02 décembre 2010

Pique française


La pique mexicaine, la pique andalouse, la pique normale, la pique à rondelle, la pique à l'ancienne, et maintenant la pique à la française.
Des piques pour tous les goûts, tous les trous, toutes les époques.
Une pique à la française, pourquoi faire ?
Laurent Giner nous en a donné un premier éclairage, pertinent.
Monsieur Hubert Compan, éminent vétérinaire taurin français, a donné le sien sur le blog de l'ami Crépin. Et là, j'avoue que la démonstration m'a laissé la très désagréable sensation d'être pris pour un couillon.

Voici. Monsieur Compan nous explique qu'Alain Bonijol « fait partie de ceux qui souhaitent un tercio de pique revalorisé, [en gras dans le texte, des fois que ça nous aurait échappé] qui met en valeur le cavalier et le taureau en multipliant les rencontres et en diminuant les lésions et l’hémorragie. »
Bon, jusque là, pas de quoi « taser » un Malien. On est même très d'accord, tiens. Et puis la cavalerie mobile de Bonijol, moi, elle me plaît bien, surtout lorsqu'elle vole comme à Céret. Alors allons-y. Engouffrons-nous.

Monsieur Compan continue : « Je connais beaucoup d’éleveurs qui pensent comme lui, et quelques vétérinaires qui savent que l’hémoglobine sert à transporter l’oxygène, que faire saigner abondamment un taureau n’apporte rien à la lidia si ce n’est un épuisement prématuré quand elle est trop importante. »
Moi ce que je sais, c'est que, par exemple, les Miura des années 1990 à Arles, jamais ils ne s'épuisaient, malgré des piques assassines, à l'ancienne, malgré l'hémoglobine qui jaillissait à gros bouillons. Avons-nous rêvé ?
Et ces Dolores Aguirre madrilènes, plus que durement châtiés, massacrés même, et qui jamais ne s'arrêtaient. Nous les avons fantasmés ?
Je pourrais évidemment vous en remplir des pages comme ça.
Pourtant les piques n'étaient ni françaises, ni andalouses, ni modernes et n'avaient rien de particulier pour diminuer le flot d'hémoglobine qui sert à transporter l'oxygène. Juste de bonnes piques à l'ancienne, des piques d'avant l'andalouse. Alors l'histoire de l'hémoglobine là, ce n'est pas si clair que ça. Chez le mouton peut-être. Mais chez le taureau de combat, fort et sauvage, ça laisse perplexe.
Il ne faut pas être grand clerc pour comprendre qu'il pourrait y avoir, aussi et avant tout, un débat préalable sur la question de l'évolution du toro, de sa force, de sa sauvagerie. Mais chez nos élites la chose ne semble pas à l'ordre du jour. Sans doute le concept leur est-il trop immatériel. Pourtant, il faudra bien un jour que ces gens-là nous expliquent jusqu’à quel degré ils acceptent la dégénérescence organisée du taureau de combat.

Continuons donc à lire Monsieur Compan qui nous explique ensuite que « pour attirer des jeunes spectateurs dans les arènes, comme le souhaite Mme Darrieussecq, nouvelle présidente de l’UVTF, ce n’est pas avec des taureaux ensanglantés sur les deux flancs qu’on y arrivera. »

Alors là... Des jeunes effrayés à la vue du sang, qu’il faudrait limiter et même subliminalement supprimer. Pourtant un toro ça saigne, ça a toujours saigné et ça saignera toujours.
Ou alors ce n'est plus la Fiesta, juste une parodie, rien d’autre qu’une charlotade.
Voilà maintenant que l’on nous explique que le sang c'est laid, qu'il faut le cacher aux enfants, autrement dit qu'il faut en finir avec les piques.
Et comment on va faire pour que ça saigne que d'un côté ? Hein ?
Elles y ont réfléchi à ça nos élites ?

— Monsieur le picador, je vous en conjure ! Dites donc à ce putain de toro de bien vouloir ne saigner que d'un côté ! Il est en train d'effrayer nos jeunes, le con !
À proférer pareilles inepties pour caresser le mundillo dans le sens du poil, nos élites ne se rendent même plus compte qu'elles donnent des arguments aux antis.

Et Monsieur Compan finit par nous expliquer que « la pique nouvelle est une première étape. D’autres étapes suivront certainement visant à diminuer les lésions musculaires et les "dégâts collatéraux" avec des piques moins longues et plus étroites. Autant la première étape fera rapidement l’unanimité, autant la deuxième étape nécessitera du temps et de nombreux essais et expérimentations pour persuader tous les acteurs de la corrida. »

C'est bien ce que je dis, on nous prend pour des demeurés. Cette première pique, c’est un peu comme les innovations de Steve Jobs. Le concept est pas mal, mais ça ne sera vraiment bien qu’avec la seconde version, ou la troisième. Allons, un peu de courage. Ne tournons plus autour du pot, montrez-nous directement ce à quoi vous voulez en venir. Nous sommes grands vous savez. Nous pouvons comprendre. Accepter et avaler, ça, c'est une autre histoire...

Dessin © Jérôme 'El Batacazo' Pradet