs, directs, fougueux, rageurs, grandioses. Cinq zébrures, cinq déchirures. Du grand art !

Clavel BlancoDe la caste à revendre, constamment sur la brèche, poursuivant bouche close ceux qui passent sous son mufle. Il entre avec envie dans la muleta de López Chaves sans pardonner la moindre erreur. Le torero se cramponne ne parvenant pas à hisser sa tauromachie. Une estocade entière.
Le toro reste là, droit, bouche fermée, sans une plainte, à lutter jusqu’à la fin, jusqu’à ce qu’on retire la lame. Alors, lentement, pas à pas, il s’avance et vient mourir au centre. Un frisson parcourt l’arène. Mouchoir bleu et mouchoir blanc. Arles debout, s’incline devant un Señor Toro. Respect ! L’arrastre accélère, passe la porte dessinant l’ultime trace sur le sable de la mémoire... Les yeux brillent.

YonnetDifficile pour 'Blanquet' d’assurer la succession. Il trottine, indécis, smoking blanc et bottes noires. Quel poids pour un toro ! 150 ans. Toute l’histoire de l’élevage repose sur ses épaules. Plus qu’un fer, une famille, une institution. Chapeau Monsieur Yonnet !
'Blanquet' tente de tenir son rang. Un peu trop rude au goût des cuadrillas et du torero. Rien ne lui sera épargné. Massacré à la pique où il ne se montre pas très brave. La terrible correction déclenche trois broncas consécutives. Le lamentable tercio de banderilles provoque à son tour l’irritation sur les gradins. Et pour finir Fernando Cruz, échaudé par la vivacité encore intacte de l’animal, escamote la faena. Désolant ! Applaudissements pour ce toro qui aurait dû, normalement, boucler l’après-midi.

Prieto de la CalC’est le hasard qui donne tout son sens au dicton. Prieto de la Cal, no hay quinto malo. 'Aguardentero', 605 kg, un veragua clair comme une bulle de savon. Un jabonero de La Ruiza, la maison mère, là-bas, au fin fond de l'Andalousie. Lui aussi est venu faire parler la poudre. Si l’on en croit la poussière qu’il soulève, il tient promesse. Quatre puyas. En venant de loin, de très loin, en poussant, en mettant et les reins et le coeur. Quatre impacts, deux batacazos. Changement de tiers. Pour ceux qui ont vu son ainé, 'Farolero', traverser quatre fois le ruedo de Saragosse lors d’un tercio de piques mémorable, la décision de la présidence reste définitivement incompréhensible.

Prieto de la CalEn quittant les arènes, Tomás Prieto de la Cal ne cache pas sa frustration. Ce furent les plus belles piques de l’après-midi et de tant d’autres tardes. Nous ne devions plus voir grand-chose. López Chaves offre quelques séries latérales qui finissent par exaspérer l’assistance et conclut laborieusement après plusieurs tentatives calamiteuses et un descabello. Navrant !

Celestino CuadriLa malédiction plane actuellement sur l’élevage de Cuadri. Sombre présage pour le numéro 48. L’animal entre pourtant de la plus fracassante des maniéres, cognant les burladeros à chaque appel. Il prend les trois piques réglementaires, sans conviction. Décasté. Fernando Cruz rompt le combat et range la muleta rapidement. ¡Una pena! De la peine, oui ! Pour Cuadri et pour Cruz. Atones.

Une corrida concours pour se souvenir en refermant les yeux comme on garde les rêves. 'Clavel Blanco', un toro noir d’encre qui lançait des éclairs, "obscure clarté qui tombe des étoiles" (Corneille in Le Cid - l’autre, pas le torero...).