16 novembre 2006

À vous…


Cher vous,

J’espère que cette modeste «carte postale» vous parviendra car j’ai conscience que vos nombreuses pérégrinations dans les entrailles de l’Ibérie ne facilitent pas l’acheminement du courrier. Ça faisait longtemps que je devais vous envoyer de mes nouvelles et puis, vous savez ce que c’est, les soucis, le boulot, les occupations de tous les jours… On oublie et on laisse traîner, en poste restante. Hier, le temps était tout bleu, «comme une orange» et je goûtais le doux refrain de cet «été indien» sous ce Christ beige du mont Urgull à Donostia. De minuscules points noirs essaimaient de longs voiles blancs sculptés par ce vent d’Est qu’attendent les surfeurs comme nous patientons, nerveux, aux heures des clarines. C’est beau le surf, n’est-ce pas ? Il y en avaient même qui gratinaient la couenne sur la baie jaune sombre, en cette fin de jour. J'aime bien l'été indien, ses couleurs fauves, son calme apaisant. Je suis rentré quand même et, comme tous les soirs, fidèle et impatient, j'ai lu votre édito — «Morosité ou action ?» Que dire ?

J'ai adoré ! Tout court, tout simplement. Et toc, dans le mille, «à la fin de l'envoi, je touche» aurai-je envie d'écrire. J'ai adoré car ce texte met le doigt, et l'ongle long, sur cette plaie ouverte qu'est l’Afición déchirée. Une Afición écartelée , avec des morceaux partout après, par une frange de zigotos bien énervés qui crient aux loups, à l'ours, au lion, au rhinocéros, à l'hippopotame… Des «râleurs» comme vous dites, des geignards du quotidien. Enervés, énervants !

"Il est plus facile de critiquer que de créer". Puissant, vraiment ! Sus à la critique beuglante, aveugle. Vous avez tant raison de l’écrire. Après tout, vous avez tant fait pour la tauromachie. Matador de toros, dessinateur, peintre même sous les arbres de Valdefresno, collaborateur et créateur de revues (sans aide publicitaire qui plus est ! Jamais…), photographe. Je dois en oublier. Vous êtes une voie lactée de création taurine. Vous avez un million de fois raison quand vous affirmez qu’ils ne savent que «gueuler pour le principe» quand vous, vous zébrez l’Espagne de vos investigations taurines, sorte de Tintin au pays des cornes. Quand vous, vous faites des conférences l’hiver dans les clubs taurins, quand vous, vous commentez des corridas à la radio l’été sur une onde locale, quand vous, vous faites un site taurin, un vrai où toutes les informations taurines peuvent être lues et analysées par... vous. Vous, vous créez utile, c’est évident. Vous, au moins, vous incitez les gens qui aiment la corrida à envoyer des mails à la chaîne publique qu’est France2 par le biais de la FSTF. Vous soutenez les actions qui défendent la tauromachie.

Vous avez aussi un milliard de fois raison quand vous vous en prenez à leur «évocation d’une lidia supposée idéale». Comment peut-on sereinement, en 2006, croire que l’on peut toréer comme il y a vingt ans, dix ans, cinq ans ? Quelle naïveté assortie d’un manque de lucidité évident. Moi-même, simple spectateur occasionnel, je m’énerve à les lire évoquer la distance, le tercio des piques qui devrait être comme-ci ou comme-ça, les terrains auxquels je ne comprends strictement rien. Je veux un spectacle qui me distrait, pas un cours de fac sur la technique de combat d’un toro. Eux n’ont pas compris ça et s’entêtent dans leurs «valeurs» surannées et vieillottes.

Cher vous, je m’emporte mais si j’osais, si j’osais... j’étreindrais le délire. Je frémis d’émoi quand «pendant que nous dissertons sur tel ou tel "scandale" de la temporada, eux (les antis) envoient des mails par milliers…» Au coin de notre bois charmant se cache le loup de nos noirs cauchemars. Brouhhh ! Votre combat, qui passe pour vos lecteurs en mal de joutes héroïques par un abonnement à votre revue, est noble et mené par la pureté du cœur. Évidemment, la lutte sera rude, déjà engagée par beaucoup mais ne seriez-vous pas le seul à même de la fédérer en définitive ? Je me permets de le croire, de le rêver. Aux heures où certains dissèquent sans remords les restes poussiéreux du gaullisme (quoiqu’il existe plusieurs gaullismes), nous ferez-vous l’honneur d’être ce guide que nous attendons tous, vous le créateur qui avez tant œuvré pour guider l’Afición sur un droit chemin, certes parfois boueux ? Cher vous, soyez notre Charles, grimpez au balcon et criez-nous : «Je vous ai compris !» Avec vous, l’Afición, l’Afición outragée, l’Afición brisée, l’Afición martyrisée sera libérée et grande. Votre invitation, lancée à chacun, a «réfléchi au sens qu’il convient de donner à notre passion commune» ne doit être qu’un cri, de ralliement, de résistance, de victoire. Un cri dans la nuit ! Et si le grand Charles ne vous sied pas, devenez alors notre Napoléon (le number one il va sans dire) et faites nous contempler l’avenir clair et rose de cette «passion» du plus haut de votre sagesse. Guidez-nous tel Alexandre face aux remparts de Tyr et faisons fuir Darius, ensemble, tous ensemble.

Sus, donc, à tous ces stériles Bakounine de l’Afición qui ouvrent chaque un jour un peu plus la plaie où vous glissez vos doigts, porteurs de guérison.

Il a plu aujourd’hui et l’été indien semble nous quitter pour de bon. Pour achever cette «carte postale» de nulle part et sans timbre, quelques nouvelles de moi tout de même. Le moral est bon et la santé correcte, ma foi. J’espère que tout va bien de votre côté et je me languis de vos nouvelles.

Cordialement, votre serviteur.