23 juin 2009

Domingo's blues


Après la visite de la camada, ceux de Madrid ne lui plaisaient pas (trop tout), Domingo, comme guidé par une excitation à peine retenue, a bafouillé qu’il avait quelque chose à me montrer dans son bureau. Il y a deux heures, il avait mis quinze minutes a lâcher un premier mot mais désormais, il voulait causer et raconter ce quelque chose qu’il conservait, rempli d’affection, dans son bureau mal éclairé. Un bureau qui n’en était pas un. Un sanctuaire de gosse, donc un lieu très sérieux, que Domingo se refusait certainement à ouvrir trop souvent de peur que ne s’échappe à la lumière ce trésor et qu’il ne disparaisse à jamais. Car ce qu’il emprisonnait ainsi dans les ombres poussiéreuses de ce réduit d’enfant n’était autre qu’un toro de combat, marqué flanc gauche. Un toro qui s’appelait 'Bastonito'. Une nouvelle fois encore, je n’avais pas vu 'Bastonito'. Il me l’a présenté dans le calme ému de son phrasé si castillan. Il n’y avait que lui, contre nous, seulement lui qui risquait de s’enfuir si la porte restait ouverte. 'Bastonito'.
Domingo n’a pas changé. L’accompagnent toujours une timidité que n’altèrent pas les tapes sur l’épaule et ce pétillement mélancolique qui luit dans son regard. Tous veulent l’embrasser en cette fin (triomphaliste) de corrida aturine. Il sourit quand même parce qu’il faut être poli, parce que c’est comme ça. Il sourit gentiment, brinqueballé pourtant dans un défilé de mains grassement moites, d’espagnolades abjectes et de satisfaction lowcost. Il sourit, déjà loin de ces 6 toros aturins, tous bien présentés, en pointes (quoique hétérogènes de format), parfaitement au goût du temps, monopiqués (voire pour deux "monopicotazés"), certains faiblards, préservés pour des tercios de banderilles vulgaires (surtout Ferrera), assez mobiles et francs pour laisser s’accomplir des faenas à leur faire tomber les oreilles (une faena esthétique de Jiménez – le plus torero des trois et de loin – et deux faenas moins stylées, plus pompières et parfois à distance de Savalli). Il sourit, déjà rentré dans son réduit poussiéreux auquel le pétillement de ses yeux peine un peu plus chaque jour à donner de la vie.

Retrouvez une galerie de cette corrida d'Aire dans la rubrique
RUEDOS sur www.camposyruedos.com.

Photographie Domingo González, mayoral de Baltasar Ibán © Camposyruedos

NB Une anecdote pour achever et pour témoigner du respect que certains plumitifs portent à l’égard de l’aficionado lambda.
17h10 – Guichet des arènes d’Aire (billets réservés non payés et accréditations)
A peu près vingt personnes font calmement la queue pour récupérer places et accréditations. Pas d’impatience, il fait beau et bon. Soudain, alors que c’était le tour de la personne devant moi (un trentenaire en polo rouge), un grand bonhomme aux cheveux blancs, posté depuis quelques minutes hors de la file d’attente (à droite), passe devant tout le monde et s’adresse à la dame du guichet pour demander son accréditation.
Emotion retenue dans la file d’attente, agacement certain. Sincèrement courroucé par ces manières, j’interpelle ce monsieur en lui expliquant que derrière lui attend une vingtaine de personnes et que ces personnes (dont moi) ne sont peut-être pas très réjouies de se voir ainsi passer devant, sans un regard, sans un mot d’excuse ou de justification. En lui disant cela, je pensais en mon for intérieur qu’il se sentirait quand même un peu gêné de son comportement et du fait que quelqu’un lui en fasse la remarque. Que nenni mes amis, que nenni !
Se retournant à peine, postillonnant à outrance, ce monsieur me répond, plein de morgue et de mépris : « J’travaille moi, je filme ici. »
Décontenancé, je ne m’entends lui répondre qu’un bien faible et timide : « Et alors, cela justifie-t-il de passer devant tous ces gens ? »
Convaincu de sa supériorité, monsieur renchérit pour bien faire comprendre à toute la file qui il est.
- « J’travaille moi, je filme ici. Non ! Je ne fais pas la queue, moi ! »
Sur ce, muni de son passe pour le callejón, il quitte le guichet sous les quolibets discrets de cette vingtaine de personnes qui ne travaillent pas, elles, mais qui savent rester polies. Ce monsieur se nomme Colemont et a commis un truc sur Internet dont le titre est L’Echoducallejon. Je tiens donc ici à présenter mes sincères excuses à mes compères de Camposyruedos. Nous nous étions promis un jour de ne jamais citer ce bidule chez nous pour ne pas, involontairement, inciter d’éventuels lecteurs à aller faire suer leurs yeux sur ce machin. Au moins, son comportement à Aire est-il fidèle à l’image de ses écrits et de son respect des aficionados...