24 février 2012

Koudelka sur mon frigo


Pour Philippe…

Elle est longtemps restée sur mon frigo. Je l’avais achetée à Lisbonne. J’en avais acheté deux. J’en ai offert une à un ami. En la découvrant, j’avais aimé le pelage du toro. Si l’on peut considérer cette bête comme un taureau de combat. Au dos, il n’y avait rien inscrit de particulier. Je n’en savais pas plus sur l’auteur du cliché. En rentrant, je l’ai accrochée sur mon frigo. Avec d’autres cartes postales reçues de-ci de-là. Mais celle-là je l’aimais bien. Le pelage du toro, le noir et blanc, le Portugal. Je l’aimais bien pour tout ça. Parfois je la regardais sur mon frigo en sirotant le jus d’orange au goulot, en cachette. Parfois, je n’y faisais pas attention. J’ouvrais le frigo, je le fermais, je ne la voyais pas. L’habitude qu’elle soit là, je me dis.

Je l’ai perdue.
Je bois mon jus d’orange et je ne la vois plus. Je regarde la porte de mon nouveau frigo. Je la referme. Il n’y a rien dessus. Je l’ai perdue.
Aujourd’hui, je sais qui a tiré ce cliché. C’est étrange que je découvre son auteur au moment précis où il disparaît de mes habitudes. Ça ne change rien. C’est étrange la vie des fois. C’est tout.
C’est Josef Koudelka qui a pris cette photographie. En 1976. À Nazaré. Au Portugal. Josef Koudelka est un photographe d’origine tchèque. Il n’est pas mort. Kertész était hongrois, il est mort. Je ne crois pas que Kertész ait un jour photographié des toros. Je me trompe peut-être. J’aurais aimé. Josef Koudelka a reçu tous les prix que peut imaginer recevoir un photographe dans sa vie. Mais cela n’a aucune importance. Les prix, les médailles ne servent qu’à flatter, rassurer ou déculpabiliser ceux qui les refilent. C’est abject les prix. Y a les César ce soir. Abject. Josef Koudelka a fait des photographies face auxquelles les mots ne sont que mutisme.
Prague, 1960. Une silhouette « out of focus », un arbre vague à droite. Voyage au bout de la nuit. On dirait qu’il neige.
En 1976 — j’aime bien cette année 1976 —, Josef Koudelka a traversé le Portugal. Il a pris cette photo qui manque sur mon frigo.
C’était donc lui. J’ai découvert que c’était lui par hasard. En regardant un portfolio de Sabine Weiss sur Internet. Par hasard. Je trouve que ça va bien avec la photo le hasard, mais c’est une autre histoire ça. Sur Internet, la photo est intitulée « Josef Koudelka. Portugal, Estremadura. Town of Nazaré, 1976 ». That’s all. Cartier-Bresson laissait des légendes. Pour le contexte. Pour situer. Koudelka n’a laissé que ça. Après tout, ça n’a aucune importance, je ne regarderai plus jamais mon frigo du même œil.


>>> Josef Koudelka chez Magnum Photos.

Photographie Portugal, Estremadura. Town of Nazaré, 1976 © Josef Koudelka/Magnum Photos