Elles sont mises comme pour un mariage avec leur coiffe de fanfreluches et les petits drapeaux qui dépassent du tout. Il ne manque que les klaxons pour s’y croire vraiment. C’est pour la mort, pourtant, qu’elles se font si pimpantes. Une mort vieille de mille lunes, depuis longtemps sèche de larmes et de voix érayées. Face à elles, tout le long de son bois rouge qui lave les traces de morts moins célébrées, l’arenero, tunique bleue des cieux, mime l’immobile. L’arène est un missel, ouvert et silencieux, petits milliers de mots, de larmes oubliées qui disent la prière. Comme un vent qui caresse, rassure, le chant funèbre court sur ces mots, traverse les "a", s’enroule autour des "c", fait tressaillir les "s". Un souvenir lointain pour cercueil et cette masse noire, inerte et chaude encore, linceul de caste agonisante qui n’entend pas l’oraison, ne lit déjà plus le missel qui s’égrène sans voir sa mort naissante. Azpeitia a l’arrastre émotive. Au troisième toro achevé, on ne ripaille pas ici, on se recueille en souvenir d’un banderillero mort au XIX° siècle, dont le visage est oublié et le nom incertain. Azpeitia pleure presque, au son de notes qui « feraient pleurer les pottocks ». Le reste est anecdote. Six petits toros encastés de Fuente Ymbro (Jandilla), un derechazo du Cid aussi profond que le Tartare qu’Orphée brava pour ramener sa donzelle au jour et des assassins juchés sur des "Ulysse" carioquistes. Comme d’habitude. Comme d’habitude.
Je devais être un "o" dans ce missel du recuerdo, un minuscule "o" tout rempli de funèbre et de fatalité. Ce n’est pas ce banderillero que je pleurais mais ce monde qui s’écroule un peu plus tous les jours, ce monde « qui n’entend pas que l’on crie sans fin », ce monde des toros de combat. J’ai senti tout entier que rien ne changerait, que l’on continuerait à détruire volontairement cette bravoure qui nous fait rêver, que l’on poursuivrait toujours cette lutte contre la caste par des piques minables, des passes de maçon et des applaudissements stupides et sans fin. Ce toro de linceul annonçait une mort. Son frère, le marron, que tous virent manso n’annonçait rien, lui. Il n’était qu’une résurrection de ce que nous avons aimé, l’apparition brusque et soudaine d’un toro de combat brave, encasté y con mucho "poder". Un Manso ? Tas de brutes !
Toros du « Dies Irae » au milieu des lettres qui flottaient insouciantes...