05 mars 2012

'Ruiseñor'


« C'est donc toi, “El Blanco”. Tu sais que le mayoral m'a beaucoup parlé de toi. Il vient me voir tous les jours, m'observe et me parle. Il m'a dit que tu m'avais choisi et que tu étais un des plus grands recortadores. C'est quoi un recortador ? Moi, je ne connais que les étendues vertes, le soleil du sud et l'ombre des chênes verts. Le mayoral se garde bien de m'expliquer la signification du mot, peut-être a-t-il peur d'en dire trop et que j'apprenne…
“Blanco”, on s'occupe bien de moi, ici. On m'a séparé de mes cinq frères de sang. Il est vrai que depuis que je t'ai tapé dans l'œil, ils me regardaient de travers. La jalousie, certainement. Par contre, on m'a mis ces maudites fundas sur les cornes. Il paraît que c'est pour éviter qu'elles ne s'abîment ou que je ne les plonge dans le flanc de mes congénères. Foutaises ! C'est pour te préserver, “Blanco”, pour que tu ne prennes par peur à la vue de mes armes, car sous ces maudites boursouflures se cachent deux dagues effilées comme des épées de Tolède.
Approche-toi, “Blanco”, je te plais, n'est-ce pas ? Ça aussi on me l'a dit. Regarde les marques de feu qui ornent mon flanc droit : le fer de Hato Blanco et ce magnifique “7” sur mon épaule. Le chiffre de la chance ou celui qui témoigne de mon âge de raison. Ça ne t'effraie pas ? En cette année 2012, c'est pourtant un chiffre maudit au campo. Tu m'observes et tu apprécies ma façon de marcher, tranquille comme si de rien n'était avec le mufle au ras du sol. Et mon physique, “Blanco” ; je suis plutôt bien roulé. Je tiens ça de mon père et de ma lignée Guateles. De ma mère j'ai hérité de la noblesse de son regard.
Maintenant, approche encore un peu, “Blanco”. Rentre dans le cercle interdit et provoque ma colère. Allume la flamme qui brille au fond de mes yeux noirs. Alors, je gonflerai le morrillo et tendrai mes muscles. Comme les apparences peuvent changer en une fraction de seconde ! Je sens ton cœur qui s'accélère. Voici désormais le portrait de celui qui va hanter tes nuits et peupler tes pensées. Ne t'en va pas, j'ai encore une dernière chose à te dire.
Je m'appelle 'Ruiseñor', je proviens d'une grande lignée. Bientôt mes sabots feront trembler le sable et les arènes tout entières retiendront leur souffle. Je suis la force, la bravoure, la raison d'être de vos traditions, et je ferai honneur à ma famille et mon éleveur car j'ai une réputation à défendre. Cinq ans que j'attends ce moment. J'ai hâte que vienne le grand jour. Notre grand jour… »

Photographie 
'Ruiseñor' et Ramón Bellver 'El Blanco', février 2012 © Florent Lucas