21 octobre 2006

Afición hivernale... Lectures


Récemment, en déambulant entre les rayons de la librairie Ombres Blanches à Toulouse, j'ai eu la joie de tomber un peu par hasard sur une réédition du "Torero Caracho" de Ramón Gómez de la Serna (rien à voir, à ma connaissance, avec le critique taurin).1

L'intérêt de cette nouvelle édition, d'un point de vue taurin, est très limité ; mais pour ceux qui ne connaîtraient pas encore l'œuvre de l'inventeur des Greguerías, considéré comme l'une des figures de proue de l'avant-garde espagnole (ouvrant la voie à des auteurs aussi connus des aficionados que José Bergamín ou Federico García Lorca) et qui souhaiteraient l'aborder au travers d'une évocation drôle et poétique de l'ambiance tauromachique dans l'Espagne d'avant le peto, qu'ils se précipitent.

Extrait :

"C'était lui, Gorondo, le taureau, noir et blanc, avec des nuages de poils gris.
[...]
De quelles grottes était donc sortie cette sale bête si retorse ?
C'était un taureau d'exception, dont la cocarde jaune et noire flottait funèbrement.
Au premier mugissement on vit, très profondément, qu'il était fort chantreux et fort lugubre.
Toute la place s'enfila et se serra en rangs d'une même panique.
[...]
Caracho avait dit en le voyant :
- Maudite soit la vache qui lui a donné le jour !
El Chivato, pour mettre en valeur Caracho, attira le taureau avec sa cape, mais, terrorisé, il prit tout de suite la tangente.
Les monosabios tiraient les chevaux par le licou et les fouettaient tant qu'ils avaient l'air de cruels gardes-chiourme qu'on aurait libérés du bagne pour parer au danger de la corrida.
Les arènes tout entières eurent un mouvement de recul et les monosabios les stimulaient avec d'effrayants coups de baquette.
Gorondo lançait des fanfaronnoïdes au monde entier, comme si ce qu'il avait voulu, c'était attraper le globe terrestre par la bedaine.
[...]
Le premier picador, comme quelqu'un qui va piquer le dragon, ne put pas faire autrement que de se risquer, en s'enfonçant fermement son dur chapeau de castor, qui est le premier casque d'aviateur qu'on ait inventé.
[...]
Ce fut terrifiant, les chevaux saluaient en mourant et formaient peu à peu un effrayant train de bêtes, emballé par la mort. Un nouveau troupeau de chevaux squelletiques et comme sauvages, tous unis dans le vent de leurs crinières.
[...]
Les picadors sautaient comme d'énormes poissons et l'on crut voir quelque chose envoyé on ne savait où, comme tombé dans l'abîme des cieux. Il est allé rejoindre d'autres picadors qui, n'obéissant pas à la loi de la pesanteur, restent dans les nuages, lourds et volants, comme une fresque vivante de Goya pour le ciel."

Et une Greguería, pour la route :

"Les animaux sauvages, lorsqu'ils parlent de ceux qui vivent dans les parcs zoologiques, les qualifient, avec mépris, de bureaucrates."

1 Publié aux éditions André Dimanche (1er septembre 2006), nouvelle traduction de François-Michel Durazzo et Marie-Pia Gil, 228 pages (ISBN 2869161476).