22 mars 2009

Ida y vuelta, correspondance flamenca (V)


François,
Tu t'interroges sur les rapports entre afición a los toros et afición al flamenco.
Souvent on pense à la danse. Ce que je t'ai dit sur Javier Conde. Mais écoute ceci. C'est une anecdote et pourtant elle regorge d'échos qui peuvent expliquer pourquoi, intrinsèquement, le toreo est lié au cante. Il se trouve qu'Antoñete, Curro et Gitanillo de Triana décidèrent un jour d'enregistrer pour le montepio de toreros un disque de villancicos toreros. Les villancicos ce sont ces chants de Noël mais qu'on peut « cantar » por bulerías cadencées par le compas des palmas et de la zambomba. La zambomba c'est une sorte de « toupin » en terre cuite et recouverte d'une membrane qu'on fait vibrer en agitant un bout de bois passé par son centre. La rusticité magnifiée, avec un son de « voum voum » presque chamanique.
Donc nos trois compadres décident de se retrouver en studio pour graver des chants de nochebuena.
Gitanillo de Triana était en fait le frère du grand Gitanillo, mort de la gangrène laissée par la corne de 'Fandanguero' de Graciliano, et ce, dans d'atroces souffrances. Leur grand-père s'appelait Curro Puya (quel apodo !), cantaor qui dirigea, selon la légende populaire, les révoltes dans le barrio trianero car il était aussi réputé pour son cante que pour sa vaillance. Une letra le magnifie : "me llamo curro puya/por la tierra y por el mar/y en llegando a la taberna/la piedra fundamental".

On la trouve aussi sous cette forme :
" En el barrio de Triana
se han echao a temblar
cuando yegó Curro Puya,
la piedra .fundamental."


En tout les cas c'est une tona. Un chant a palo seco, sans guitare, un des plus archaïques, un de ceux qui préexistent à tout accompagnement instrumental autre que celui des pauvres d'entre les dépenaillés : "los nudillos" (compas, rythme donné par les coups des doigts repliés sur la table du café, du bistro, de la taverne, de l'arrière-cour familiale...).
La légende attachée à ce nom se perpétua puisque le fameux Gitanillo ("Est-ce que ton coeur s'arrête aussi quand tu torées Gitanillo ?" lui écrivit Corrochano) portait aussi le surnom de Curro Puya.
Donc, tous les matins, Antoñete passait chercher Gitanillo qui invariablement depuis le premier jour lui disait :"monte, on va boire un machaco (anis Machaquito, cépage matalahuga, mortal pero buenísimoooo !) comme doivent le faire les bons avant de commencer à chanter".
On imagine la suite... ainsi, invariablement, ils arrivaient complètement "moraos", calcinés (tiens on dit aussi "ciego") au studio où un Curro Romero imperturbable (il avait promis de ne plus boire par amour paraît-il) les attendait pour finalement reporter au lendemain le même inextinguible scénario.
Au bout d'un mois et demi l'enregistrement vit enfin le jour. Et le disque existe. En voici la portada . Cette entreprise bohème mais tenace, laisse voir la trame de cette union picaresque et viscérale entre los flamencos et los del toreo qui s'est toujours tissée depuis les origines.
Tu vois, je crois que, quand Antoñete tourna sa demi-véronique historique au toro blanc de Madrid, il y mit certainement tout l'arrondi des verres qu'il éclusa avec Gitanillo en l'écoutant, j'imagine, lui raconter la légende de Curro Puya dans l'histoire commune entre taureaux et chant.
Cette histoire fut narrée par Chenel lui-même dans un numéro spécial de la défunte revue "La Caña". Un numéro "Toros y Flamenco". Sur la couverture on voyait la version colorisée de maolo caracol (famille des Ortega, parent des Gallos, sa tante c'était la Gabriela, la mère de Joselito) toréant de salon sous l'œil de Paco Camino. ¿Pedazo de foto, no, fotógrafo?
Bien à toi,
Ludo