L'homme est à genoux face à 500 plombes de barbaque tiède. Une demie tonne de combats, d'illusions de toute une vie, la sienne... Il est vide, froid et sec et préserve le peu de force pour maudire la Terre, ses saints, le président, sa mère et sa descendance. Ses rêves sont là, entamant leur décomposition sur le sable, dans une marre de sang noir et épais, et toutes ses croyances avec. Et lui, l'homme, une effluve de formol dans les naseaux, regarde ses espoirs soupirer et enrage...
'Áspero' est mort à Úbeda, et Justo Hernández le pleure.
Ils n'auraient pas dû. Non, il ne fallait pas le laisser crever, dégueuler sa vie, rouler sous le fer du maestro Luque, car le bestiau venait de passer deux dizaines de minutes et deux avisos à sauver chèrement ses burnes !
Là-bas, plus haut, un peu au-dessus du peuple, ce panier à "trouducs" zélés qu'on appelait palco, venait fiérotement de décider du sort du vaillant cornu d'un NON d'empereur romain, pouce vers le bas, et ne daigna même pas se référer à ceux qui habituellement savent, à ceux qui habituellement voient, à ceux qui habituellement comprennent ce qui est bien pour la fiesta brava.
Finalement, non, non et non, les 3 compères en avaient décidé autrement, préférant mettre tout un public, tout un mundillo et sa Fiesta chérie, dans une rogne sévère, en échange de 3 ou 4 lignes raides sur Mundotoro, qui sait, ou peut-être simplement à cause d'une sensibilité plus pesante, moins volatile, voire moins "moderne". On scelle les pactes qu'on veut, ou qu'on peut, pour les raisons qu'on veut, ou qu'on peut.
En refusant de prolonger la vie d''Áspero', ceux-ci ont clairement dressé le majeur à la foule beuglante endimanchée, au CAC40 mundillero et à ce système estampillé "moderne" si bien rodé, si bien en place... sans doute trop, et depuis trop longtemps.
C'était sans compter sur ce palco d'arène de bouseux qui aurait eu le goût acide de refuser la grâce d'un toro que la majorité bien-pensante avait vu grand, avait vu beau et bon et qu'elle voulait pour elle, pour son bon plaisir ! La fameuse majorité qui a toujours raison, venait de tomber sur un os... pas lisse, hélas...
Alors oui, peut-être 'Áspero' méritait-il de vivre et de niquer à couilles rabattues, à l'ombre des pins d'Alaraz, sans doute même... mais peut-être que non. J'en sais rien et vous non plus. Au fond, tout le monde s'en fout, puisque personne ne le dit vraiment. Pas même Mundotoro, qui préféra s'en tenir aux jérémiades d'un ganadero pourtant pas vraiment aux abois, quand on y pense...
N'empêche que ce jour-là, en Úbeda, 3 mecs solidement anonymes et burnés comme des limousins de concours avaient choisi de botter le fion de cette épouvantable "modernitude", envers et contre tous, du boucher de la plaza Vázquez-Molina, au camarero de la Casa Juanito, en passant par Monsieur Garcigrande himself, le maire, ses adjoints, ses généraux et ses 70 vierges, et l'on ne saura jamais vraiment s'ils ont eu raison ou pas, mais ils l'ont fait, ils ont dit non, par conviction, et c'est bien ça qui compte.
Ce jour-là, en Úbeda, on se souviendra que la "bien-pensance" populaire a beuglé longtemps, mais en vain, que Justo Hernández, ganadero vedette de Garcigrande n'a pas eu raison, et que Daniel Luque, matador de toros y figura del toreo, non plus... Le mundillo a dû se résigner et abdiquer. Tout un symbole, en fait.